mardi 23 février 2010

Ethique de l'existence post-capitaliste (2)

Ce billet s’inscrit dans la continuité du précédent concernant le livre de Christian Arnsperger : Ethique de l’existence post-capitaliste. Nous proposons ci-dessous des extraits de compte-rendus et de critiques concernant cet ouvrage.


Le capitalisme est une culture par Pierre Ansay.
Extrait d’un article paru dans POLITIQUE Juin 2009 (n°60)

... La thèse est simple : le capitalisme réussit parce qu’il s’inscrit au plus profond du psychisme aliéné et apeuré et qu’il en épouse les tendances les plus mortifères. Le capitalisme est un régime des profondeurs autant que des surfaces. Une parenté des plus « profondes », une connexion opérationnelle existe entre les formes les plus primaires, les plus reptiliennes de notre désir inconscient, de la pulsion de mort qui l’habite et les formes de la pratique et de l’extension du capitalisme : des auteurs comme Deleuze et Guattari avaient ouvert la voie mais par une critique radicale du freudisme. Comme l’indique Maris, « la grande ruse du capitalisme… est de canaliser, de détourner les forces d’anéantissement, la pulsion de mort vers la croissance. ».

Déjà, du fond des prisons fascistes, le philosophe italien Antonio Gramsci était habité par une idée force : on n’en sortira que par une révolution intellectuelle et morale. Car le ver est dans le fruit. Il ne suffit pas d’abolir pour un temps, et dans les effervescences de la grève générale et du processus révolutionnaire, le régime de l’exploitation si nous persistons dans le régime de l’aliénation.
Si nous ne nous libérons pas de nos chaînes morales et culturelles, l’exploitation repoussera comme une mauvaise herbe rendue plus dynamique et plus rageuse encore par les opérations qui voulaient l’extirper. L’histoire semble valider l’affaire : ni les dirigeants révolutionnaires ni les populations acquises au nouveau régime ne semblent vraiment disposés à modifier leur grammaire de vie. On voit ressurgir, sous les vernis de la rhétorique révolutionnaire une exploitation plus dure encore que celle qu’on avait cru brisée à jamais....

Pour Arnsperger, « les questions les plus profondes de l’économie ne sont pas en elles-mêmes des questions économiques » et « si la logique en place est si tenace, c’est que quelque chose dans le tréfonds de nous-mêmes y consent ». La leçon, et Arnsperger ne manque pas de le tracer dans un livre qui devrait faire date, est qu’il convient de construire un autre monde... Je tiens le livre d’Arnsperger pour une avancée extraordinaire de la cause révolutionnaire.

Docteur en philosophie, Pierre Ansay est l’auteur de nombreux ouvrages, dont "Le capitalisme dans la vie quotidienne", "L’Homme résistant", "Le désir automobile", "Le dictionnaire des solidarités" (en collab. avec Alain Goldschmidt) ou encore "La ville des solidarités".


« Avatar » contre Cohn-Bendit : l'écologie doit être anticapitaliste. Par Philippe Corcuff . Extrait d’un article paru dans Rue 89

... L'anticapitalisme d'« Avatar » est indissociablement collectif et individuel. Se désintoxiquer de l'imaginaire capitaliste passe aussi par une transformation de soi. Jake Sully, ancien marine immobilisé dans un fauteuil roulant devenant « pilote » mental d'un avatar, va connaître une véritable conversion : d'inflitré chez les Na'vi à protecteur de leur mode de vie, de soldat impérialiste à eco-warrior. Sully a quelque parenté avec la figure des « militants existentiels » anticapitalistes, caractérisée « par un travail spirituel et politique de chacun de nous sur lui-même, soutenu par des communautés de vie », promue récemment par le philosophe de l'économie Christian Arnsperger dans son stimulant ouvrage « Ethique de l'existence post-capitaliste ».

Cette révolution culturelle personnelle prend les chemins de la fragilité dans « Avatar » : un handicapé à l'âme guerrière, fasciné au départ par les capacités supposées illimitées de son avatar, finira par assumer ses faiblesses d'être humain mortel. Cependant, Cameron ne suivrait pas Arnsperger dans son choix de la conversion existentielle contre la voie révolutionnaire classique des rapports de forces. Dans une conjoncture de menace extrême, « Avatar » justifie le recours au combat et à la force. Dans certaines circonstances, l'anticapitaliste vert conséquent doit aussi savoir prendre les armes (au sens métaphorique, n'impliquant pas nécessairement le maniement de la kalachnikov).

Cette écologie radicale n'a pas grand-chose à voir avec les niaiseries consensualistes de l'arc Borloo/Cohn-Bendit. Elle appelle des clivages, des conflits, des affrontements. La transformation personnelle et l'action collective contre les forces dominantes apparaissent associées et non pas opposées.

Docteur en sociologie, Philippe Corcuff est maître de conférences à Sciences-Po Lyon.


Pour un Yoga anti-capitaliste de Frédéric Delorca
Extrait d’un article paru dans Parutions.com

... Arnperger s’attache à déconstruire les racines anthropologiques du capitalisme, qui conduisent à ce qu’il appelle, reprenant le vocabulaire de la psychopathologie une «fixation» à laquelle conduit le système actuel : c'est-à-dire l’identification totalitaire des visées aux fins pour persuader chacun qu’il n’y a aucune alternative possible (achèvement parfait de l’aliénation selon Arnsperger).

Les ressources que mobilise Arnsperger pour démonter le mode de fonctionnement de l’«homo capitalisticus» proviennent d’un effort d’interdisciplinarité remarquable entre l’économie politique «post-structuraliste» (Julie Graham and Katherine Gibson) et la psychologie (la théorie de l’évolution de la conscience développée par Ken Wilber, Don Beck, Suzanne R. Cook-Greuter et de Robert Kegan, dans la lignée de Jean Piaget). Il s’agit d’une méthode assez nouvelle en Europe, qui livre toute sa dimension dans son dernier tiers, sur le volet de la description du type de militantisme qui peut fonder une nouvelle humanité étrangère à l’égoïsme capitaliste.

Pour Arnsperger, il faut des pratiques physico-spirituelles comme le yoga pour inventer un autre rapport à la marchandise, à autrui, au pouvoir en général, acquérir un nouveau sens de la maîtrise de ses affects face notamment à l’angoisse de la finitude et de la mort pour les détourner de la logique de domination ou de ce que l’Ecole de Francfort appelait la rationalité instrumentale.

On est frappé par l’aspect concret des propositions qu’il avance pour instaurer ce qu’il appelle un «communalisme» (qui, selon lui, devrait aller jusqu’à la mise en commun de tous les revenus) et l’analyse sérieuse (sans illusion excessive) des résistances psychiques prévisibles à l’abolition des hiérarchies sociales qu’il recherche. Arnsperger s’inscrit dans une filiation anticonsumériste libertaire qu’ont peut rattacher à Baudrillard, Castoriadis, l’anthropologie maussienne et aux théories de la décroissance, autant de références dont il fait une synthèse brillante...

Juriste, essayiste, docteur en sociologie, Frédéric Delorca a publié entre autres, aux Éditions Le Temps des Cerises, Programme pour une gauche française décomplexée (2007).


Extrait d’un article de Denis Clerc.
Paru dans le n°285 d’Alternatives économiques.

Se déconnecter du système capitaliste est devenu une urgence. Il importe que chacun puisse développer sa personnalité, vivre son existence dans un autre cadre que celui du capitalisme, estime l'auteur, lui-même économiste reconnu, mais qui porte un jugement critique sur les prétentions de sa discipline à vouloir tout ramener au matériel, à la consommation, ignorant la dimension spirituelle - pas forcément religieuse - et sociale (au sens de "membre d'un groupe") de l'homme...

S'inspirant du yoga, il propose des "exercices économiques" pour construire le post-capitalisme, c'est-à-dire la société qui reconnaîtra à la fois l'individu et la communauté dans laquelle il s'enracine (ce que l'auteur appelle le "communalisme"), à la fois le matériel et le spirituel, le concret et le projet : par exemple, en nous privant volontairement de propriété ou de certaines consommations pour expérimenter ce que cela nous incite à faire ou l'ampleur de notre dépendance.

Il s'agit de réfléchir, d'intérioriser, bref de "spiritualiser" au moins autant que d'agir. Pourront alors naître ce que l'auteur appelle des "communautés existentielles critiques" pratiquant l'autarcie, l'autogestion, la redistribution et... la méditation. Curieux livre, donc, qui fait un pas de côté, quitte les sentiers balisés de la réflexion économique pour introduire une vision spirituelle et politique (dimension importante dans le livre) atypique...

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