mercredi 28 avril 2010

Ecologie et Société (3) Translation et Transformation



Ce billet s'inscrit dans la continuité des deux précédents (1) et (2) qui appartiennent à une série intitulée Ecologie et Société dont il constitue la suite. Dans cette série de textes, nous chercherons à mettre à jour les fondements de la culture de domination qui est à l’origine de la dévastation du monde et à rendre compte de la mutation des mentalités qui, en réaction à cette dévastation, inventent les formes culturelles novatrices qui seront celles de notre futur.


L’échec du mouvement social

Militant des premières heures d’une écologie au parfum libertaire, Alain Claude Galtié s’interroge sur les causes pour lesquelles, de l’effervescence de la contre-culture dans les années soixante jusqu’à au mouvement social des années quatre vingt dix, la contestation du système capitaliste n’a débouché sur aucune alternative réelle.

« Nous avons fait le constat de l'échec des différentes composantes du mouvement social des années 60/70 et de l'apathie de la société (sauf en novembre et décembre 1995 en France, mais cela n'a pas duré). Les responsables sont reconnaissables; c'est en particulier le brouillage culturel impérialiste qui mine maintes volontés individuelles et le mouvement social. Entre ce qui fonde la motivation de tout soulèvement contre l'ordre inique : le sens de "la communauté des intérêts sociaux" (Rudolf Rocker) et les projets, les formes mêmes que croit "se donner" le mouvement, s'intercale ledit brouillage qui susurre que l'instinct et le bon sens génèrent des chimères ». (La confusion culturelle ou l’ennemi intérieur).

Ce brouillage culturel « impérialiste » dont parle Galtié est celui d’une culture de domination qui formate aussi bien la pensée que les comportements et dont nous avons esquissé l’analyse dans les billets précédents. Or, bien souvent, les militants écologistes, ceux des mouvances alternatives ou altermondialistes, ainsi qui les animateurs du mouvement social sont les otages de ce modèle culturel qu’ils ont intériorisé de manière inconsciente.

Ils n’ont pas compris que le capitalisme est un système de valeurs et de représentations – un véritable modèle culturel – tout autant qu’un mode de production, d’organisation politique ou économique. Et il ne sert à rien de combattre les formes économiques du capitalisme sans transformer le modèle culturel qui le sous-tend et lui donne du sens.

Dans son Éthique de l’existence post-capitaliste, Christian Arnsperger analyse avec brio non seulement ce qu’est la culture capitaliste mais les fondements existentiels qui la détermine. Il y démontre les limites d’un militantisme de contestation qui ne remet pas en cause ce modèle culturel et ses fondements existentiels. En développant une perspective intégrale, les militants contestataires se transforment en militants existentiels pour lesquels la transformation sociale passe aussi par l’évolution personnelle.


Limites de la contestation

Hélas, la plupart du temps, les militants du mouvement social sont d’autant plus fascinés par les formes objectives et extérieures de l’organisation économique et sociale qu’elle peuvent être réduites à des données mesurables et à des évaluations quantifiables. Cette fascination fétichiste pour les processus abstraits d’objectivation est l’expression même d’une pensée instrumentale qui fonde la culture capitaliste.
Un fétichisme qui est le symptôme d’une pathologie réductionniste née d’une instrumentalisation de la pensée au détriment d’une participation joyeuse et conviviale de la subjectivité aux divers milieux naturels et sociaux, culturels et spirituels, dans lesquels elle évolue en développant son processus d'individuation.

Comment pourraient-ils se désintoxiquer de l'imaginaire dominant, ceux qui sont incapables de déconstruire les soubassements tant idéologiques qu’épistémologiques d’une culture impérialiste qui les aliène ? Ils vivent sous l’emprise d’un logiciel réductionniste qu’ils ont intériorisé et qui constitue justement le système d'exploitation du programme qu’ils contestent. Complices, collaborateurs et promoteurs de leur aliénation, ces militants ne peuvent qu’imiter de manière caricaturale les stratégies du système dont ils cherchent à s’émanciper.

Leur posture de contestation ne fait que renforcer le système qu’ils cherchent à combattre. Etymologiquement, contestation provient de contestari qui signifie mettre en présence les témoins de deux parties. En contestant, le minoritaire affirme sa dimension de dominé et se positionne ainsi dans une relation instaurée et maîtrisée par le dominant dont il utilise les codes et les références, l’imaginaire et la vision du monde.

Contester est encore le meilleur moyen d’être récupéré par le système dominant qui, pour perdurer, se nourrit de cette énergie contestatrice qu’il a fait naître. Plus les contestataires cherchent à desserrer les liens qui les enchaînent et plus ils les renforcent. Pour comprendre ce paradoxe auquel se heurte le mouvement social depuis des années, il faut aller faire un tour du côté de la théorie intégrale.


Translation et transformation

Dans son analyse de l’évolution humaine, Ken Wilber distingue deux types de dynamique : les translations horizontales et les transformations verticales. Les translations horizontales sont des changements opérant dans un niveau évolutif donné alors que les transformations verticales génèrent un changement qualitatif avec l’accès à un stade plus évolué c'est-à-dire plus complexe et intégré.

Dans la translation horizontale, le champ de référence reste fondamentalement identique. La translation est un processus de reconfiguration qui permet d’adapter un niveau d’organisation - celui d’un stade évolutif particulier - aux changements du contexte global dont il fait partie. Dans la transformation verticale, par contre, le champ de référence se métamorphose et évolue vers un niveau supérieur d’organisation.

La transformation est un processus d’auto-émergence bien connu des penseurs systémiques. Cette auto-émergence est cause et effet d'une nouvelle dynamique intégrative qui s’exprime à travers une nouvelle forme d'organisation : une véritable métamorphose. Cette transformation verticale correspond à une nécessité évolutive illustrée par la citation d’Einstein : «Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré ». Phrase à laquelle répond en écho celle de Bernard Werber : « Pour comprendre un système, il faut... s'en extraire ».


Stratégies alternatives et intégratives

Ce qui est vrai de l’individu l’est aussi du mouvement social qui peut donc suivre deux types de stratégies. Les stratégies de translation horizontale, contestataires et alternatives. Les stratégies de transformation verticale, créatrices et intégratives.

Cette distinction est essentielle pour éviter ce phénomène de confusion culturelle à travers lequel la contestation devient l'agent même de la domination. Elle nous permet de comprendre pourquoi, en se situant dans un rapport de contestation, les stratégies alternatives obéissent finalement à la logique de l’adversaire. Stratégies alternatives qui permettent au système dominant de s’adapter au mouvement du monde en récupérant et en intégrant les énergies créatrices et la dynamique vitale de la contestation.

A partir de cette vision intégrale, la contestation apparaît comme la plus fidèle alliée d’un système qu’elle va régénérer. Une étude historique montrerait aisément comment le système capitaliste a utilisé tous les mouvements contestataires en les récupérant pour perdurer sans toucher au coeur de son programme de domination.

Si le mouvement social veut être efficace, il se doit d’être radical et pour être radical il doit dépasser les stratégies alternatives et contestataires qui ont montré leurs limites - celles de la translation sociale - pour envisager une transformation verticale, celle de la création culturelle. Radicalité et verticalité vont de pair : plus les racines sont profondes et plus un arbre s’élève en hauteur.

Il est donc nécessaire de quitter les routes balisées de la contestation, celles de la translation sociale, pour cheminer sur les sentiers - étroits, dangereux et minoritaires – de la création culturelle, ceux de la transformation existentielle.
(A suivre...)

dimanche 25 avril 2010

Ecologie et Société (2) L'homéotélie sociale



Ce billet s’inscrit dans la continuité du précédent où nous faisions référence à un texte d’Alain Galtié intitulé La confusion culturelle ou l’ennemi intérieur dans lequel il décrit l’écologie comme une culture du Vivant fondée sur la sensibilité homéotélique entre la partie et le tout. Le lien homéotélique qui unit l’être humain à son milieu biotique est celui -là même qui l’unit à la collectivité à laquelle il participe.

En déconstruisant les pièges et les illusions du réductionnisme dominant, l’individu retrouve cet instinct vital qui le lie intimement à la communauté du vivant, à la fois naturelle et humaine. En tissant ensemble intérêt individuel et collectif, cette sensibilité homéotélique est à l’origine de l’élan libertaire et convivial qui anime tout mouvement social

Une authentique pensée écologique ne peut donc faire l’impasse du politique. Les solidarités sociales sont l'expression d'une solidarité naturelle qui fonde la communauté biotique. En retrouvant le sens de cette solidarité naturelle, l’individu homéotélique tend à agir, de manière spontanée et organique, dans le sens du bien commun. Tel est le cas des peuples vernaculaires dont la culture traditionnelle était imprégnée d’une connaissance immémoriale : celle de l’économie du vivant.


Une écologie libertaire

Le processus d’une individuation authentique passe donc par la reconnaissance et le développement de ce lien homéotélique. Plus on prend conscience de ce lien, plus on l’incarne à travers ses pensées, ses émotions et ses comportements et plus s'exprime l’essence créatrice d’une individualité singulière profondément intégrée à la communauté du Vivant. Cette conception de l’individuation par participation et intégration du milieu conduit à une définition de « l’égoïsme » fort différente de celles des penseurs libéraux
Ceux-ci estimaient en effet que l’individu était principalement déterminé par son égoïsme et que celui-ci était réductible à la somme des pulsions prédatrices générées par son instinct de conservation. Le comportement de cet individu libéral est donc fondé sur la gestion rationnelle de ses intérêts égoïstes. Telle est la fiction néo-libérale : la gestion rationnelle des pulsions prédatrices qui fondent l'intérêt égoïste.

Dans le cadre d’une écologie qui s’inscrit dans la tradition libertaire, Galtié a une toute autre définition de l’égoïsme : « Ce que me souffle mon égoïsme est la quintessence de l'expérience de l'évolution depuis les premiers frémissements de la vie (et, peut-être, même avant) et c'est un message très différent de celui de sa caricature : "l'égoïsme" version judéo-chrétienne et néo-darwiniste, puisqu'il est tissé par la connaissance ineffable de l'homéotélie. »
Révolution copernicienne due à un changement de perspective : l’égoïsme en tant que produit immémorial de l’évolution devient le moteur d’une politique émancipatrice. Si la pensée libertaire a fait de l'individualité un principe fondateur c'est que cette dernière est animée par un instinct vital - archaïque et homéotélique - qui la lie organiquement à la communauté du vivant.


Epistémologie rationnelle et relationnelle
La reconnexion avec cet instinct pousse l'individu à vouloir se libérer des contraintes du pouvoir technocratique – qu’il soit politique, administratif ou économique – pour envisager des sociétés à la fois autonomes et organiques, fondées sur la coopération en leur sein et la fédération entre elles. Les contraintes de la biopolitique, telle que Foucault l'a conceptualisé, avaient pour rôle de contrôler et de contenir un vitalité instinctive susceptible de subvertir la domination abstraite des institutions modernes et ce, d'une manière d’autant plus violente que cette vitalité est réprimée. La pulsion libertaire n'est rien d'autre que la réappropriation par l’individu d'une vitalité instinctive au service de la communauté du Vivant.
C'est en ce sens qu'une culture écologiste et libertaire s'oppose à une idéologie technocratique et capitaliste selon laquelle l'individu est réduit à ses comportements, ses comportements au calcul rationnel de ses intérêts et ses intérêts à la somme de ses pulsions prédatrices. A travers l'écologie et le capitalisme, deux visions de l'individu et deux types d'épistémologie se confrontent : d'un côté, une vision organique et sensible qui fonde une épistémologie relationnelle et de l'autre, une vision mécaniste et réductionniste qui fonde une épistémologie rationnelle.
L'écologie est une culture instinctive, celle d'une vie fondée sur la relation, l'association et la participation. Le capitalisme une culture distinctive, celle d'un utilitarisme fondé sur la domination, l'abstraction et l'instrumentalisation. La mission que se donne la pensée intégrale est la création d'une épistémologie "intégrationnelle" qui dépasse ses deux formes, l'une traditionnelle et l'autre moderne, en les intégrant dans une niveau supérieur de complexité.
D'où la nécessité d'un travail de réflexion qui permet de bien différencier ces deux modalités épistémologiques avant de les intégrer dans une modalité plus complexe et plus complète. On voit bien là que la politique est toujours sous-tendue par une épistémologie. Faire l'économie de cette réflexion épistémologique c'est à coup sûr reproduire les stratégies de domination à travers des discours d'émancipation.

Les militants existentiels

La reconnexion homéotélique de l’individu à la communauté du Vivant nécessite un travail de libération personnelle vis-à-vis de l’emprise technocratique. Ce thème est très précisément illustré par le film de James Cameron : Avatar. Dans deux de nos prédénts billets sur la diversité cognitive intitulé Le Chaman et le savant (1) et (2), nous avions tenté de montrer à quel point ce film illustrait à travers sa dramaturgie cette tension entre l’intuition vitale, qui est celle de la sensibilité homéotélique, et la rationalité instrumentale qui est celle de l’emprise technocratique. Docteur en sociologie et militant anti-capitaliste, Phillipe Corcuff a écrit un article intitulé « Avatar » contre Cohn-Bendit : l'écologie doit être anticapitaliste que l’on peut lire sur le site Rue 89.

Il y dit ceci : « Cameron met en quelque sorte en images et en son une forme extrême de la contradiction capital/nature. La trame narrative de la science-fiction, reconfigurée avec de nouveaux effets spéciaux numériques, projetée en 3D, donne une vérité éthique et politique proprement cinématographique à une composition fictionnelle... L'anticapitalisme d'« Avatar » est indissociablement collectif et individuel. Se désintoxiquer de l'imaginaire capitaliste passe aussi par une transformation de soi. Jake Sully, ancien marine immobilisé dans un fauteuil roulant devenant « pilote » mental d'un avatar (corps hybride d'ADN humain et de Na'vi), va connaître une véritable conversion : d'infiltré chez les Na'vi à protecteur de leur mode de vie, de soldat impérialiste à eco-warrior. Sully a quelque parenté avec la figure des « militants existentiels » anticapitalistes, caractérisée « par un travail spirituel et politique de chacun de nous sur lui-même, soutenu par des communautés de vie », promue récemment par le philosophe de l'économie Christian Arnsperger dans son stimulant ouvrage « Ethique de l'existence post-capitaliste » (éd. du Cerf, 2009). »

Cette nécessité d’allier travail sur soi et action politique est un des nombreux points de convergence entre l’écologie libertaire défendue par Galtié sur son site Ecologie Planétaire, la vision d’une Politique intégrale développée par nos amis suisses ou celle d’une société post-capitaliste telle que l’envisage Christian Arnsperger, notamment sur son site Transitions. Fondée sur la corrélation entre évolution personnelle et transformation sociale, une nouvelle forme de réflexion politique se fait jour en définissant un nouveau régime, intégral, de la citoyenneté.

Le citoyen intégral
Le citoyen intégral n'est pas réductible à un individu abstrait et rationnel qui cherche à gérer de manière instrumentale et comptable une société réduite au rapport mécanique de domination/soumission entre individus ou classes sociales soumis à la seule loi de leurs intérêts particuliers.
C'est un être vivant, sensible et intelligent qui participe solidairement, subjectivement, et symboliquement à la société politique. Une participation vitale, mentale et comportementale qui le connecte, via le lien homéotélique, à ces divers niveaux d'intégration que sont les communautés locales, nationales et internationales.
Le citoyen intégral a conscience de la profonde corrélation qui existe entre la sphère de sa vie personnelle et celle de la vie publique : son évolution intérieure est la condition nécessaire à la créativité de la société dont il est membre. Le citoyen intégral est un militant existentiel : sa créativité personnelle implique des médiations culturelles et des dynamiques intersubjectives qui vont s'exprimer à travers la forme novatrice d'une organisation sociale leur correspondant.
(A suivre...)

mardi 20 avril 2010

Ecologie et Société (1) Le lien homéotélique



La vision intégrale est une pensée de la totalité qui cherche à s’affranchir de la démarche réductionniste et analytique au cœur du paradigme scientifique depuis quatre siècles. Pour se faire, elle se nourrit, entre autre, de l’observation de la dynamique associative qui préside à l’organisation de la nature et de l’univers. Ceci explique pourquoi certains concepts inspirés par l’organisation du vivant – holon, holisme, holarchie – ont été utilisés dans la théorie intégrale pour décrire l’évolution de la conscience, de la culture et de la société.

Selon Eugene Odum, auteur de Fundamentals of Ecology (1953), premier véritable traité d'écologie selon l’encyclopédie Universalis : « l’ écologie n'est plus une subdivision de la biologie, mais une discipline autonome qui s'occupe de l'intégration des organismes, de l'environnement physique et des hommes*». A la vue de cette dimension profondément holiste et intégrative de l’écologie, rien d’étonnant à ce qu’il y ait de nombreuses convergences et passerelles entre les pensées écologistes et intégrales.

Crée dans le contexte d’une réflexion écologique, un concept comme celui d’homotélie s’avère fort utile dans le cadre d’une sociologie intégrale. Militant et penseur de l’écologie, Alain Claude Gaillé, dans un article intitulé La confusion culturelle ou l’ennemi intérieur met en avant l’importance du lien homéotélique entre la partie et le tout, situé au cœur du vivant. L’homéotélie est un néologisme crée par le théoricien de l’écologie Teddy Goldsmith à partir des mots grecques homoios, le même, et telos, le but, la finalité. Ce mot exprime le lien de coopération entre la partie et la totalité à laquelle elle participe.


Le lien homéotélique

Pour les diverses parties d’un ensemble, le lien homéotélique a pour fonction de maintenir la stabilité et l'intégrité du tout, en sorte qu'elles-mêmes puissent subsister. Selon le grand naturaliste que fût Carl von Linné (1707-1778) : « Les êtres vivants sont si intimement liés, si enchaînés les uns aux autres, qu'ils visent tous le même but auquel nombre de buts intermédiaires se subordonnent*». Les parties apparaissent dès lors comme des moyens au service d’une fin qui est celle de la stabilité et de l’évolution de l’ensemble auquel elles participent. Ce qui fait dire au botaniste, général et philosophe Jan Smuts (1870-1950), un des pionniers du holisme : « On ne peut qu'être frappé par la façon dont les cellules d'un organisme non seulement coopèrent, mais coopèrent dans un but précis : le développement et l'entretien de l'organisme qu'elles constituent.* »

La partie agit donc dans le sens du maintien de l’ensemble à laquelle elle appartient, ensemble qui, de manière rétroactive, permet la cohésion, l’interaction et l’intégration des diverses parties. Ceci explique pourquoi le biologiste autrichien Emil Ungerer a nommé «considération du tout*» l'intentionnalité chez les systèmes vivants. Le rôle central qui est celui du lien homéotélique dans l’organisation de la nature faisait dire à Ludwig von Bertalanffy, fondateur de la théorie générale des systèmes : « L'immense majorité des processus vivants vise à la conservation du tout. Si ce n'était le cas, aucun organisme ne pourrait exister. C'est pourquoi l'on doit investiguer le rôle des processus dans la vie de l'organisme.* » (*Ces citations sont extraites de l’article de Teddy Goldsmith : « Qu’est-ce que l’écologie ?)

Au vu de tout ceci, il apparaît évident que ce concept d’homéotélie peut s’avérer fort utile à la compréhension des sociétés humaines dans la mesure où le lien social lui-même est fortement homéotélique : l'intérêt de l'individu est indissociable de l'intérêt général du groupe ou de la société auquel il appartient. Profondément holiste, les sociétés traditionnelles étaient fondées sur le respect et la valorisation du lien homéotélique entre l’individu et sa communauté.


Du milieu à l'environnement

Sur son site Ecologie planétaire, comme dans ses articles parus dans la presse alternative, Alain Claude Gaillé défend la vision d’une écologie libertaire fondée, entre autres, sur la pensée globale, l’économie du vivant, le fédéralisme, l’autogestion, l’autonomie et le partage des communaux. Pour enrayer la destruction sociale et écologique, et commencer la reconstruction, il propose la restauration de la démocratie et une récupération conviviale de la maîtrise du bien commun.

Mais cette restauration démocratique comme cette récupération conviviale ont pour condition première une indispensable évolution culturelle fondée sur la réévaluation d’une vision holiste et la reconnaissance du lien homéotélique entre l’homme et son milieu. Seule un telle vision globale permet de s’émanciper d’un paradigme technocratique - réductionniste et instrumental – fondé sur le déni du lien sensible entre l’individu, sa communauté d’appartenance et son environnement naturel. L’individu abstrait qui est celui de l’hypermodernité transforme son milieu biotique en « environnement » utilitaire qu'il instrumentalise pour satisfaire ses fantasmes infantiles de toute puissance et une addiction consommatoire qui cherche à compenser son vide intérieur.

Cette transformation du milieu en environnement exprime la coupure du lien homéotélique entre l’homme et son milieu : refoulée, devenue étrangère, la nature qui nous constitue est devenue un environnement dont les ressources sont à exploiter pour en jouir de manière égoïste. L'emprise technocratique sur les consciences est à l'origine d'une profonde aliénation qui rend l'homme d'autant plus étranger à lui-même qu'il devient étranger aux divers milieux à travers lesquels il évolue et se constitue.

Une culture de domination
L'utilitarisme technocratique et la segmentation analytique qu'il opère ne nous permettent pas de percevoir, de nourrir et d’intégrer ce lien de coopération et d’interdépendance qui nous fait participer de manière intuitive et sensible aux diverses milieux - naturel, culturel ou social - dans lesquels nous évoluons. Une segmentation à l’origine d’une culture de domination qui justifie l’exploitation de l’homme par l’homme et de la nature par tous les humains.

Parce qu’il entraîne la perte d’une vision globale permettant d’interpréter son expérience en lui donnant un sens, le réductionnisme crée une profonde frustration et un mal être qui ne peuvent être neutralisés qu’à travers une stratégie disciplinaire de domination des corps et des esprits dont Michel Foucault s’est fait l’historien inspiré. La posture abstraite de la technocratie est celle d’une domination cognitive du sujet sur un milieu biotique réduit à un environnement mécanique.

Cette stratégie abstraite de domination va peu à peu envahir toutes les sphères de la vie et se transformer en domination sociale, culturelle, politique, économique : celle d’une élite bourgeoise qui instrumentalise le savoir scientifique afin d’imposer son pouvoir idéologique en détruisant les références holistes traditionnelles. Ce qui fait dire à Michel Maffesoli : "Le savoir et le pouvoir intimement liés. Voilà ce que l'on peut appeler la relation incestueuse caractéristique de la technocratie moderne." Comme la foi a été longtemps instrumentalisée par l'institution catholique, la science n'est désormais plus qu'un prétexte, le paravent d'une technocratie qui l'instrumentalise pour imposer un modèle dominateur, devenu dès lors dominant, au service de ses intérêts idéologiques et financiers.

Formatage réductionniste
Ce que Foucault nomme le biopouvoir est un pouvoir qui s'exerce sur la vie à travers le contrôle des corps, des esprits et du lien social. L'influence de ce biopouvoir s'exerce notamment à travers les représentations culturelles et les comportements qui valorisent le modèle utilitariste de la technocratie tout en diabolisant toutes les approches subjectives - sensibles et holistes - susceptibles de le remettre en question. L'idéologie républicaine, son universalisme abstrait et son rationalisme scientiste ont été, en France, des éléments-clés de ce formatage réductionniste qui dénie les formes de la vie concrète et sensible : le qualitatif, l'esthétique, l'éthique, l'imaginaire, le ludique, le holisme, la spiritualité.
On connaît le fameux aphorisme de Charles Péguy : " Kant a les mains pures, mais il n'a pas de mains". L'idéalisme abstrait qui définit les Lumières et qui inspire le républicanisme construit un individu abstrait et idéal, création hors sol, sans appartenance sociale, sans filiation culturelle, sans affect et sans milieu naturel.
Dans La République des bons sentiments, Michel Maffesoli, penseur de la post-modernité, convoque Claude Levy-Strauss, penseur des cultures archaïques et auteur de La pensée sauvage pour témoigner de la brutalité du mécanisme d'abstraction : "Levi-Strauss n’hésite pas à soupçonner la Révolution Française d’être à l’origine des « catastrophes » qui se sont abattues sur l’Occident. Et ce parce qu’elle a détruit les libertés réelles au nom d’abstraction nuageuses*. Une telle remarque, provocante mais roborative, a le mérite de rendre attentive aux conséquences sur le long terme du mécanisme d’abstraction (intellectuel, technocratique, politique) qui ne s’embarrasse pas d’une réalité faite de la lente sédimentation des us, coutumes, manières d’être et autres formes de culture humaine. C’est bien contre l’abstraction et son idéalisme brutal et désincarné que l’on doit promouvoir l’antique sagesse du discernement. Celle qui, avec humilité, sait reconnaître le vaste mouvement vital, et en apprécier l’insondable fécondité. (*De près et de loin, éd. Odile Jacob, 1988, p.165, et Le regard éloigné, Plon, 1983, p.380.)"
Au fur et à mesure que sont brisés les liens sociaux, culturels et naturels, hérités d’une tradition holiste, l'individu désaffilié et désaffecté de la modernité est devenu un atome social noyé dans ce que David Riesman a nommé La foule solitaire. Un atome social livré pieds et poings liés à la propagande marchande et au mode de vie à la fois déshumanisé et addictif dont elle est le vecteur. La culture de domination a donc atteint son but : réduire la complexité humaine - évoluant au sein d'une diversité de contextes naturels, sociaux et culturels - à un individualisme atomisé et reconfiguré selon les normes marchandes de la consommation et les normes techniques de la production. Main dans la main, le régime de la Marchandise et celui de la Technique règnent sans partage sur cet individu néo-libéral dont le but est de travailler plus pour produire plus pour gagner plus pour consommer plus !...


Une culture du Vivant
Après d'autres écologistes, Galtié qualifie d'impérialiste cette culture de domination en la définissant à travers les traits suivants : anthropocentrisme, matérialisme, mécanisme, individualisme et néo-darwinisme négateur de toutes les formes de la coopération. Résultat de cette culture impérialiste : un néo-libéralisme qui fait de l'égoïsme, de l'individualisme et des intérêts personnels les références absolues en déniant le lien homéotélique qui fonde le bien commun.
La culture écologiste offre des outils pour s'émanciper de l'emprise du modèle dominant et de l'aliénation dont il est porteur : le collectif y apparaît comme une dimension vitale qui ne peut être réduite à la somme des individualités. La compréhension du lien homéotélique permet d'interpréter le lien social dans toute sa profondeur bio-logique et d'inscrire la défense du bien commun dans une culture du Vivant qui nous libère d'un individualisme mortifère.
Fondée sur une vision holiste ainsi que sur la réévaluation du potentiel cognitif et spirituel de la subjectivité, cette culture du Vivant est animée par le lien vibrant et interactif entre l'homme et son milieu naturel, social et culturel. Culture intégrale à l'origine de modèles novateurs et véhicule d'une diversité cognitive prenant en compte la complémentarité de toutes les facultés humaines et de toutes les épistémologies - rationnelles et relationnelles - qui en découlent, sans aucune exclusive.
(A suivre...)

mardi 13 avril 2010

Citations Inspirées



Une citation inspirée est un cristal de vérité qui révèle et résume en quelques mots une intuition fondamentale inscrite au plus profond de nous.
Ces phrases clés ouvrent les portes de l’essentiel en nous faisant entrevoir les lois et les principes qui régissent la vie, l’homme et l’esprit. Par-delà leurs auteurs, les cultures et les époques, ces citations se répondent les unes, les autres, comme autant de notes accordées harmoniquement à une sagesse immémoriale, inhérente à l’humanité.

Au fil du temps, j’ai noté quelques une de ces citations auxquelles je reviens parfois comme à une source vive. J’ai retrouvé avec bonheur et étonnement nombre de ces citations sur le site Graines de changement. Comme quoi ceux ont soif s’abreuvent aux mêmes sources.
Ces citations inspirées sont effectivement des graines de changement : en focalisant notre esprit sur l’essentiel, elles peuvent nourrir une réflexion qui inspire nos actes et anime nos engagements.



Il n'est rien au monde d'aussi puissant qu'une idée dont l'heure est venue. Victor Hugo

Etre spirituel, c'est être inspiré... J.Y Leloup

J’appelle modernes ceux qui croient qu’en comprenant un moteur, ils sauront où va la voiture. Tariq Demens

La plus grande faiblesse de la pensée contemporaine me paraît résider dans la surestimation extravagante du connu par rapport à ce qui reste à connaître. André Breton

Aller toujours plus avant dans l'élargissement de soi-même aux dimensions de l'infini. Raphaëlle Rérolle

L'idéal est pour nous ce qu'est l'étoile pour le marin. Il ne peut être atteint mais il demeure un guide. Albert Schweitzer

Dans la vie, il y a deux catégories d’individus : ceux qui regardent le monde tel qu’il est et se demandent pourquoi. Ceux qui imaginent le monde tel qu'il devrait être et qui se disent : pourquoi pas ? Georges-Bernard Shaw
Les portes s'ouvrent de l'intérieur, il faut s'effacer pour passer. Louis Pauwels
La sagesse est l'état dans lequel l'homme est à la fois essentiellement homme et au-dessus de l'homme, comme si l'essence de l'homme consistait à être au-dessus de lui-même. Pierre Hadot

Si on nettoyait les portes de la perception, l’Homme verrait les choses telles qu’elle sont : infinies. William Blake

Tous les problèmes que peut connaître un homme sont en rapport avec la conception qu'il a de Dieu. Si votre Dieu est grand, vos problèmes sont plus petits. Si votre Dieu est plus petit, ce sont vos problèmes qui sont grands. Tradition Juive.

Dans l'ordre des choses matérielles, seul le fantastique a des chances d'être vrai. Teilhard de Chardin

L'amour est visionnaire, c'est à dire qu'il voit dans l'être aimé, la divinité qui l'habite. Christiane Singer

Il se pourrait que les seules limites à l’esprit humain soient celles auxquelles nous croyons. Willis Harman

S'il existe un péché contre la vie, il ne consiste pas tant à désespérer de la vie qu'à en espérer une autre et de fuir l'implacable grandeur de celle-ci. Albert Camus

Le but de la vie est de vivre, et vivre signifie être conscient, joyeusement, jusqu’à l’ébriété - sereinement, divinement conscient. Henri Miller

La vie est authentique lorsqu’elle change. Léon Tolstoï

Il n’y a de science que de ce qui a été. Aristote

L’imagination est plus importante que le savoir. A. Einstein

Imaginer, c'est hausser le réel d'un ton. Gaston Bachelard

Tout homme prend les limites de son champ de vision pour les limites du monde. Arthur Schopenhauer
Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré. Albert Einstein
Pour comprendre un système, il faut... s'en extraire. Bernard Werber
J’ai trouvé en Chine moins des solutions à nos problèmes que la dissolution de nos questions. François Jullien
Vous devez être le changement que vous désirez voir dans le monde. Gandhi

La solution du problème que tu vois réside dans une manière de vivre qui fasse disparaître le problème. Wittgenstein
La difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles mais d'échapper aux idées anciennes. John Maynard Keynes

Nombreux sont ceux qui sont persuadés de penser alors qu'ils se contentent de réaménager leurs préjugés. William James

C’est ce que nous pensons déjà connaître qui nous empêche souvent d’apprendre. Claude Bernard

Les hommes gagnent des diplômes et perdent leur instinct. Francis Picabia

L’école devrait toujours avoir pour but de donner à ses élèves une personnalité harmonieuse et non de les former en spécialistes. A. Einstein

Il n'y a pas de bon vent pour celui que ne sait où il veut aller. Proverbe oriental

mercredi 7 avril 2010

Les Concepts de la Théorie Intégrale



La théorie intégrale, telle que Ken Wilber l’a progressivement définie à travers ses œuvres, propose une vision du monde fondée sur l’intégration des disciplines et des divers aspects de l’être humain plutôt que sur la fragmentation analytique des données qui caractérise le paradigme mécaniste de la modernité. Dans un avant propos au volume sept de ses œuvres complètes, Wilber définit son intention de la manière suivante :

« L’intention réelle de mes écrits n’est pas de dire : voici la façon dont vous devez penser. La véritable intention est la suivante : voici quelques une des facettes de cet extraordinaire Kosmos : avez-vous pensé à les inclure dans votre propre conception du monde ? Mon travail est une tentative pour créer dans le Kosmos un espace capable d’accueillir toutes les dimensions, niveaux, domaines, vagues, modes, individus, cultures, etc... ad infinitum. J’ai une règle majeure : tout le monde a raison. Plus particulièrement, tout le monde, et moi également, détient une part importante de la vérité, et toutes ces parts de vérités se doivent d’être honorées, chéries et comprises dans un embrassement plus courtois, plus ample et plus compassionnel....
Mes idées critiques n’ont jamais attaqué la croyance centrale d’aucune discipline, mais seulement la revendication que telle ou telle discipline avait de détenir la vérité unique, et sur ce terrain j’ai souvent été très dur. Chaque approche, je le crois sincèrement, est vraie pour l’essentielle mais partielle, vraie mais partielle, vraie mais partielle, vraie mais partielle... Et sur ma tombe, j’espère de tout cœur qu’un jour quelqu’un écrira : ce qu’il a dit était vrai mais partiel
».

Dans sa préface du livre de Ken Visser – qui vient de paraître en Français sous le titre de Ken Wilber : la pensée comme passion – Wilber définit ce qu’il entend par le mot intégral :

« Le mot intégral, signifie complet, inclusif, non marginalisant, englobant. Les approches intégrales dans bien des domaines ont exactement cette signification : elles incluent autant de perspectives, de styles, de méthodologies possibles à l’intérieur d’une vue cohérente du sujet. Dans un certain sens une approche intégrale est une approche « méta-paradigmatique », ou une façon de rassembler un certain nombre de paradigmes différents dans un réseau de perspectives reliées les unes aux autres et s’enrichissant mutuellement.
Dans les études sur la conscience, par exemple, il y a au moins douze écoles différentes, mais une approche intégrale insiste sur le fait que chacune des douze détient une vérité importante même si elle est partielle, vérité qui a besoin d’être prise en compte dans n’importe quelle approche complète digne de ce nom. Cela est aussi vrai pour les nombreuses écoles de psychologie, de sociologie, de philosophie, d’anthropologie et de spiritualité : elles possèdent toutes une pièce importante du puzzle intégral, et chacune d’elles a besoin d’être reconnue et incluse dans une approche plus complète et intégrale
».

Ken Wilber a donc développé la théorie intégrale comme une boîte à outils conceptuels permettant de préciser son intuition. Pour ceux qui cherchent à mieux comprendre ces notions afin de développer leur propre intuition, Franck Visser, le fondateur du site Integral World a proposé une présentation synthétique des principaux concepts de la théorie intégrale.

Traduite en Français par Eric de Rochefort, cette présentation est disponible sur la section française du site Integral World. Elle donne au lecteur francophone qui désire s'initier aux arcanes de la théorie intégrale des éléments d'informations qui pourront éclairer sa recherche et l'initier aux concepts aussi bien qu'à certains éléments de langage utilisés dans le cadre de la théorie intégrale et dans ce blog qui y fait souvent référence.
Nous proposons ci-dessous la page où sont définis ces principaux concepts, chacune de ces définitions établissant un lien hypertexte avec la page du site Integral World où elle est développée.


Les Concepts Centraux de la Théorie Intégrale


Les Vingt Principes

Dans Sex, Ecology, Spirituality Wilber décrits les "Vingt Principes" de philosophie holonique qui sont communs aux systèmes en évolution ou en croissance où que nous les trouvions.

L’erreur Pré-Trans

La contribution théorique la plus importante de Wilber à la compréhension de la nature du développement spirituel a été appelée "l'erreur pré trans". Nous tendons à mélanger les états prépersonnel et transpersonnel parce que tous deux sont non-personnels.

Les Cinq Phases

Wilber a divisé son propre développement intellectuel en cinq phases, appelées simplement Wilber-1, Wilber-2, Wilber-3, Wilber-4 et plus récemment Wilber-5. La plupart des critiques répondent au travail effectué dans les phases précoces et n'ont pas une compréhension à jour de l'œuvre de Wilber.

Les Quatre Quadrants

Une compréhension intégrale de la conscience humaine devrait au moins inclure les dimensions extérieures et intérieures, aussi bien dans leurs manifestations individuelles que collectives. Ce modèle à Quatre Quadrants constitue le principe directeur du travail le plus récent de Wilber.

Philosophie intégrale

Plus que toute autre école de pensée, la philosophie intégrale combine le meilleur du prémodernisme, du modernisme et du postmodernisme, tout en évitant ses formes extrêmes d'expression.

Les Dix Niveaux

Le modèle des stades évolutifs proposé par Wilber se compose de quatre stades prépersonnels, trois stades personnels et trois stades transpersonnels, – en tout, un modèle de développement humain en neuf étapes. Chacun de ces stades peut être corrélé avec des formes spécifiques de pathologies et de thérapies.

Politique Intégrale

Au cours de ces dernières années, Wilber a étendu son approche intégrale au champ de la politique. Sa vision est celle d'une spiritualité libérale, un humanisme mystique, qui s'étend à gauche, à droite et "vers le haut" – les étapes du développement humain négligées par les deux parties.

Involution et évolution

La vision de Wilber est évolutionniste du début jusqu'à la fin. Il voit le développement non seulement dans la nature, mais aussi dans la culture et la spiritualité. Cependant, l'évolution est sous-tendue par un processus mystérieux d'involution.

Trois types de science

Wilber a réécrit la philosophie de la science de façon non seulement à ancrer les sciences naturelles et sociales, mais aussi à dégager de l'espace pour un troisième type de "science", la méditation ou recherche intérieure, qui suit les mêmes étapes formelles que les deux autres types de science types de science.

Holons

Un concept central de la philosophie de Wilber est le concept du holon, qu'il a emprunté à Arthur Koestler. L'idée est de que tout holon est non seulement un tout, mais fait aussi partie d'un tout plus grand.

Kosmos

La perception du cosmos selon Wilber est très différente de celle de physique, qui tient la matière pour la seule "vraie" réalité. Pour faire de la place à d'autres dimensions d'existence, Wilber a emprunté le terme pythagoricien de "Kosmos".

Postmodernité

La modernité croit naïvement au progrès, la postmodernité a nié toutes conceptions de stades évolutifs comme étant ethnocentriques. La postmodernité constructive - ou intégralisme constructif - s'efforce de trouver le modèle caché derrière toutes les cultures et les visions du monde.

jeudi 1 avril 2010

Ken Wilber, Philosophe du Tout (3)



Ce billet est la suite du précédent Ken Wilber, Philosophe du Tout (2)


Ken Wilber, Philosophe du Tout par Carter Phipps

Troisième Partie

Vivre dans un monde post-métaphysique
Integral Spirituality est une œuvre qui développe bien des idées-clés de Wilber en élargissant sa structure intégrale en évolution permanente pour inclure plus de… eh bien plus « de tout » !... La perspective la plus éclairante du livre est le diagnostic que pose Wilber sur les problèmes affectant la religion et la spiritualité dans notre société contemporaine. Il souligne les raisons pour lesquelles les disciplines méditatives et contemplatives ont été rejetées par les penseurs progressistes d’aujourd’hui tout en proposant d’une manière à la fois précise et prudente un chemin qui intègre l’éveil spirituel aux courants de pointe de la pensée humaine.

Contrairement à bien des philosophes contemporains, Wilber a toujours considéré les grandes traditions de sagesse comme faisant pleinement partie de son « intégralisme universel ». Mais cela pose un problème qu’il expose au début du premier chapitre où il écrit : « Nous commençons avec cette simple observation que les "métaphysiques"* des traditions spirituelles ont été entièrement critiquées (massacrées serait probablement plus juste) à la fois par les épistémologies [théories de la connaissance] modernes et postmodernes, alors que rien à ce jour n’a pu prendre leur place de façon convaincante »

* (Utilisé par Wilber le terme métaphysique renvoie aux problèmes qui traitent des niveaux fondamentaux de l’être ou de la réalité, et de la manière dont nous connaissons cette réalité.)

Dans notre culture moderne, la religion n’a droit à aucun respect. En fait, il n’est pas nécessaire d’être un grand historien pour remarquer que, depuis le Siècle des Lumières en Occident, la religion et la spiritualité sous toutes leurs formes ont été au mieux tolérées et au pire rejetées par les courants progressistes de la pensée occidentale. Et le fossé entre le temporel et le spirituel n’est pas prêt de se combler.
Il suffit d’observer les débats entre les tenants du darwinisme et ceux du « dessein intelligent », la dernière élection présidentielle américaine ou l’actualité d’une violence religieuse qui tend à se mondialiser. Tout ceci est l’expression des tensions qui existent de longue date entre religion et modernité, créant des points de pression et de frictions tant au niveau local et national que global et mondial.
L’analyse de Wilber dépasse heureusement les apparences superficielles de ces guerres culturelles pour pénétrer jusqu’aux racines philosophiques du problème. Comme tout bon docteur, après avoir dans un premier temps examiné ses patients - la religion et la spiritualité - Wilber pose un diagnostique et expose la nature du mal. À l’aide du modèle intégral qu’il a conçu, il montre comment les derniers siècles de la pensée philosophique ont été désastreux pour toute forme de spiritualité.

En fait, il détaille la façon dont la science et les traditions philosophiques des Lumières ont fondamentalement ébranlé la métaphysique ou les structures de croyances des traditions religieuses à un point tel qu’elles n’ont jamais pu s’en remettre. En réclamant des preuves aux revendications religieuses sur la réalité, les penseurs des lumières ont remis en question à la fois la véracité des systèmes de croyances religieuses et la façon dont ceux-ci se sont forgés et développés. La religion chancelle de toute part.
Cette histoire bien documentée a fait récemment l’objet de beaucoup d’attention lors des nombreux débats entre science et religion. Et cela aussi explique pourquoi, au cours des dernières décades, nombre de penseurs spirituels ont tenté de fonder leurs idées sur la science, espérant ainsi que, mieux acceptées par la culture ambiante, elles gagneraient la reconnaissance et l’adhésion de leurs contemporains.

Wilber conteste cette stratégie conventionnelle et trouve d’autres raisons à la position rachitique de la spiritualité dans le monde contemporain. Il estime que ce sont les intuitions de la post-modernité, véhiculée par la philosophie postmoderne, qui ont « achevé » les traditions contemplatives aux yeux des penseurs sérieux. Tant qu’on n’aura pas solutionné ce problème, aucun mariage de la science et de l’esprit, aucune synthèse de la mécanique quantique et du mysticisme, aucun Tao de la physique, aucune danse du maître Wu Li, quelque soit sa profondeur ou sa popularité, ne pourra jamais rien y changer. Et ceci parce que les penseurs postmodernes ont signalé un problème différent. Ce problème, explique Wilber, bien des penseurs spirituels ou religieux actuels parmi les plus populaires continuent inconsciemment de le perpétuer. Il l’appelle le « mythe du donné ».

Selon les penseurs, le mythe du donné prend des noms différents. L'expression elle-même est tirée d'un essai écrit par le philosophe analytique Wilfrid Sellars alors même que Jürgen Habermas, l’un des penseurs les plus respectés de notre époque, s’y réfère comme une « philosophie de la conscience ». En estimant que la connaissance issue de l’introspection n’est pas fiable, ce que l’on nomme le mythe du donné va à l’encontre des suppositions qui fondent les traditions méditatives et contemplatives. En effet, le mythe du donné se réfère au présupposé que ce qui est « donné » à ma conscience est réel, que je peux percevoir la réalité objective seulement à travers mon expérience personnelle.

Complètement absurde, affirment les penseurs postmodernes. Si un moine chrétien a une vision de Jésus, il peut penser voir une réalité spirituelle objective. Les penseurs postmodernes nous disent que ce moine n’arrive pas à reconnaître que sa vision est inévitablement influencée par un énorme conditionnement culturel et social qui prend place avant et hors de la prise de conscience immédiate du moine. Tout comme un hindou ayant une vision de Krishna ou un Tibétain la puissante visitation d’un bodhisattva, il prend un archétype culturel pour la réalité. La plupart d’entre nous ne prennent pas en compte l’influence permanente que peuvent avoir ces contextes collectifs et intersubjectifs sur nos perceptions. Bien avant que quelqu’un ne s’assoit sur son coussin de méditation, « de vastes réseaux de systèmes intersubjectifs… gouvernent à la fois notre prise de conscience et notre conscience » écrit Wilber.

Nous pensons peut-être percevoir la réalité telle qu’elle est alors qu’en fait, nous sommes plus près du personnage principal de notre propre Truman Show, impuissants que nous sommes à voir les forces culturelles les plus subtiles qui influencent de façon invisible toutes nos perceptions, même nos expériences spirituelles les plus chères. Wilber suggère d’examiner ainsi toute religion, tout système philosophique ancien, ou même la plupart des enseignements spirituels contemporains pour s’apercevoir qu’ils se sont tous projetés dans le mythe du donné, d’une manière peut-être inconsciente ou innocente, ce qui n'atténue en rien les reproches des penseurs postmodernes. Ce qui fait dire à Wilber : « Entre les critiques faites par les penseurs modernes et postmodernes, ce qu’il reste des Grandes Traditions peut être déposé dans une petite cuillère ».

Mais Wilber est un docteur plein de compassion, et en dépit de la gravité du mal, il ne le déclare pas mortel. Il présente plutôt une cure qu’il appelle « post-métaphysique intégrale ». Parce que la post-métaphysique intégrale est à la fois profonde et multidimensionnelle nous manquons de place ici pour expliquer tout son sens. Mais ce qu’il est important de saisir, c’est la perspective visionnaire qui anime la recherche de Wilber et ses implications pour la pensée spirituelle du vingt-et-unième siècle.

En replaçant la spiritualité en perspective, à partir des courants intellectuels les plus sophistiqués du moment, il tente de lui rendre une pertinence suite aux trois derniers siècles de pensée philosophique qu’elle a du intégrer. En aucun cas, Wilber ne suggère de se débarrasser de toutes les extraordinaires révélations religieuses de l’histoire et des systèmes métaphysiques qu’elles ont inspirés. Il ne pense pas non plus que nous devrions dénoncer comme illusoires toutes les connaissances issues des sagesses traditionnelles au prétexte qu’il manquait aux sages d’hier une perspective postmoderne.

Il estime plutôt que nous devons restructurer entièrement la façon dont nous abordons ces systèmes antiques, en se délestant de leur métaphysique dépassée tout en préservant leurs extraordinaires contributions. De même pour les enseignements contemporains. C’est une prescription révolutionnaire pour la spiritualité de ce nouveau millénaire, qui transcende radicalement et inclue à la fois les plus ardentes critiques de la religion, de Voltaire à Kant en passant par Foucault. Et Wilber encourage tous les penseurs spirituels contemporains à reconnaître ce qui est en jeu : l’évolution ou l’inadaptation. Selon lui : « Pour survivre dans le monde présent et futur, la spiritualité est et doit être post-métaphysique. »

Le thème d’une post-métaphysique intégrale est le message majeur d'Integral Spirituality. Mais dans le même moment où il élabore cet argument central du livre, Wilber explore un autre territoire en abordant divers sujets. Il propose, par exemple, une analyse fascinante sur la différence existant entre les états de conscience spirituels et les stades du développement humain, en présentant la Matrice Wilber-Combs : une représentation graphique innovante des relations subtiles et complexes entre états de conscience et stades de développement.

Spiritualité intégrale explore aussi les dynamiques de l’extrémisme religieux et précise le rôle critique que la religion peut, et en fait doit jouer, pour désamorcer la guerre globale qui fait rage entre les valeurs de la modernité et celle des cultures plus traditionnelles, ou, comme le dit Thomas Friedman, entre Lexus et l’olivier. Le livre examine les limitations de la méditation et les raisons pour lesquelles l’ombre psychologique - les parties déniées ou dissociées du psychisme de l’individu - ne peut jamais être complètement intégrée par les pratiques spirituelles uniquement. Un problème, dit Wilber, que le Bouddhisme américain ne semble pas vraiment comprendre. Et bien plus encore !...

Le grand historien Will Durant a écrit : « La philosophie est… la tranchée avancée durant la conquête et le siège de la vérité. La science est le territoire conquis et derrière se trouvent les régions sûres où la connaissance et l’art construisent notre monde merveilleux et imparfait. » Les paroles de Durant sonnent toujours aussi juste même si, de nos jours, nous avons souvent oublié la relation organique qui existe entre la pensée humaine de pointe et le futur de la culture humaine. L’approche intégrale de Wilber transmet une formidable foi en ce futur, et suggère qu’il est possible de comprendre notre monde en profondeur.

En même temps, il présente une analyse simple et sensée des problèmes difficiles que nous devons affronter en tant qu’espèce. L’un des ces problèmes est la relation complexe et difficile qui existe entre l’humanité et la transcendance. Nous vivons à une époque où, dans une partie du monde, le fanatisme religieux veut détruire la civilisation moderne au nom de Dieu, pendant que, dans l’autre partie, les partisans de la science et de l’esprit imaginent qu’ils ont trouvé Dieu dans la physique quantique. La beauté du livre de Wilber, Integral Spirituality, tient dans une vaste synthèse qui permet d’expliquer les deux phénomènes