samedi 25 septembre 2010

Evolutions (11) Idées-forces pour le XXI ème siècle (suite)

Auteurs de l’ouvrage Le monde change... et vous ? Clés et enjeux du développement relationnel dont nous avons parlé ici et , Jacques Ferber et Véronique Guérin ont écrit un article intitulé Passer de l’opposition à l’apposition ou comment intégrer ce qui semble contradictoire où ils analysent le changement épistémologique qui est au cœur de la culture intégrale.

Après avoir posé les bases épistémologiques d’une culture intégrale fondée sur la primauté de la relation, les auteurs étudient comment dépasser les oppositions corps/esprit, objectivité/subjectivité, individu/groupe pour retrouver la relation de complémentarité entre ces polarités perçues comme contradictoires par la pensée analytique moderne. C’est en reliant ce que notre esprit analytique avait séparé que nous nous sentons participer à une totalité organique inscrite elle-même dans ce grand processus de développement que constitue la vie. Dans notre dernier billet, nous avons proposé le début de cet article dont voici, ci-joint, la fin.


Passer de l’opposition à l’apposition ou comment intégrer ce qui semble contradictoire. (Suite) Jacques Ferber. Véronique Guérin.

Dépasser la dualité subjectif-objectif

Le deuxième axe tourne autour de l’opposition entre les approches subjective et objective, entre l’expérience intérieure, et l’expérimentation observable, caractéristique de la démarche scientifique. Ces deux visions ont du mal à s’accorder et se rejettent souvent mutuellement.

Les sciences tentent de réduire l’intériorité à une pure matérialité où le sujet n’est qu’un cerveau dont on observe la structure et le fonctionnement, et d’une manière plus générale, l’approche rationnelle cherche à distinguer le vrai du faux et à appréhender le fonctionnement du monde en s’en extrayant le plus possible et, dans ce cadre, la subjectivité est perçue comme un obstacle.

A l’inverse, une conception purement subjective, basée sur l’expérience et le ressenti, tend à placer sur un même plan toutes les interprétations du monde (« je ressens ceci, tu ressens cela, à chacun sa vérité ») au risque d’aller vers un pluralisme relativiste dans lequel plus rien de « solide » n’existe, où l’on rejette toute vérité globale en refusant de confronter l’adéquation de ses croyances avec un raisonnement ou des faits.

Le dépassement de cette dualité entre subjectivité et objectivité passe, d’après nous, par l’intégration de deux processus : d’une part, la mise à l’épreuve de nos idées et modèles du monde par l’expérimentation pratique, d’autre part, l’interaction avec autrui, productrice d’un espace intersubjectif, permettant à la fois de construire et de stabiliser nos représentations sur le monde et sur les autres.

Naturellement nous nous vivons comme entourés d’objets et de situations dont la nature paraît aller de soi, alors qu’elle résulte généralement d’un construit, d’une interaction entre un vécu intérieur et quelque chose qui se trouve extérieur à nous.

Cette intersubjectivité prend en compte le fait que nous nous pensions comme faisant partie d’un monde constitué d’objets, mais également que nous vivions cela depuis notre propre point de vue et que nous créons collectivement ces points de vues. Par exemple, un morceau de musique peut être analysé objectivement par sa structure vibratoire. On peut aussi décrire les activations neuronales qui s’effectuent lors de son écoute. Dans les deux cas, il s’agit d’un point de vue objectif : sur la chose d’abord (la musique) et sur l’individu ensuite (la structure neuronale). Mais cette analyse ne permet pas de décrire et donc de transmettre l’expérience intérieure et le plaisir que l’on peut avoir à écouter un tel morceau.

Maintenant supposons que l’on veuille communiquer cette expérience d’écoute de la musique à quelqu’un de sourd. Si l’on utilise le langage habituel des musiciens ou des mélomanes, on ne pourra pas se faire comprendre d’un sourd de naissance, c’est-à-dire de quelqu’un qui n’a pas vécu ce type d’expérience. Il va falloir essayer d’utiliser un langage approchant, un langage que les sourds pourront comprendre même s’il ne correspond pas directement à l’expérience qu’un bien-entendant peut avoir à l’écoute d’une musique. On parlera alors en termes analogiques, en utilisant des métaphores et des images comme celles qui portent sur la lumière et la couleur.

On utilise la même démarche analogique, lorsqu’un vocabulaire est trop pauvre dans un domaine. L’œnologue, par exemple, lorsqu’il utilise le terme de ‘robe’, de ‘cuisse’, de ‘rondeur’, de ‘vigueur’ d’un vin et autres termes merveilleux essaye de communiquer ce qu’il ressent. Si l’on n’a jamais bu de vin, ces termes paraîtrons pour le moins abscons, et on se dira, mais de quoi parlent ils ? Mais si l’on est œnologue soi-même, le discours d’un autre œnologue est très parlant. Il y a alors création d’un espace intersubjectif, un espace qui n’est pas celui de l’objectivité, mais celui de la mise en commun de ressentis véhiculés par le langage ou d’autres formes de communication.

Rien ne dit que les expériences personnelles que nous faisons, vous et moi, sont les mêmes, que le parfum du vin, le goût de l’orange, l’écoute d’une musique produisent des ressentis semblables. Mais ils sont suffisamment proches pour que nous puissions partager des représentations, des idées, des ressentis, c’est-à-dire pour que nous puissions communiquer, nous mettre d’accord, pour que nous puissions disposer d’un « nous ».
Et cet espace intersubjectif, bien que non strictement objectif – on ne parle pas ici de la structure chimique du vin – est suffisamment rigoureux pour que l’on puisse l’enseigner, le développer, et montrer des différences d’expertises dans ce domaine. Il n’est pas simplement le lieu de « croyances », mais le résultat de cette double interaction avec le monde d’une part (il y a bien du vin) et avec les autres d’autre part.


Intégrer individuel et collectif

Ce troisième axe aborde les interactions entre la dimension individuelle et collective. On oppose souvent ces deux perspectives alors qu’elles s’influencent mutuellement via deux processus : l’immergence et l’émergence.

L’immergence est l’imprégnation qu’une culture ou qu’une société exerce sur un individu, le fait qu’une personne s’approprie des représentations et attitudes du groupe auquel elle appartient. Cette immergence devient, lorsque ces représentations et attitudes sont incorporées dans chacun, ce que Bourdieu appelle l’habitus.

L’émergence est le processus inverse par lequel une « forme collective » est produite par l’interaction entre ses membres. Par exemple, la formation d’une file de fourmis transportant de la nourriture : chaque fourmi se contente de déposer des phéromones lorsqu’elle rapporte de la nourriture et les autres fourmis s’empressent de suivre ce chemin d’odeurs pour remonter jusqu’à la source de la nourriture. Sans coordination globale, la file émerge simplement des interactions entre fourmis qui renforcent la présence de ce « chemin d’odeurs » tant qu’il y a de la nourriture à rapporter au nid.

Dans les sociétés humaines, l’émergence s’exprime par l’apparition de nouvelles technologies qui induisent de nouveaux usages et favorisent la construction de nouvelles structures sociales, conduisant en retour à de nouveaux besoins technologiques, dans des boucles sans fin.
Par exemple, l’apparition d’Internet à la fin des années quatre-vingt dix, avec le courrier électronique et les pages web interconnectées, a permis dans un premier temps à des personnes de communiquer facilement de petits textes, de se transmettre des documents électroniques et d’avoir accès à des informations. Mais ce développement a pris une telle ampleur, que ceux qui n’avaient accès à Internet ont été rejetés de tout un ensemble de réseaux sociaux.

De ce fait, la plupart des occidentaux se sont équipés, ce qui a permis, en retour, un développement de masse de sites de discussions (forums), d’univers virtuels (Second Life, World of Warcraft), de lieux de rencontres et de socialisation (Facebook, Meetic, MySpace), et de places d’échange et de vente d’objets (Ebay). Tout cela a fait émerger, surtout chez les jeunes, de nouvelles pratiques, de nouveaux habitus… lesquels engendrent de nouveaux besoins : il faut pouvoir être connectés 24h sur 24 et une panne d’Internet est vécue aujourd’hui comme une panne d’électricité dans les années soixante-dix. De ce fait les équipements permettant d’être connectés en permanence (Wifi, téléphonie 3G) se sont développés entraînant l’apparition de nouveaux terminaux intégrant téléphonie et web, comme le très branché iPhone d’Apple, qui, à leur tour, ouvrent la porte à de nouveaux usages et de nouveaux besoins.

Ces processus d’émergence ont toujours existé, mais du fait de l’accroissement du développement technologique, ils sont plus visibles. De ce fait, les sociétés évoluent aussi bien de façon structurelle que culturelle ce qui ensuite, par immergence, transforme les mentalités et donc chacun d’entre nous.
Ainsi, le développement du téléphone mobile permet de s’organiser au dernier moment : de ce fait, on tend à ne plus anticiper les problèmes et tout un ensemble de pratiques de coordination fondées sur la planification et la promesse (« je serais demain à midi à tel endroit ») tendent à disparaître au profit d’usages fondés sur la réactivité immédiate (« on s’appelle demain matin pour confirmer»), ce qui conduit à faire évoluer notre vision du monde (passage d’une vision du monde orientée sur la planification à une vision orientée sur la réaction immédiate aux événements).


S’intégrer dans le processus de développement de la Vie

Lorsqu’on travaille à transformer les oppositions en complémentarités qui s’articulent et se nourrissent mutuellement, la dynamique entre corps et esprit, subjectif et objectif ou encore individuel et collectif devient plus fluide.
En portant son attention sur les relations plus que sur les entités, on est plus sensible à leur état et, en conséquence, on détecte mieux les tensions et les conflits qui révèlent une problématique et invitent au changement.

Dans ce cadre, de nouvelles formes d’enseignement transdisciplinaire, éveillant le sens de la complexité du réel, pourraient aider à développer la compréhension, le dépassement et l’intégration de ces oppositions.

D’autre part, pour mieux comprendre ces interactions, des outils conceptuels existent sous la forme, par exemple, d’environnements de simulation. On les retrouve tout particulièrement dans les simulateurs informatiques, et notamment les « serious games », ces programmes informatiques professionnels qui utilisent les techniques du jeu vidéo afin d’apprendre à agir dans une situation complexe.

D’autre part, les techniques de mise en situation, et tout particulièrement celles issues du théâtre-forum, permettent d’appréhender concrètement les tensions et conflits issus des différences de représentations individuelles et collectives et de passer de l’opposition à l’intégration des contraires.
Par exemple, des conflits qui opposent les enseignants et les parents sont joués mettent en scène des personnages qui pensent différemment l’éducation. Leurs représentations du monde semblent s’opposer dans un dialogue de sourds, voire un duel violent et sans issue. En invitant les spectateurs à remplacer les personnages pour explorer différentes manières d’exprimer leur point de vue et d’écouter celui des autres, les positions se décrispent. Les oppositions se fluidifient, facilitant l’émergence de solutions enrichies de la diversité des regards de chacun.

Il s’agit ainsi de passer de la pensée à la conscience : prendre conscience de ce qui relie notre corps et notre esprit, dépasser, tout en l’intégrant, le monde objectif de la science et le monde symbolique et subjectif de la psychologie des profondeurs, percevoir ce qui fait notre singularité mais également en quoi nous sommes reliés les uns aux autres, et en quoi le sens que nous donnons aux choses et aux événements résulte nécessairement d’une intersubjectivité.

Nous naissons, vivons et mourrons, et ce que nous faisons dans notre vie terrestre est à la fois essentiel – car sans l’être et l’action de chacun, l’humanité n’existerait pas – et en même temps un peu dérisoire, car le monde se porte très bien sans chacun de nous en particulier. En d’autres termes, en regardant avec clarté ce que nous savons de la vie, nous pouvons, à notre mesure, prendre nos responsabilités vis à vis du monde et de l’humanité, tout en sachant que nous ne sommes qu’un petit élément dans la dynamique de l’univers.

A ce moment nous pouvons nous ouvrir à l’ineffable et contempler globalement ce que notre esprit analytique a du mal à appréhender, afin de nous fondre, tout en étant acteur, dans ce grand processus de développement que constitue la Vie.

vendredi 24 septembre 2010

Evolutions (10) – Idées-forces pour le XXI ème siècle

Dans notre série de textes concernant l’évolution sous toutes ses formes – biologiques, culturelles, sociales, spirituelles – nous avons consacré les deux derniers billets à l’ouvrage de Jacques Ferber et Véronique Guérin : Le monde change... et nous ? Clés et enjeux du développement relationnel.

Dans cet ouvrage les auteurs traitent de la façon dont la dynamique de l’évolution se manifeste, au niveau collectif et individuel, à travers divers stades ordonnés hiérarchiquement selon une complexité et une intégration croissante. La société, à chaque période historique, et l’individu, à chaque âge de la vie, s’adaptent à leurs conditions d’existence en évoluant à travers ces divers stades. A chaque niveau de la spirale évolutive correspond une vision du monde et un système de valeurs qui déterminent un type de relations spécifique.

La réflexion des auteurs participe d’une anthropologie évolutionniste selon laquelle l’être humain s’inscrit dans une dynamique évolutive qui concerne les formes biologiques et psychiques, sociales et culturelles, cognitives et spirituelles.


Idées-forces pour le XXI ème siècle

Dans un articles intitulé Passer de l’opposition à l’apposition ou comment intégrer ce qui semble contradictoire Ferber et Guérin décrivent le contexte épistémologique et culturel qui préside à l’émergence de cette anthropologie évolutionniste.

Avant d'être posté sur le blog Visions Intégrales de Jacques Ferber, cet article est paru initialement dans un livre collectif intitulé « Idées-forces pour le XXI ème siècle » sous la direction d’Armen Tarpinian. Dans ce livre, des auteurs comme Edgar Morin, René Passet, Joël de Rosnay, Patrick Viveret, Robert Misrahi ou Basarab Nicolescu exposent à travers leurs articles ce qui leur semble être des idées directrices pour le XXI ème siècle.

La présentation de cet ouvrage rend compte du contexte culturel qui est celui de la société de l’information où nous vivons : « Sur les chemins complexes et incertains de l'humanisation, il nous faut dépasser la double illusion de vouloir changer le monde sans se changer soi-même, ou de vouloir se changer soi-même sans changer le monde, et apprendre à relier connaissance de soi et connaissance du monde, formation personnelle et transformation sociale, écologie humaine et écologie terrestre. Ou, pour le dire autrement, intégrer cette démarche transdisciplinaire dans l'éducation comme dans l'action politique, afin de leur donner leurs vraies dimensions humanisantes ».

La complexité des problèmes qui se posent à nous, en ce début du XXI ème siècle, est telle que ces problèmes ne peuvent être résolus dans le même niveau de pensée que celui où ils ont été générés. Selon Ferber et Guérin, une révolution des mentalités s’avère indispensable : « Pour appréhender cette complexité, il devient nécessaire de penser en terme d’apposition et non plus d’opposition, de relier et d’articuler ce qui, a priori, apparaît comme contradictoire... Concrètement, cela revient à mettre en relation ce que l’on oppose traditionnellement... L’attention est mise sur la relation entre les entités plus que sur les entités elles-mêmes. »

Afin de mieux appréhender ce nouveau contexte culturel, nous proposons donc ci-dessous cet article de Ferber et Guérin dont le grand mérite est de présenter simplement des idées fondamentales. Sans reprendre tel quel les modèles de Wilber et sa terminologie, ce texte sensibilise le lecteur au processus d’apposition et d’intégration qui est au cœur de la théorie intégrale.


Passer de l’opposition à l’apposition ou comment intégrer ce qui semble contradictoire. Jacques Ferber et Véronique Guérin.

On peut observer aujourd’hui à quel point nous vivons dans un village global : les prises de décision de Pékin et Washington ont un impact direct sur nos vies. On ne peut plus faire comme si on vivait tranquillement chez soi. Pour mieux comprendre ce qui est en jeu, nous avons besoin d’élargir notre regard pour appréhender le monde de façon plus globale.
Mais on se trouve alors confronté à une grande complexité car tout interagit avec tout : par exemple, la hausse des matières premières procède d’une demande accrue due au développement économique de certains pays émergents comme la Chine ou l’Inde, mais aussi de la spéculation financière mondiale. Cette hausse a un impact direct sur les capacités à s’alimenter des pays du tiers monde : l’africain moyen, qui vit au jour le jour, dans une économie très locale, voit tout de même les prix du riz s’envoler et a de plus en plus de mal à s’alimenter. Le monde est ainsi devenu une entité presque organique dont la complexité résulte de la multiplication des interactions directes et indirectes.

Parallèlement, nous disposons de plus en plus de ressources cognitives et conceptuelles pour aborder cette complexité : l’ensemble des connaissances de toutes les civilisations devient plus accessible et tout un chacun peut, en particulier, grâce à Internet, disposer plus aisément de cette totalité du savoir. Il est cependant parfois difficile de s’en rendre compte car les domaines de compétences sont encore très morcelés : les physiciens ne s’occupent que de matière et d’énergie, les psychologues de processus psychiques, les biologistes pensent en termes d’ADN, les économistes voient tout en termes de coûts et de prix et les pratiquants spirituels se focalisent sur l’élévation de l’âme. Chacun voit midi à sa porte et élabore des solutions locales et ponctuelles qui résolvent certains problèmes du domaine sans prendre en compte leur impact de façon plus large.

Pour appréhender cette complexité, il devient nécessaire de penser en terme d’apposition et non plus d’opposition, de relier et d’articuler ce qui, a priori, apparaît comme contradictoire. C’est la méthode dialectique de Hegel appliquée non plus seulement à l’histoire ou à la philosophie, mais à tous les domaines de la vie. C’est penser de manière « intégrale » comme le préconise Ken Wilber.

Concrètement, cela revient à mettre en relation ce que l’on oppose traditionnellement. Il ne s’agit pas d’amalgamer ces entités dans un tout indifférencié, mais, bien au contraire, de les intégrer dans une structure plus cohérente qui révèle tout à la fois leur complémentarité et l’unité qui résulte de leur union. L’attention est mise sur la relation entre les entités plus que sur les entités elles-mêmes. Cette approche, qui se situe dans la droite ligne de l’approche systémique et de la pensée complexe telle qu’elle a été développée en France par E. Morin, s’applique particulièrement à déboucher sur une pratique, une manière de vivre.

Pour préciser cette perspective, nous allons décrire plus en détails ce passage de l’opposition à l’apposition pour les trois axes qui nous semblent essentiels : l’esprit et le corps, l’objectivité et la subjectivité, l’individu et la société.


Réunir l’esprit et le corps

La différence entre esprit et corps ne cesse de hanter les philosophes et les théologiens depuis l’Antiquité. Aujourd’hui, nous vivons encore souvent dans une vision cartésienne qui dissocie le corps de l’esprit comme s’il s’agissait de deux mondes indépendants, comme si l’esprit était juste « un fantôme dans une machine », qui agirait et vivrait indépendamment du corps.

Cette perspective est celle de la médecine allopathique qui s’applique à soigner le corps indépendamment de l’esprit, mais également celle de la psychanalyse qui tend à sous-estimer l’impact du corps sur le psychisme et les pensées. Intégrer le corps et l’esprit c’est considérer que les processus corporels, les sensations, les émotions, et les pensées s’articulent dans des dynamiques complexes, plus ou moins fluides et sources éventuelles de conflits psychiques.

Longtemps, on a considéré que ces conflits pouvaient être gérés par un esprit assez fort pour dompter les pulsions et réfréner les émotions, puis on a cherché à les résoudre par le seul fait de les exprimer. Mais on s’aperçoit aujourd’hui, comme l’explique le médiatique David Servan-Schreiber, qu’il est plus efficace pour évoluer d’utiliser des méthodes qui passent par le corps et influent directement sur le cerveau émotionnel plutôt que de compter sur le langage et la raison.

Les approches qui articulent corps et esprit sont en pleine expansion : massages, marches et relaxation, art-thérapie, arts martiaux… Les connaissances issues des traditions spirituelles orientales, au travers notamment des différentes formes de méditation et du yoga, commencent à inspirer des programmes de soin pour traiter la dépression par exemple. Et la science regarde en effet avec intérêt ces pratiques, comme le montrent le développement récent de la neuro-psycho-immunologie et l’étude de l’effet placebo, afin de nous amener à mieux comprendre les influences réciproques du corps et de l’esprit.

(A suivre...)

jeudi 23 septembre 2010

Evolutions (9) Le monde change... et nous ? (suite)

Dans notre dernier billet nous avons présenté l’ouvrage de Jacques Ferber et Véronique Guérin : Le Monde change... et nous ? Clés et enjeux du développement relationnel.

Les auteurs y décrivent comment la dynamique de l’évolution se manifeste à travers divers stades évolutifs, individuels et collectifs, auxquels correspondent des visions du monde, des valeurs spécifiques et des types de relations particuliers. La première partie de l’ouvrage est consacrée au développement collectif, le second au développement individuel et le troisième au développement relationnel.


Un modèle développemental

L’être humain n’est pas réductible à une entité abstraite comme pouvait nous le faire penser le paradigme moderne. Dans une perspective intégrale, il est perçu comme l’expression d’un contexte relationnel qui se développe de manière concrète et complexe au fil du temps grâce à la dynamique de l’évolution.

Rentrer en relation avec l'autre c'est comprendre la vision et les valeurs qui l'animent et qui sont l'expression d'un stade de développement spécifique qu’il faut pouvoir identifier. Pour ce faire, Ferber et Guérin utilisent les modèles crées par Ken Wilber, théoricien de la vision intégrale, et ceux de la Spirale Dynamique conçus par Carl Graves.

Wilber comme Graves s’inscrivent dans une perspective développementale peu connue et reconnue au France pour diverses raisons que nous analyserons dans un prochain billet. Dans ces modèles développementaux, un stade évolutif supérieur n’est pas « meilleur » qu’un autre. Chacun de ces stades correspond à la façon dont un individu ou une collectivité s’adaptent à ses conditions de vie à un moment donné.

La théorie n’a d’intérêt que si elle permet d’interpréter notre expérience sous un angle nouveau, plus riche et mieux adapté aux transformations de notre environnement. Cette approche originale permet à Ferber et Guérin d’interpréter le sens de nombreux phénomènes qui demeurent incompréhensibles si on ne se réfère pas à la dynamique évolutive qui les sous-tend et dont ils sont la manifestation. Il en est ainsi notamment de l’évolution de la médecine, des soins psychiques ou de la spiritualité.


Le développement relationnel

Les relations humaines sont toujours polarisées par les stades évolutifs auxquels sont liés les individus en présence. Ferber et Guérin nous donnent des outils pour entrer en relation avec l'autre selon le stade évolutif qui est le sien, auquel correspond une vision du monde et un système de valeurs bien identifiés. Cette connaissance et reconnaissance des divers stades évolutifs est une des clés du développement relationnel.

Véronique Guérin s’est nourrie de ses observations pour élaborer le concept de développement relationnel, situé au cœur de la psychosociologie, qui articule les dimensions individuelles et collectives. L’être humain est un être social qui se développe en relation avec son milieu. Selon Ferber et Guérin, le développement relationnel s’effectue selon deux axes :

« d'une part, un mouvement de différenciation dans lequel l'individu cherche à se singulariser et, d'autre part, un mouvement de rapprochement avec ses congénères dans lequel l'individu cherche le contact, l'affection et l'appartenance. Le développement relationnel consiste à articuler ces deux mouvements de manière à les rendre complémentaires et fluides... En portant son attention sur les relations plus que sur les entités, on est plus sensible à leur état et, en conséquence, on détecte mieux les tensions et les conflits qui révèlent une problématique et invitent au changement. »

Si le livre de Ferber et Guérin s’adresse à tous ceux qui s’inscrivent dans une démarche de développement personnel, soucieuse de l’évolution collective, il peut s’avérer particulièrement utile pour ceux qui exercent une activité fondée sur la relation humain.


Le contexte culturel

La réflexion de Jacques Ferber et de Véronique Guérin s’inscrit dans le contexte d’une anthropologie évolutionniste qui est au cœur de la culture intégrale. Dans les prochains billets nous proposerons quelques textes et réflexions permettant de mieux comprendre le contexte culturel à l’intérieur duquel s’inscrit cette anthropologie évolutionniste ainsi que les raisons pour lesquelles celle-ci trouve un écho chez les avant-gardes culturelles, notamment dans les pays anglo-saxons, alors qu’elle reste encore très marginale en France où elle va à l'encontre d'une exception française fondée sur l'universalisme abstrait.

Nous avons bien conscience de la mission impossible consistant à résumer en quelques paragraphes le profond changement de paradigme initiée depuis cinquante ans par un réseau de pionniers et de minorités créatrices qui ont élaboré de nouveaux modèles pour interpréter notre expérience dans un monde en mutation constante.

La brièveté d’une telle présentation ne peut rendre compte de la lente maturation et des multiples étapes qui sont à l’origine de cette véritable métamorphose culturelle. Une telle brièveté impose une approche très générale qui cherchera simplement à tracer les grandes lignes de force en œuvre dans cette métamorphose.

Un paradoxe est au coeur de cette métamorphose : le monde autour de nous n’arrête pas de se transformer et nous avons beaucoup de mal à prendre en compte ce mouvement, enfermés que nous sommes dans des conceptions datées, abstraites et statiques. Le monde change... et nous, nous éprouvons beaucoup de difficultés à interpréter notre expérience au sein de ce monde à partir de modèles devenus largement inadaptés.
Comment interpréter l'expérience vécue dans une société de l’information et de l'interconnexion, mouvante et fluide comme l’océan, avec les outils que nous utilisions naguère sur la terre ferme d’un monde aux frontières délimitées et définies par les concepts avec lesquels nous l’appréhendions ?

Sous peine d’être noyés par le flot des informations et le flux des sensations auxquels nous soumet le rythme d’une vie interconnectée, nous avons besoin de cadres de référence et de cartes globales qui permettent de nous situer dans ce mouvement perpétuel.


La primauté de la relation

Pour ce faire, il est nécessaire de s’émanciper des anciens modes de pensée, ceux de la modernité industrielle, fondés sur sa logique analytique et l’abstraction conceptuelle. Nous ne pouvons plus nous contenter de vivre en apesanteur, en observant le monde d’un point de vue abstrait, en construisant des phénomènes mesurables et reproductibles pour les expliquer à travers l’objectivité d’une visée instrumentale.

Nous sommes immergés dans un flux informationnel dans lequel nous devons nous impliquer, en le canalisant pour en faire une dynamique évolutive et créative. Cette implication nécessite la création de nouveaux modèles qui obéissent à une autre logique, associative et contextuelle.

L’expérience que nous vivons au sein d’un monde interconnecté nécessite à chaque instant de replacer toute information dans son contexte global en percevant de manière intuitive l’architecture de ce système global et son évolution. Il ne s’agit donc plus simplement de distinguer pour analyser mais d’associer pour contextualiser : le temps n’est plus à la simple explication objective mais à l’implication intuitive de la subjectivité dans un milieu complexe.

Des modèles novateurs sont la cause et l’effet de ce changement de paradigme qui consiste à percevoir toute entité comme un ensemble de relations alors que, dans la vision moderne, nous pensions les relations comme des rapports entre des entités abstraites, supposées statiques.

Dans l’ancien paradigme, nous construisions, à partir d’une pensée abstraite et instrumentale, des entités fixes et définies susceptibles d’être observées objectivement pour mieux être utilisées. Là où la pensée moderne observait et mesurait de manière quantitative des rapports mécaniques entre entités statiques, il s’agit de penser le monde et l’expérience vécue en son sein dans des termes nouveaux qui sont ceux, dynamiques, de l’évolution et, qualitatifs, de la relation.

jeudi 9 septembre 2010

Evolutions (8) Le monde change... et nous ?

Après les ouvrages de Patrice Van Erseel et Patrick Drouot qui abordent l’un et l’autre les dynamiques de l’évolution, celles du vivant et de l’hominisation pour le premier, celles des visions du monde et de la conscience pour le second, nous poursuivons notre enquête sur l'évolution avec un livre à la fois original et passionnant qui tranche avec les préjugés et les conformismes de la culture hexagonale : Le monde change... et nous ? Clés et enjeux du développement relationnel de Véronique Guérin et Jacques Ferber.

Dans Du Pithécanthrope au Karatéka, Patrice Van Erseel fait référence à cet ouvrage qui traite de l’évolution individuelle et collective, et notamment du concept de développement relationnel. Afin de vous faire une idée de l’originalité et de la richesse de cet ouvrage, nous vous proposons, ci-dessous, la quatrième de couverture, une présentation des auteurs, la table des matières et un extrait dont le thème est l’écoute.

Dans les billets suivant, nous présenterons le contexte culturel dans lequel s’inscrit la réflexion des auteurs : celui d’une anthropologie évolutionniste au cœur de la culture intégrale.


Quatrième de couverture

Les relations interpersonnelles et sociales traversent souvent des moments conflictuels et des crises. Ces tensions sont parfois à l'origine de transformations personnelles et collectives mais elles sont le plus souvent source d'appréhensions, de crispation et de repli sur soi. Pour que la peur du changement puisse se métamorphoser en ouverture au nouveau et à l'altérité, il est essentiel de mieux comprendre la dynamique d'évolution des personnes et des groupes.

C'est pourquoi cet ouvrage présente, dans une première partie, quelques repères conceptuels tirés de la pensée intégrale de K. Wilber et de la Spirale Dynamique, initiée par C. Graves. Cette grille de lecture développementale qui s'inscrit dans la lignée de la psychologie humaniste est encore peu connue en France. Elle se révèle pourtant tout à fait pertinente pour appréhender plus clairement l'articulation entre le développement personnel et l'évolution des sociétés. En donnant un éclairage nouveau qui intègre la complexité du monde, elle favorise un décryptage serein et tolérant des systèmes de valeurs et des conflits qui les accompagnent.

La deuxième partie de l'ouvrage explore les relations interpersonnelles et met en relief les différentes facettes que peuvent recouvrir l'affirmation et l'écoute. Elle donne les clefs pour développer ses compétences relationnelles et entretenir une relation à soi-même, aux autres et au monde plus souple et fluide.

Enfin, la dernière partie de l'ouvrage présente le théâtre-forum, une approche particulièrement efficace pour favoriser l'évolution des représentations et des attitudes, tant au niveau individuel que collectif.


Les auteurs

Professeur à l'Université de Montpellier, spécialiste en sciences cognitives et en intelligence collective, Jacques Ferber travaille sur la modélisation des processus sociaux et l'élaboration de modèles concernant l'évolution individuelle et collective Il est le créateur du blog Visions Intégrales qui, en se transformant, est devenu Développement Intégral. Ce blog propose, entre autre, un ensemble de réflexions sur l'intégration des sciences et de la spiritualité, en utilisant notamment la théorie intégrale de Wilber, la Spirale Dynamique, les systèmes multi-agents, les sciences cognitives, les théories de la complexité (Maturana, Varela, E. Morin) et, d'une manière générale, tout ce qui se rattache à l'évolution bio-psycho-sociale.

Les lecteurs francophones qui s’intéressent à la culture intégrale trouveront sur ce site des réflexions et des analyses passionnantes sur la vision intégrale et ses applications. Jacques Ferber propose des liens avec ses cours sur La Mémétique ou la Spirale Dynamique. On trouvera aussi en ligne son cours sur La cognition individuelle et collective.

Jacques Ferber est l’auteur de Les systèmes multi-agents. Vers une intelligence collective. Actuellement épuisé, on peut télécharger ce livre ici. Dans un toute autre domaine, il est l’auteur de L'amant tantrique : l'homme sur la voie de la sexualité sacrée. Le blog Sexualité et Spiritualité qu’il a crée est le prolongement et l'approfondissement de cet ouvrage. Une réflexion permanente sur la sexualité d'un point de vue masculin en relation avec le féminin et la spiritualité.

Véronique Guérin conçoit et anime depuis dix ans des événements, conférences et formations sur les problématiques de société et la dynamique d'évolution des individus et des groupes. Ses deux passions, la psychosociologie et le théâtre-forum, l’ont conduite en 1999 à fonder Etincelle, une association pour le conseil et la formation en développement relationnel, avec une équipe d’intervenants spécialisés dans le théâtre forum où les conflits sont mis en scène afin d’être analysés dans le but de trouver des solutions et de dénouer les tensions.

Sur le site d'Etincelle on trouvera de nombreux textes concernant le développement relationnel et notamment un diaporama intitulé : Accompagner l’évolution par la « Spirale Dynamique » et l’approche intégrale. Véronique Guérin est ausi l’auteur de A quoi sert l'autorité. Dans le blog Visions Intégrales, elle est l'auteur de plusieurs billets qui allient profondeur de la réflexion et simplicité dans l'expression.


Table des matières
Introduction

Chapitre 1 : Penser l'évolution

Le monde est évolution. La perspective développementale. Aller du simple au complexe. Les stades définissent une progression. Le chemin de l'évolution. De l'égocentrisme à la décentration. L'individu récapitule le développement collectif. Innovation et stabilisation. L'interaction individu-collectif. L'influence du collectif sur l'individu. L'influence de l'individu sur le collectif. Le co-développement individu-collectif. Intériorité et extériorité. La Spirale du développement.


Première partie : Le développement collectif

Chapitre 2 : Les stades du développement collectif

Le stade instinctif-survie: Beige. Le stade fusionnel-magique: Violet. Le stade égocentrique-impulsif: Rouge. Le stade hiérarchique-normatif: Bleu.
Le stade rationnel-individualiste : Orange. Grandeurs et limites.
Le stade empathique-pluraliste:Vert. Relativisme. Subjectivité et respect de l'intégrité psychique. Le respect de la nature et de soi. Les écueils du courant pluraliste
Le stade adaptatif-intégrateur: Jaune. L'individu tourné vers les projets « humains. Souplesse et adaptation. Le réseau. Intégration des valeurs humaines et spirituelles. Hiérarchies de développement et signification

Chapitre 3 : La dynamique collective

Le développement d'un courant.
La phase de stabilité : Alpha. La phase de tension: Bêta. La phase de crise : Gamma. La phase brusque de résolution: Delta.
Quelques exemples de transitions difficiles. Médecine allopathique et/ou médecine douce? Psychiatrie ou psychothérapie?
Comprendre l'erreur pré-trans. Un exemple : le Non à l'Europe.
Les âges d'un courant. Les formes de résistances.
Les conditions d'apparition d'un nouveau courant. La spécificité des transitions en fonction des courants. Il y a à la fois continuité et rupture entre les courants.
Un courant sème les germes du courant suivant. Un courant peut régresser à des niveaux antérieurs


Deuxième partie : Le développement individuel

Chapitre 4 : Les stades du développement individuel

Le stade instinctif-survie: Beige - Le stade fusionnel-magique: Violet - Le stade impulsif-égocentrique: Rouge - Le stade hiérarchique-normatif: Bleu - Le stade rationnel-individualiste: Orange - Le stade empathique-pluraliste: Vert - Le stade adaptatif-intégrateur: Jaune

Chapitre 5 : La dynamique psychique

Les freins au développement. La croyance qu'on ne peut pas changer. Euh... Je peux choisir de m'arrêter d'évoluer ? ou la fatigue du voyage. Ma tête veut changer mais « ça » résiste en moi...ou les limites de la volonté
Le développement de conscience. L'alchimie du yin et du yang
Les conditions du développement personnel. Condition 1 : Le potentiel de changement. Condition 2: Le niveau précédent est suffisamment stabilisé. Condition 3 : Une dissonance se fait entendre. Condition 4: Les barrières qui entravent l'évolution sont identifiées. Condition 5 : Le processus d'évolution proposé doit être clair. Condition 6 : La transformation doit être consolidée
La crise: danger et opportunité. Les crises de croissance
Le passage d'un stade à un autre
L'impact de l'entourage sur l'évolution individuelle. Quand l'environnement freine ou parasite le développement individuel
Les crispations du psychisme. Sortir le psychisme du cabinet des psys
Développement personnel et développement relationnel


Troisième partie : Le développement relationnel

Chapitre 6 : L'écoute

L'écoute dans tous ses états - L'écoute fusionnelle « les bras ouverts » (Violet) - L'écoute aiguisée du combattant (Rouge) - L'écoute obéissante pour se conformer (Bleu) - L'écoute analytique pour comprendre (Orange) - L'écoute empathique pour favoriser la connaissance de soi (Vert).

Vers une écoute consciente et intégrée. Filtrer ce qui vient de l'extérieur. Adapter la vigilance de son écoute en fonction du danger. Insérer un espace de liberté entre l'écoute et l'obéissance. Élargir l'écoute pour comprendre les différents points de vue. Sortir de l'enlisement

Chapitre 7 : L'affirmation

L'affirmation dans tous ses états - L'affirmation fusionnelle (Violet) - L'affirmation égocentrique (Rouge) - L'affirmation conformiste (Bleu) - L'affirmation argumentée (Orange) L'affirmation qui évite de blesser (Vert)

Vers une affirmation consciente et intégrée. Prendre soin des autres sans les envahir. Oser sa puissance tout en la canalisant - Transformer les comportements sans juger les personnes - Passer de l'opposition de points de vues à l'apposition - Adapter son affirmation

Chapitre 8 : Le théâtre-forum : une approche de développement relationnel

Le théâtre-forum. A l'origine du théâtre-forum: Augusto Boal. Les principes de base du théâtre-forum.
Théâtre-forum et développement relationnel. Le décodage des motivations des personnages. La recherche d'attitudes innovantes. La théâtre-forum et la Spirale du changement.
La pratique du théâtre-forum. La conception du théâtre-forum. La présentation du théâtre-forum. L'animation d'un théâtre-forum.

Conclusion


L’écoute (extrait p.167)

L'écoute est une attitude de réceptivité du moment présent. Cette capacité à être disponible et ouvert à ce qui se passe en soi et autour de soi se révèle être un puissant levier d'apprentissage et de transformation. En effet, sans écoute de ce qui vient de l'extérieur, on ne peut faire évoluer ses représentations.

Pourtant, en comparaison de l'affirmation, elle est le parent pauvre de la communication au point d'ailleurs que les mots « communication » ou «dialogue » sont souvent utilisés pour évoquer uniquement le mouvement de l'intérieur vers l'extérieur: dire, exprimer, agir... Si les apprentissages en expression orale et écrite sont présents depuis longtemps à l'école et dans les formations pour adultes, en revanche, les formations à l'écoute restent encore rares ou réservées au monde de la thérapie, du soin et de la relation d'aide.

Comme si écouter allait de soi ! Du coup, la communication se réduit souvent à un aller simple, de l'intérieur vers l'extérieur, qui vient se heurter à la volonté d'autrui de s'affirmer également. L'affirmation sans écoute ressemble à une expiration qui ne serait pas suivie d'une inspiration... On en perd vite le souffle !

Cette dissymétrie entre l'affirmation et l'écoute va de pair avec une plus grande difficulté à enseigner l'écoute qu'à enseigner l'affirmation: lorsqu'une personne parle, il est aisé de se faire une idée de ses capacités d'expression et de la clarté de sa pensée car l'expression est un mouvement de l'intérieur vers l'extérieur avec un résultat visible. En revanche, il est plus difficile d'évaluer la capacité d'écoute d'une personne car l'écoute est un mouvement de l'extérieur vers l'intérieur dont le résultat reste plus caché.

Tant qu'on ne comprend pas comment fonctionne l'écoute, ce qui la favorise ou ce qui l'entrave, on risque fort de déplorer les manques d'écoute des autres ou de justifier ses propres manques d'écoute sans pour autant progresser. Dans ce chapitre, nous allons explorer les différentes formes et utilisations que peut prendre l'écoute en fonction de notre système de valeurs.

Pour ce faire, on s'appuiera sur les différents stades du premier cycle de la spirale dynamique afin d'éclairer les apports et les limites de chaque forme d'écoute: écoute fusionnelle, écoute égocentrique, écoute conformiste, écoute rationnelle et écoute empathique.
A partir de cette compréhension des différentes formes d'écoute, nous présenterons les caractéristiques d'une écoute intégrée Jaune qui articule avec souplesse et fluidité les différentes formes d'écoute en fonction des situations.