lundi 17 janvier 2011

L'Ere des Créateurs (1)

"Nous sommes dans le monde et en nous-mêmes au croisement de deux civilisations. L’une achève de se ruiner en stérilisant l’univers sous son ombre glacée, l’autre découvre aux premières lueurs d’une vie qui renaît l’homme nouveau, sensible, vivant et créateur, frêle rameau d’une évolution où l’homme économique n’est plus désormais qu’une branche morte." Raoul Vaneigem
Penseur libertaire et figure emblématique de l’Internationale Situationniste, Raoul Vaneigem, est auteur d’un ouvrage qui a profondément inspiré la révolte étudiante de Mai 68 : Le Traité de Savoir Vivre à l’usage des jeunes générations, publié en 1967. En 2002, il publie l’Ere des créateurs dont nous proposons ci-dessous les dernières pages qui constituent une forme de manifeste exprimant la mutation que nous vivons : un bouleversement des mentalités, des mœurs et de la société, porteur de nouvelles valeurs et d'une autre vision du monde.


Raoul Vaneigem. L’Ere des Créateurs

Etrange lucidité que celle qui autopsie le vieux monde et ignore la naissance d’un monde nouveau.
Dans les années 1960, alors que l’efflorescence de l’économie promettait l’état de bien-être pour tous, dénoncer les ravages de la marchandise exposait au sarcasme des sceptiques.

Comment voulez-vous objectaient les bons esprits du temps, que des gens accédant au bonheur garanti par la voiture, la télévision, le logement à loyer modéré et les biens de consommation, songent un seul instant à se révolter ?

Aujourd’hui qu’est venu la mode d’anathématiser l’horreur économique, le même aveuglement empêche de prendre conscience d’une mutation en cours sous nos yeux.

De nouvelles valeurs s’affirment, elles achèvent de ruiner les anciennes, elles mettent en évidence l’amour de la vie, l’imagination créatrice, le progrès humain, la générosité, la solidarité collective fondée sur la conscience individuelle.

Elles ne se fondent pas sur cette bonne volonté qui a toujours annoncé les pires déconvenues. Elles ne peuvent se satisfaire d’une détermination éthique qui, si utile qu’elle puisse être, fait la part trop belle à l’abstraction, à l’intellectualité, à de modernes moutures du vieil impératif catégorique. Elles sont portées par les signes avant-coureurs d’un bouleversement des mentalités, des mœurs, des sociétés et de l’économie nécessaire à leurs besoins.

Quels sont les signes qu’il nous faut recueillir non comme une donnée immédiate, propices à de sottes béatitudes, mais comme les éléments disparates d’une création à entreprendre ?

1 – L’apparition d’un nouveau mode de production, fondé sur les énergies naturelles renouvelables, sollicitant l’exercice de la création et ouvrant la porte à la notion la moins compatible avec l’économie d’exploitation : la gratuité.

2 – Le développement d’une conscience citoyenne et l’amorce de son dépassement dans un projet où le bonheur de chacun soit le garant du bonheur de tous.

Le combat pour la vie implique le passage de la résistance civile et de la désobéissance passive à la création collective de nouvelles relations sociales. Il n’a que faire des règlements de compte entre les gangs affairistes qui mettent le monde en coupe réglée, mais il est en revanche le seul parti capable de chasser les belligérants en confortant le territoire du vivant.
Nous voulons émanciper l’humain de toutes les formes d’économies fondées sur l’exploitation de la nature et de l’homme par l’homme, le dégager de la gangue lucrative qui l’étouffe.

3- L’importance sans cesse croissante accordée, dans le projet d’humanisation de l’homme, à l’école, à l’enfant et à l’action des femmes. Aucun régime ne saurait être toléré où les femmes sont opprimées, car cela signifie que les hommes qui les oppriment ne sont rien par eux-mêmes et se résignent à verser dans le plus veule clientélisme des intérêts mafieux.
L’avenir de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran, de l’Algérie, des pays encore sous la coupe d’une religion* qui perpétue l’absolue prédominance du mâle appartient aux femmes unies par delà les distinctions de nations et de cultures, non celles qui concurrencent le pouvoir viril, comme les Thatcher ou les Benazir Buttho, mais celles qui en finiront avec la brute mâle, militaire et patriarcale.

4 – La recréation du corps, le dépassement de l’hédonisme consumériste et la redécouverte du corps comme lieu de jouissance créatrice. La seule façon de se prémunir contre la haine endémique qui n’attend qu’un prétexte pour déferler, en quelque région du monde que ce soit, c’est d’éveiller partout la conscience d’un bonheur à construire, en privilégiant, en affinant et en harmonisant les plaisirs quotidiens.

5 – Le seul progrès qui nous intéresse désormais est celui de l’humain et de sa faculté spécifique : la créativité. Il n’y a que la puissance imaginative du parti pris de la vie qui puisse révoquer ce parti mondialiste de la mort lucrative, dont le nihilisme arrogant exhibe aux yeux des résignés son triomphe dérisoire.
* (Ndlr : Tout à sa défense légitime de l’émancipation des femmes, Raoul Vaneigem opère ici l’amalgame entre la dimension spirituelle de l’Islam et les formes intégristes et obscurantistes de l’Islamisme qui l’instrumentalisent... Il a existé hier, comme il existe aujourd’hui, un Islam qui défend l’émancipation et le droit des femmes.)

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