vendredi 27 mai 2011

Un Nouveau Stade de l'Esprit Humain (2)




Si vous ne nous laissez pas rêver, nous ne vous laisserons pas dormir. Les Indignés

Avertissement au lecteur : on ne pourra goûter à la substantifique moelle de ce billet sans avoir fait l’effort de lire le précédent qui en constitue le début et dans lequel nous analysions le déphasage profond entre les « élites » au pouvoir et la population, notamment ces générations montantes, inspirées par de nouvelles formes de pensée et de sensibilité qui correspondent à un nouveau stade de l’esprit humain annoncé dès les années 20 par les poètes du Grand Jeu.

Dans ce billet, nous analysons le processus de "décivilisation" qui touche les sociétés occidentales et annonce - telle une mort initiatique - le passage vers ce nouveau stade évolutif. Ce processus de décivilisation est la conséquence d'une démesure qui advient quand le désir humain n'est plus canalisé par une référence éthique ou métaphysique. La toute puissance infantile qui s'empare alors des individus crée une profonde désorganisation nécessitant, pour la dépasser, un sursaut de conscience vers le prochain stade évolutif.


De la Démocratie à l’Oligarchie

Si les élites institutionnelles – politiques et économiques, culturelles et médiatiques – ont perdu leur légitimité, leur crédit et leur autorité, c’est qu’elles sont devenues incapables de tenir le rôle qui devrait être le leur : proposer une vision dans laquelle pourrait se reconnaître une conscience collective en évolution et indiquer une voie permettant à l’action collective d’incarner cette vision. Cette déconnexion profonde entre les élites institutionnelles et la population est la cause et la conséquence d’une profonde dégénérescence démocratique.

Sous l’effet d’un tsunami néo-libéral né de la mondialisation et de la chute du communisme, de la dérégulation financière et de la financiarisation de l’économie, nos sociétés démocratiques se sont peu à peu muées en un nouveau régime - oligarchique - fondé, comme son étymologie l’indique, sur le pouvoir de quelques uns. En début d’année, Hervé Kempf a fait paraître un livre intitulé « L'oligarchie ça suffit, vive la démocratie » où il analyse avec brio cette transformation progressive de la démocratie en oligarchie :

« Sommes-nous en dictature ? Non. Sommes-nous en démocratie ? Non plus. Les puissances d’argent ont acquis une influence démesurée, les grands médias sont contrôlés par les intérêts capitalistes, les lobbies décident des lois en coulisses, les libertés sont jour après jour entamées. Dans tous les pays occidentaux, la démocratie est attaquée par une caste. En réalité, nous sommes entrés dans un régime oligarchique, cette forme politique conçue par les Grecs anciens et qu’ont oubliée les politologues : la domination d une petite classe de puissants qui discutent entre pairs et imposent ensuite leurs décisions à l’ensemble des citoyens. Si nous voulons répondre aux défis du vingt et unième siècle, il faut revenir en démocratie : cela suppose de reconnaître l’oligarchie pour ce qu elle est, un régime qui vise à maintenir les privilèges des riches au mépris des urgences sociales et écologiques »

Une régression psychique

Contrairement à ce que voudrait nous faire croire une culture abstraite, il n’existe pas de séparation stricte entre les sphères du psychisme, de la culture, de la politique, de l’économie et de l’écologie mais un même système global qui décline sa logique de domination à travers toutes ces dimensions. Ainsi la régression oligarchique s’effectue au moment même où la spéculation financière parasite l’économie réelle. Mais cette oligarchie financière n’est que le symptôme social d’une régression qui touche l’être humain au cœur de sa subjectivité.

Car l’idéologie néo-libérale et l’oligarchie financière qui l’incarne sont à la fois le produit et la conséquence d’une démesure - l’hubris des anciens – née d’un désir exacerbé qui n’est plus limitée par aucune référence éthique, idéologique ou métaphysique. Dans nos sociétés de consommation hantées par l’instinct de mort, le désir s’émancipe de tout intention transcendante qui pourrait le transfigurer, comme la pulsion s’émancipe du désir qui fait accéder l’humain à la fonction symbolique.

En levant toutes les formes de censure, l’hubris néo-libérale est sur le plan psychique à la fois la cause et la conséquence d’une régression vers les états archaïques qui sont ceux d’un narcissisme précédant toute différenciation psychique entre le nourrisson et sa mère. L’anxiété produite chez le nourrisson par cet état de dépendance absolue est compensée par des fantasmes de toute-puissance. Quand la psyché adulte régresse à un stade narcissique, elle réactive une toute puissance infantile qui dénie l’ordre symbolique à partir duquel se tisse le lien social.

Je est un Autre : chaque individu participe de cet ordre symbolique qui est à l’origine d’une culture et d’un langage dont il hérite et qui le constitue. La psyché se développe et affirme sa maturité en se décentrant de son égocentrisme primordial pour reconnaître cette altérité fondatrice qui est aussi une dette fondamentale à travers laquelle chaque individu inscrit son destin dans une lignée et devient ainsi membre de la communauté humaine.

La toute puissance infantile dénie et cette dette et cet ordre symbolique au profit d’un fantasme d’auto-engendrement et d’un fonctionnement pervers qui traite l’autre en objet destiné à satisfaire, de manière compulsive, une jouissance pulsionnelle et une reconnaissance narcissique. En déniant l’altérité fondatrice au profit d’un fantasme de toute puissance infantile, l’hubris néo-libérale transforme aussi bien l’économie psychique au cœur de la subjectivité que les méditations culturelles et politiques au cœur de l’organisation socio-économique.

La Cité Perverse

Un certain nombre d’auteurs ont analysé les liens systémiques entre ces trois régimes de domination que sont l’idéologie néo-libérale sur le plan économique, la perversion sur le plan psychique et l’oligarchie sur le plan politique. C’est ce que fait le philosophe Dany-Robert Dufour dans La Cité Perverse : libéralisme et pornographie, un ouvrage aussi profond que lucide où il analyse comment, à travers l'injonction à la jouissance, la libération des pulsions est devenue le moteur de nos sociétés de consommation :

« Nous vivons dans un univers qui a fait de l’égoïsme, de l’intérêt personnel, du self love, son principe premier. Ce principe commande désormais tous nos comportements... Destructeur de l’être ensemble et de l’être soi, il nous conduit à vivre dans une Cité perverse. Pornographie, égotisme, acceptation du darwinisme social, instrumentalisation de l’autre : notre monde est devenu sadien. Il célèbre désormais l’alliance d’Adam Smith et du marquis de Sade. A l’ancien ordre moral qui commandait à chacun de réprimer ses pulsions, s’est substitué un nouvel ordre incitant à les exhiber ».

Déjà, dans La Monnaie vivante en 1970, l’écrivain Pierre Klossowsky est le premier, à affirmer que la perversion sadienne est la norme secrète de nos sociétés de consommation. Depuis, de nombreux auteurs dont Jean-Pierre Lebrun dans La perversion ordinaire : vivre ensemble sans autrui et Charles Melman dans La nouvelle économie psychique, ont approfondi cette intuition en montrant comment l’hubris néo-libérale réduit le désir à la pulsion, le lien social au rapport marchand, le monde des valeurs à celui des intérêts, et le sujet, créateur de sens, à un objet économique totalement chosifié.

Hubris et Nemesis

Dans Le Monde, Hervé Kempf illustre cette réflexion à travers un article intitulé « Hubris lubrique ». Il y fait un parallèle saisissant et significatif entre la catastrophe de Fukushima et l’affaire Strauss-Kahn, deux évènements apparemment inimaginables mais qui ont ceci de commun qu’ils procèdent, selon lui, de cette hubris qui, dans l’antiquité « désignait l'orgueil qui pousse l'être à dépasser la mesure, à vouloir au-delà de ce que le destin lui a assigné. Cette idée résonne de nouveau fortement dans notre culture : car celle-ci fait preuve d'une avidité inextinguible alors même que la biosphère atteint sa limite d'absorption sans dommage des effets de l'activité humaine. »

Le parallèle entre ces deux évènements permet de saisir le lien systémique entre les sphères de la psyché et de la politique, de l’économie et de l’écologie : « Derrière la prédation frénétique, il y a le désir humain. Dans le capitalisme finissant, ce désir s'est affranchi des ressorts métaphysiques grâce auxquels la majorité des cultures le bornaient. En généralisant la marchandisation, il a même établi un trafic sexuel sans précédent historique, et qui réduit l'homme ou la femme au rang d'objet. L'oligarchie, au sommet d'une société humaine profondément inégale, est la plus soumise à cette avidité insatiable, tout en prétendant en faire le standard enviable d'une vie réussie. Les Grecs associaient à l'hubris son châtiment, la nemesis, ou destruction : l'excès du désir de pouvoir, d'argent, de sexe, conduit à la catastrophe pour celui qui en est le jouet. »

Quelque soit la culpabilité de D.S.K, bénéficiaire de la présomption d’innocence, le choc et la sidération provoqués par cette affaire relèvent de sa dimension profondément symbolique - voire mythique - analysée par Irène Théry dans Le Monde : « L'image première qui nous a saisis ne s'arrêtait pas au seul DSK. C'était le choc de deux figures, deux symboles, deux incarnations si extrêmes des inégalités du monde contemporain, que la réalité semblait dépasser la fiction... La femme de chambre et le financier, ou le choc de celui qui avait tout et de celle qui n'était rien. Dans ce face à face presque mythique, les individus singuliers disparaissent, absorbés par tout ce qu'incarnent les personnages ».

Une scène archétypale

Si le fait divers s’élève ainsi dans l’instant à la dimension du mythe, c’est qu’il possède un fantastique pouvoir de révélation. Dans ce qui est devenu le Mythe du Sofitel, la chute d’un homme révèle celle d’un occident déshumanisé. Dans cette tragique confrontation entre celui qui a tout et celle qui n’a rien, se dévoilent en une seule scène trois visages de l’hubris contemporaine qui expriment l’excès du désir dans le domaine du pouvoir (l’oligarchie), dans celui de l’argent (la finance) et dans celui du sexe (la perversion).

Cette scène archétypale renvoie d’une manière crue l’image inhumaine d’une Cité Perverse que l’idéologie dominante et les médias à son service s’emploient à occulter par tous les moyens possibles et notamment par ceux, addictifs et anxiolytiques, proposés par l’industrie du divertissement.

Au moment où se déroulait cette affaire, le mouvement des Indignés en Espagne commençait à partir du mot d’ordre suivant : « Nous ne sommes pas des marchandises aux mains des politiques et des banquiers. L'appétit de puissance et d'accumulation de quelques-uns crée les inégalités, les tensions et les injustices, lesquelles conduisent à la violence, que nous rejetons ». Tel est l’Apocalypse : simultanéité entre la destruction symbolique d’un ordre ancien et révélation d’un nouvel horizon de sens fondée sur ce que les Indignés nomment eux-mêmes une « révolution éthique ».

Hubris technocratique

A la triangulation infernale – perversion, oligarchie, spéculation – il faut ajouter l’hubris technocratique où la toute puissance infantile s’exprime à travers un fantasme d’omniscience profondément mortifère. Fondée sur l’hégémonie de la techno-science, l’hubris technocratique récuse cette diversité cognitive qui allie les explications abstraites de la rationalité, les implications esthétiques de la sensibilité et les intuitions créatrice de l’inspiration au profit d’une épistémologie exclusive fondée sur cette mise à distance abstraite qu’est l’objectivation.

En fragmentant le monde en autant de visées utilitaires, cette pensée réductionniste et fragmentée – celle de l’expertise et de la spécialisation – exclut toute forme de vision globale permettant d’interpréter nos expériences et de partager nos connaissances à partir de références communes. Possédé par un fantasme d’omniscience qui vise à dominer son milieu en l’objectivant, l’hubris technocratique impose un modèle d’abstraction qui ne peut rendre compte de la relation organique – symbiotique et symbolique – entre l’homme et les divers milieux, naturels, sociaux et culturels où il évolue.

Ce modèle réductionniste est à l’origine d’une culture de domination et au cœur de la crise systémique que nous traversons. Le Journal Intégral a suffisamment analysé par ailleurs cette culture de dominationabstraite, hyper-spécialisée, scientiste, utilitariste, réductionniste, technocratique – pour ne pas avoir à y revenir ici en détails. C’est contre cette hubris technocratique que s’affirme une vision intégrale fondée non plus sur la domination abstraite mais sur une diversité cognitive qui s'exprime à travers une "intelligence sensible" où le processus d’abstraction rationnelle est relativisé et compensé par la participation de l'affect, l’instinct organique, l’inspiration créatrice, l’émotion esthétique, la révélation spirituelle et l’intuition globale.

Une approche systémique

Il apparaît dès lors que les dimensions de la subjectivité, de la culture et de la société sont liées les unes, les autres, par un réseau d’interactions qui exprime un même processus de « décivilisation ». Souvent qualifié de « néo-libéralisme » ce processus de décivilisation est autant un régime psychique régressif qu’un modèle utilitariste, autant une forme d’oligarchie qu’un ensemble de techniques spéculatives, autant une emprise médiatique sur les esprits qu’un mode compulsif de consommation et un productivisme forcené fondé l’exploitation illimitée des ressources naturelles.

C’est pourquoi toute tentative de transformation sociale doit passer par une démarche systémique capable de penser ensemble et séparément les dimensions de la subjectivité individuelle, de l’intersubjectivité culturelle, de l’organisation socio-économique, des rapports avec le milieu naturel comme avec l’environnement technologique.

Refuser de prendre en compte toutes ces dimensions pour n’en privilégier que certaines, ne pas saisir leurs interactions, c’est - à coup sûr - se tromper, et de diagnostic et de thérapeutique. Nous renforçons le piège où nous nous trouvons en essayant, pour nous en libérer, de forger des solutions issues du mode de pensée réductionniste et fragmentaire qui l’a généré. Il est somme toute facile de diaboliser un ennemi supposé pour ne pas faire l’effort de se changer soi-même, si pratique de promouvoir un changement politique pour échapper à ses problèmes personnels et faire l’impasse sur sa propre évolution.

Il est bien plus difficile de changer ses habitudes, ses modèles et ses conformismes de pensée en dépassant la posture de contestation qui participe du même paradigme que la position contestée. Contester c’est étymologiquement con-testare : témoigner avec. Fondée sur une politique intégrale, le nouvel horizon de la transformation sociale passe par une stratégie créative fondée sur le dévoilement et l’expérimentation collective d’un nouveau paradigme qui dépasse et intègre l'ancien modèle devenu inadapté.

(A suivre...)

jeudi 19 mai 2011

Un Nouveau Stade de l'Esprit Humain (1)



L'édification d'un nouvel ordre social ou économique ne doit pas faire perdre de vue l'importance de l'édification parallèle d'une nouvelle culture, d'un nouveau stade de l'esprit humain. Roger Gilbert-Lecomte

Le Grand Jeu

A la fin des années vingt, un groupe de poètes se réunit autour de René Daumal, Roger Gilbert-Lecomte et Roger Vailland pour créer la revue Le Grand Jeu. Inspirés notamment par la figure de Rimbaud - le Voyant – ils conçoivent la poésie comme une « métaphysique expérimentale » c'est-à-dire un mode de connaissance à part entière fondé sur l’intuition analogique qui révèle l’unité organique entre l’homme et son milieu.

Leur idée est de retrouver "la simplicité de l'enfance et ses possibilités de connaissance intuitive et spontanée" notamment grâce au développement des facultés extrasensorielles, à la lecture des textes mystiques et, pour certains, à l’usage de drogues. En retournant aux sources mystiques dont elle procède et qui précède tout séparation abstraite entre le sujet et l’objet, la sensibilité poétique participe à la relation secrète et primordiale entre l’homme et le monde, révélant ainsi leur harmonie profonde. Pour Roger Gilbert-Lecomte : « De l'union de la conscience avec l'objet naît la seule possibilité d'une connaissance vraie »

Dans La quête du primitivisme perdu Thierry Galibert analyse le rôle du poète selon le Grand Jeu. Il écrit : « Tout éloignement de ses origines conduisant chaque civilisation à s’éloigner de son état poétique naturel, l’Occident serait passé par trois phases d’évolution : l’état primitif de réceptivité avec la nature, l’homme d’Occident et la synthèse d’Orient et d’Occident que Gilbert-Lecomte voit naître à l’ère romantique. » Cette synthèse entre Orient et Occident, entre implication sensible et raison explicative, correspond selon Gilbert-Lecomte à un « nouveau stade de l’esprit humain ».

Dans une conférence de 1932, intitulée Les métamorphoses de la poésie, il écrit ceci : « L'édification d'un nouvel ordre social ou économique ne doit pas faire perdre de vue l'importance de l'édification parallèle d'une nouvelle culture, d'un nouveau stade de l'esprit humain - ce qui est le but du Grand Jeu... Une des caractères de l'esprit d'abstraction, du goût de définir, a été d'établir des clôtures de consommer des séparations de créer des spécialisations." Tu sépares trop cela dans ton esprit " répondait un vieux nègre à un ethnographe qui tentait de systématiser ses croyances, en lui demandant son adhésion.

Puisque notre esprit ne peut se défendre de séparer en définissant au moins faudrait-il établir qu'il y a deux modes d'activités spirituelles chez l'homme, d'une part l'activité logique et scientifique, d'autre part l'activité mythique et de participation. Ces deux modes de pensées au lieu de s'exclure l'un l'autre devraient se développer parallèlement, s'adresser chacun aussi bien à l'esprit, au cœur qu'aux entrailles pour aboutir en somme au but commun de toute culture : une plus vaste connaissance de l'humain, source de toute une évolution morale... le devenir universel doit amener la conscience humaine à être à la fois évoluée dans tous les sens, occidentale et orientale. Alors que le devenir individuel doit amener l'homme à être une synthèse de ce qui caractérise en ce moment l'âge d'enfant et l'âge adulte


Les avant-gardes visionnaires

En l’exprimant avec le vocabulaire de l’époque, Roger Gilbert Lecomte a la prescience de ce qui deviendra le paradigme intégral, ce nouveau stade évolutif qui associe raison explicative et implication sensible à travers « l’intelligence sensible ». On considère aujourd’hui les membres du Grand Jeu comme des visionnaires particulièrement inspirés, ayant dénoncé l’hégémonie d’une culture abstraite et anticipé l’évolution culturelle qui se déroulera tout au long du siècle.

A travers leur quête d’un « nouveau stade de l’esprit humain » fondé sur la synthèse de la raison et de l’intuition, les protagonistes du Grand Jeu dévoilait la dynamique culturelle qui devait animer tous les mouvements d’avant-gardes du vingtième siècle, du surréalisme d'avant-guerre à la contre-culture des années soixante, de la quête du nouveau paradigme des années quatre vingt à l’émergence actuelle, en ce début du millénaire, d’une « vision intégrale ».

Roger-Gilbert Lecomte avait théorisé le rôle visionnaire des avant-gardes culturelles en ces termes : « Au dessus de l'époque même, bien que coexistant avec elle, certains esprits font déjà partie de l'époque suivante, celle qui n'est pas encore mais devient... Cela signifie sans doute qu'à chaque époque une avant garde défend " les bastions avancés de la pensée " et que les contemporains sont à la traîne avec cinquante ans de retard. Ce décalage n'est pas du seul domaine de la poésie, il appartient à toute la vie de l'esprit.

Les hommes politiques réalisent ce que les théoriciens ont élaboré au siècle précédent. Le sens commun fait sienne une philosophie morte un siècle auparavant et si l'Université reflète une pensée plus proche de nous, tous deux ensemble demeurent en général parfaitement fermés à la pensée vivante de leur époque.
»

Un profond déphasage

S’il existe à chaque époque un décalage entre la dynamique créatrice de la pensée instituante et le conformisme de la pensée institutionnelle, ce décalage devient profond déphasage, parfois abîme, dans les périodes de mutation comme celle que nous sommes en train de vivre. Un déphasage analysé ainsi par le sociologue Michel Maffesoli :

« Car c’est cela qui est en cause : l’extraordinaire déphasage des élites intellectuelles et politiques par rapport aux choses de la vie. Leur incompréhension d’une vitalité qui leur échappe... Cette postmodernité naissante que le conformisme et la paresse intellectuelle se refusent à qualifier comme telle, où un intense grouillement culturel expérimente, spirituellement et existentiellement, ce que seront les modes de vie à venir. Matérialisme mystique, spiritualisme corporel, et autres oxymores du même ordre, voilà bien ce qui est en gestation pendant que notre intelligentsia patine en un entre-soi douillet, et tente de rafistoler, tant bien que mal l’édifice de la Pensée Officielle.

Ce faisant, elle est incapable de saisir les ressorts intérieurs de l’époque. Ce que j’appellerai d’une manière qui peut paraître paradoxale, ces racines aériennes grâce auxquelles les nouvelles formes de solidarité, les divers
manifestations de générosité, propres aux nouvelles générations, tout à la fois s’enracinent profond dans les archétypes de l’espèce, valeurs chtoniennes, celle de Dyonisos, sans oublier un idéal, plus nébuleux, caractérisant Apollon. C’est parce qu’elles sont incapable de repérer, et donc de comprendre, cette dialogique, que l’on peut qualifier « d’hermésienne », que les élites, politiques ou intellectuelles, succombent peu à peu à une sorte de lymphocytose, cette décomposition des globules rouges engendrant une maladie invisible, mais bien plus mortelle qu’une blessure voyante... »

Observateur savant et inspiré des mutations sociales et culturelles, Maffesoli nomme post-modernité les nouvelles formes de pensée, de sensibilité et de lien social expérimentées et exprimées par les jeunes générations. Cette post-modernité naissante renvoie à l’intuition visionnaire du Grand Jeu : celle d’un nouveau stade de l’esprit humain fondé sur l’intégration de la raison explicite et de l’implication sensible.

Matérialisme mystique, spiritualisme corporel sont deux expressions qui renvoient l’une et l’autre au refus d’une séparation abstraite entre le corps et l’esprit ainsi qu’à l’affirmation d’une pensée non-duelle fondée sur la participation organique de la sensibilité à ses divers milieux d’évolution, naturel, social et culturel.

Là où la raison explicite ne voit que des faits liés par les lois mécaniques de la causalité, l’intuition analogique et symbolique, fille d’Hermès perçoit des signes porteurs de sens. L’individu post-moderne est à la fois un observateur abstrait qui agit à partir d’une pensée conceptuelle et un créateur de sens qui interprète son expérience en participant, de manière sensible, au contexte social, naturel et culturel dans lequel il évolue.

Un modèle qui a fait son temps

Dans ses travaux, Michel Maffesoli fait souvent la distinction entre l’opinion publique, celle qu’exprime la conscience collective à travers les phénomènes sociaux et culturels, et l’opinion publiée, celle des élites ayant le monopole de la parole. Le déphasage spectaculaire entre la pensée officielle, corsetée dans une modernité abstraite, et les nouvelles générations, porteuses de valeurs post-modernes, est à l’origine d’un mal-être social et d’une colère ressentis par des millions d’individus, profondément insatisfaits d’un modèle qui n’est plus adapté ni à ce qu’ils ressentent, ni à ce qu’ils pensent, ni à ce qu’ils vivent.

Un modèle qui a littéralement fait son temps, celui de la modernité industrielle, mais qui est devenu incapable d’apporter des réponses en terme de valeurs et de sens, aussi bien aux interrogations du présent qu’aux défis du futur. Les solutions d’hier sont devenues aujourd’hui autant de problèmes à résoudre à partir d’un autre niveau de conscience.

Une des principales impasses où nous nous trouvons à l’heure actuelle, c’est cette façon de poser les problèmes actuels à travers des catégories - économiques, politiques ou sociales - qui sont celles de l’ancien paradigme alors même que les solutions adaptées ne peuvent émerger qu’à travers une nécessaire – mais difficile – transformation du modèle à travers lequel nous interprétons collectivement notre expérience.

Du déphasage culturel à la défiance politique

Incapables, par intérêt et par formation, d’effectuer ce changement de paradigme, les élites – politiques, médiatiques, culturelles – sont inaptes à percevoir, à exprimer et à transmettre la vérité de l’époque, enfermées qu’elles sont dans des formes d’abstraction fort éloignées du mouvement créateur de la vie et de l’esprit. Cette impuissance les conduit à dénier ou à dénigrer toutes les formes de sensibilité et de pensée novatrices qui échappent aux radars idéologiques des gardiens de la culture dominante.

Ce profond déphasage culturel produit une désaffection et à une défiance croissante de la population vis-à-vis des responsables politiques. Aujourd’hui, tout un chacun peut observer dans la vie quotidienne le fossé croissant qui se creuse entre le discours institutionnel et les attentes des citoyens, notamment celles des nouvelles générations qui se reconnaissent de moins en moins dans le mode de vie et de pensée défendues par une oligarchie technocratique et financière.

Publié en Janvier 2011 par le Cevipof, centre de recherches politiques de Sciences Po, le « Baromètre de la confiance politique » permet paradoxalement de mesurer la profonde défiance des français envers leurs élus et dirigeants. Les mesures prises par ce qui est devenu un véritable « Baromètre de la défiance politique » sont édifiantes : 83 % des Français considèrent que les responsables politiques se préoccupent peu ou pas du tout de ce que pensent les gens comme eux !... 57 % des Français considèrent que la démocratie ne fonctionne pas très bien ou pas bien du tout en France alors que 56 % d’entre eux déclare n'avoir confiance ni dans la droite ni dans la gauche pour gouverner le pays.

(A suivre...)


Netographie sur le Grand Jeu

Les métamorphoses de la poésie
. Roger Gilbert Lecomte
Œuvres complètes, tome 1, proses, Paris, Gallimard, 1974, p. 279.

La quête du primitivisme perdu. Le poète selon le grand jeu. Thierry Galibert

Le Grand Jeu de René Daumal : une avant-garde à rebours. Régis Poulet

Testament/Talisman. Note sur Roger Gilbert-Lecomte et Le Grand Jeu. Pacôme Thiellement

Site consacré au Grand Jeu

dimanche 15 mai 2011

Université Intégrale (6) Société et Politiques Intégrales





Ce billet est la suite du précédent où nous présentions la douzième journée de l’Université Intégrale organisée le Mardi 24 Mai au Forum 104 à Paris sur le thème « Société et Politiques Intégrales ».


Après avoir, dans le précédent billet, exposé le contexte dans lequel s'inscrit cette réflexion collective, nous proposons ci-dessous le programme de la journée et la liste détaillée des intervenants.

Le Programme de la journée

8h30 : Accueil musical

9h00-9h15 : Réveil matinal (corps-esprit) avec Justine Caulliez

9h15 – 9h30: Introduction à la journée par Bénédicte Fumey, Comment dépasser nos peurs pour repenser un nouvel imaginaire politique ?

9h30-10h00 : Carine Dartiguepeyrou, Quelle politique pour une nouvelle civilisation ?

10h00-10h45 : Ervin Laszlo, Comment organiser une gouvernance planétaire dans le nouveau paradigme ?

11h15-11h45 : Michel Saloff Coste, Comment créer une nouvelle civilisation au niveau planétaire ?

11h45-12h30 : Edgar Morin, La voie.

12h30-13h00 : Débat avec les intervenants du matin animé par Bénédicte Fumey et Caroline Guidetti.

13h00-14h00 : Déjeuner bio et végétarien

Mise en mouvement avec Justine Caulliez

14h00-16h00 : Table ronde. Quelles sont les conditions d’une démocratie intégrale ou comment aller plus loin dans la démocratie ? : Alexandre Burnand, Alain Dolium, Marc Luyckx Ghisi, animé par Michel Saloff Coste et Bénédicte Fumey.

16h00-16h15 Pause

16h15-16h30 Musique Karine Helbert, Cristal Baschet

16h30-17h15 : Table ronde. Pourquoi développer un nouveau pacte civique ? : Patrice Van Eersel, Jean Claude Deveze, Jean Baptiste de Foucauld, animé par Carine Dartiguepeyrou et Bénédicte Fumey.

17h15-17h30 : Table ronde le regard des jeunes sur la journée et les pistes porteuses d’avenir évoquées au cours de la journée

17h30 : Conclusion et présentation de l’actualité du Club de Budapest et des prochaines universités intégrales avec l'ensemble du comité exécutif du Club de Budapest en France.

17h40 : Fin de la journée

Présentation des intervenants

Alain Dolium
: président co-fondateur du « Do Thank » Echelle humaine incubateur à expérimentations, véritable fabrique transpartisane de bonnes pratiques économiques et sociales. Lancé en décembre 2011 à l’Assemblée Nationale avec une classe créative de 60 personnes, Echelle Humaine présentera ses premières expérimentations en juin 2011. Formé à la Stratégie d’entreprise et aux Marchés Financiers, Alain est diplômé de Sup De Co Amiens et du HEC Montréal. Ex-membre des comités de direction de DHL Express France et de CBS France. Actuel Président co-fondateur du groupe OBAD, société de technologies mobiles en France et aux USA.

Alexandre Burnand : co-fondateur et membre actif du nouveau parti Politique Intégrale Suisse, basé sur la philosophie intégrale et le processus de changements profonds en cours allant de la conscience individuelle aux structures collectives. Alexandre est politologue de formation, spécialisé dans les politiques publiques et l’action des collectivités locales en matière de développement durable, ainsi que dans la gouvernance participative et la promotion de la santé, domaines pour lesquels il a travaillé comme chef de projets au sein de l’ONG suisse Equiterre en partenariat avec les organes publics. Sa motivation est le développement d’une approche plus globale, qualitative et transdisciplinaire dans les secteurs public et privé, intégrant la perspective du bien-être humain et de l’émergence d’une nouvelle conscience planétaire.

Bénédicte Fumey : membre du Club de Budapest France, elle a un parcours de cadre international en marketing et stratégie dans les TIC. Passionnée par le développement soutenable de la civilisation humaine, elle mène depuis plusieurs années des recherches concernant les mutations sociétales en cours, notamment en économie et en politique.

Carine Dartiguepeyrou : présidente du Club de Budapest France, prospectiviste. Elle a contribué à un certain nombre de livres dont récemment le collectif Prospective d’un monde en mutation et Regards de femmes DRH sur un monde en mutation (avec Edgard Added et Wilfrid Raffard).

Caroline Guidetti : co-fondatrice du Club de Budapest France, enseignante en développement durable et journaliste (émission Ressources sur la radio Ici et Maintenant). Caroline explore les liens entre le développement durable et le développement de la personne (sciences cognitives, thérapie, spiritualité), vers une « Evolution désirable ».

Edgar Morin (sous réserve) : sociologue de renommée internationale, chercheur et auteur de nombreux ouvrages dont le plus récent La Voie. Il est membre d’Honneur du Club de Budapest International et a contribué en 2010 à l’ouvrage collectif Prospective d’un monde en mutation.

Eric Grelet : dessinateur. Eric est co-animateur de nos journées de l’Université intégrale.

Ervin Laszlo : président et fondateur du Club de Budapest International, initiateur de Worldshilft Alliance. Il est l’auteur de nombreux livres dont récemment Worldshift 2012 et son autobiographie Simply Genius, and other tales about my life .

Francis Jutand : directeur scientifique de l’Institut Télécom, membre créatif du Club de Budapest France.

Jean-Baptiste de Foucauld : président de Démocratie et Spiritualité, initiateur du Pacte civique et fondateur de Solidarités Nouvelles face au Chômage. Membre d’honneur du Club de Budapest France, il est l’auteur en 2010 d’un ouvrage remarqué L’abondance frugale, pour une nouvelle solidarité.

Justine Caulliez : co-fondatrice de l'association Terre de Conscience, formatrice en communication et développement personnel. Accompagnatrice via l'écoute bienveillante, le coaching de vie, le massage. Diplômée en management international en France et au Mexique, Coach certifiée, Professeure de Kundalini Yoga. Elle animera les intermèdes corps-esprit de la journée.

Marc Luyckx Ghisi : a étudié les mathématiques, la philosophie et la théologie. Il a été pendant près de dix ans, conseiller des Présidents Delors et Santer à la « Cellule de Prospective » de la Commission Européenne à Bruxelles. Il s'y est occupé du sens de la construction européenne, et de ses dimensions éthiques, culturelles, religieuses et politiques, dans le contexte du changement de société. Il est maintenant Doyen de la Cotrugli Business Academy à Zagreb Croatie ; il est aussi Membre du Conseil International d'Auroville en Inde du Sud. Marc est l'auteur de Surgissement d'un nouveau monde.

Michel Saloff-Coste : co-fondateur du Club de Budapest France et initiateur des journées de l’Université intégrale, chercheur, peintre, consultant. Auteur de nombreux livres dont Le management du 3ème millénaire , Trouver son génie et Le dirigeant du 3ème millénaire.

Patrice Van Eersel
: rédacteur en chef du magazine CLES, auteur de nombreux ouvrages dont Ecologie et spiritualité, membre créatif du Club de Budapest France.

Sylvie Lefranc : masseuse ayurvédique, fondatrice de « Chandrakanti Tara-Massages ayurvédiques », ancienne Chargée de mission au ministère de l’Ecologie. Elle sera présente et disponible tout au long de la journée pour ceux qui souhaitent être massés.


La douzième journée de l’Université Intégrale aura Mardi 24 mai 201 de 8h30 à 17h30
 au Forum 104, 104 rue de Vaugirard, 75006 Paris, Métro Montparnasse, Duroc ou St Placide. Pour tous renseignements pratiques, consultez le site de l’Université Intégrale.

mardi 10 mai 2011

Université Intégrale (5) Société et Politiques Intégrales




Mardi 24 Mai aura lieu à Paris la douzième journée de l’Université Intégrale dont le thème est : « Société et Politiques Intégrales ». Parce qu’elle a vocation à décrypter et à accompagner les mutations sociales et culturelles, l’Université Intégrale présentera à cette occasion des réflexions, des initiatives et des acteurs qui élaborent la société et la politique de demain.

Au cours de cette journée, un plateau prestigieux réunira, entre autres, Edgar Morin dont le dernier ouvrage La Voie dresse le constat des maux de notre époque et propose des pistes pour l’avenir, Ervin Laslzo, président et fondateur du Club de Budapest dont nous avons présenté ici les travaux, Alexandre Burnand , co-fondateur et membre actif de Politique Intégrale Suisse, Jean-Baptiste de Foucauld, initiateur du Pacte civique et auteur d’un ouvrage remarqué «L’abondance frugale», Patrice Van Eersel, rédacteur en chef du magazine Clés et Marc Luyckx Ghisi ancien conseiller à la « Cellule de Prospective » de la Commission Européenne à Bruxelles, auteur de "Surgissement d'un nouveau monde".

Une génération spontanée

A chaque grande transition culturelle, on assiste au retour du même phénomène. Prisonnières de modes de pensée qui ne sont plus adaptées à la dynamique de l’évolution culturelle, les élites institutionnelles deviennent incapables d’exprimer les aspirations de la population et des générations montantes. C’est alors qu’inspirée par un profond mouvement de régénération, une intelligence collective s’incarne dans une nébuleuse de groupes qui se mobilisent pour mettre en forme les courants porteurs de l’évolution culturelle.

Par leurs initiatives, ces minorités créatives visent à exprimer le nouvel air du temps à travers une sensibilité et un imaginaire novateurs ainsi qu’à instaurer des idées et des valeurs correspondant à la nouvelle « vision du monde » en train d’émerger. Ce phénomène de génération spontanée se produit à chaque fois que l’humanité doit passer à un nouveau stade de son évolution comme ce fut le cas, par exemple, au dix-huitième siècle, quand la philosophie des Lumières trouvait dans les salons et les loges de la Franc maçonnerie l’espace propice à la diffusion des nouvelles idées.

Nous ouvrons aujourd’hui une nouvelle page de la longue histoire de l’évolution humaine. Fondée sur la triangulation Individu/Raison/Progrès, le monde moderne hérité des Lumières s’effondre sous le poids de multiples crises alors qu’émerge une nouvelle vision du monde - Kosmoderne - fondée sur autre triangulation : Intersubjectivité/Intuition/Intégration. Cette mutation est à l’origine d’un bouillonnement créatif, culturel et social qui se manifeste à travers ce Printemps du Nouveau Monde dont nous nous sommes fait ici l’écho.

Une graine de rénovation

En ce joli moi de Mai, le parti Politique Intégrale Suisse vient de naître officiellement samedi dernier. Pour les observateurs éclairés, cet évènement, riche de sens, est un signe de régénération sociale et culturelle. Après plusieurs années de réflexions et de maturation, un groupe humain participe à la vie politique de son pays en proposant un corpus d’idées et de valeurs, de pratiques et d’organisation, correspondant à une perspective intégrale annoncée par nombre d’auteurs visionnaires.

Il est évident que cette graine de rénovation sociale et politique aura des résonances bien au-delà des frontières suisses même si, comme toujours, il faudra beaucoup de temps aux tenants de la pensée dominante pour en saisir le sens et en comprendre la portée. Dans un entretien récent à Rue 89, Edgard Morin explique que toutes les grandes réformes ont débuté par des initiatives marginales :

« Il ne faut pas oublier que les socialistes, Marx, Proudhon, étaient considérés comme des farfelus, ignorés et méprisés par l'intelligentsia de l'époque. C'est à partir de la fin du XIXe que naissent le Parti social démocrate allemand, le socialisme réformiste, le communisme léninisme, etc... et qu'ils se développent comme des forces politiques formidables ».

Un nouvel imaginaire social

Animé par cet état d'esprit créatif qui est à l'origine de mystérieuses synchronicités, le Pacte Civique sera lancé officiellement le week-end prochain, 14 et 15 Mai, dans la région parisienne. Inspiré par le succès du Pacte écologique et initié par une quinzaine d’organisations de la société civile et des responsables associatifs pour renouveler le vivre-ensemble et rénover la qualité démocratique, le Pacte Civique se constitue autour des quatre impératifs de créativité, sobriété, justice et fraternité.

Le Pacte civique est un appel à des personnes et à des organisations qui sont prêtes simultanément à se transformer et à transformer la société pour inventer un futur désirable pour tous. Il propose des engagements individuels et collectifs tout en interpellant les responsables politiques avec des propositions concrètes pour rénover la démocratie. Une des idées essentielles qui fonde le Pacte Civique est qu’on ne peut changer la société et le monde sans se changer soi-même en profondeur. Transformation personnelle et transformation sociale se font écho et rétroagissent l’une sur l’autre.

Cette idée d’interaction entre l’individu et la collectivité rend compte du nouvel imaginaire social qui se fait jour dans la « société fluide » de l’information et de l’interconnexion où nous vivons. Au contrat social de la modernité entre des individus rationnels et abstraits, dans une société perçue comme un ensemble de déterminismes mécaniques, se substituent des pactes de coopération entre des personnalités impliquées dans le contexte relationnel, évolutif et interconnecté, d’une communauté vivante.

A la culture relationnelle de l’interconnexion correspond un nouveau lien social fondé sur la coopération. Le Pacte Civique exprime cet imaginaire social de la coopération qui remplace peu à peu un contrat social qui a fait son temps - celui de la modernité industrielle - mais qui n’est plus adapté à l’évolution de notre société de l’information.

Un nouvel imaginaire politique

Là où le Pacte Civique traduit l’émergence d’un nouvel imaginaire social, on note, de manière concomitante, l’émergence d’un nouvelle culture politique inspirée par une "vision intégrale". La politique intégrale met au coeur du débat politique l'intersubjectivité qui s'exprime à travers une "vision du monde" partagée. Alors que la culture est ce logiciel commun qui permet le vivre ensemble, la dynamique de l'évolution culturelle au cours du temps conditionne l'organisation sociale, économique et technologique. La politique intégrale est l'expression dans le champ social d'un nouveau stade de l'évolution culturelle.

Lors de la douzième journée de l’Université Intégrale, des personnalités venues d’horizons divers réfléchiront ensemble sur les voies évolutives qui s’ouvrent à l’humanité en ce début de millénaire en se posant les questions suivantes : Comment dépasser nos peurs pour repenser un nouvel imaginaire politique ? Quelle politique pour une nouvelle civilisation ? Comment peut s’organiser une gouvernance planétaire dans le nouveau paradigme ? Comment créer une nouvelle civilisation au niveau planétaire ? Quelles sont les conditions d’une démocratie intégrale ou comment aller plus loin dans la démocratie ? Pourquoi développer un nouveau pacte civique ? Comment ouvrir un espace de dialogue entre les peuples et les civilisations ?

Conçue par Carine Dartiguepeyrou, Michel Saloff Coste, Bénédicte Fumey et Caroline Guidetti du Club de Budapest France, cette journée a été présentée à travers un texte synthétique où sont résumés avec profondeur les enjeux d’une véritable politique de civilisation. C’est ce texte que nous vous proposons ci-dessous.

Le projet d’une politique de civilisation

Après les 30 glorieuses qui se fracassent à la fin des années 70 sur le premier choc pétrolier, nous avons connu 30 ans durant lesquelles nous nous sommes enfoncés de plus en plus profondément dans une crise économique, sociale et écologique.

Economique car la démographie bute déjà sur les limites de la planète. Sociale car les inégalités sont en train de redevenir ce qu'elles étaient au XIXème siècle. Enfin écologique avec la mise à mal de la biodiversité et le réchauffement planétaire.

La droite dans sa volonté de libérer l'initiative reste enfermée dans une idéologie néo libérale trop peu sensible à la dislocation sociale et à la grave crise écologique. Elle s'accroche à une croissance inaltérable des économies des pays développés comme seul moteur du développement sans proposer de véritable solution à la crise économique et sociale.

La gauche a épousé les luttes des minorités vers plus de liberté mais a laissé se déliter l'ancien contrat social sans en proposer de nouveau. La classe moyenne en ressort aujourd'hui précarisée et appauvrie, tandis que la misère engloutit les plus pauvres.

Les écologistes depuis 30 ans n'ont cessé d'alerter les populations sur les risques du développement industriel et les limites intrinsèques de la planète. Défenseurs des espèces en voie de disparition, ils ont quelques difficultés a proposer un projet économique et social crédible, enthousiasmant et convaincant pour les êtres humains ! L'importance croissante et réelle des problèmes écologiques, tout en leur donnant une légitimité renouvelée, les a confronté toujours plus à leurs lacunes en terme de projet sociétal.

Les forces politiques qu'elles soient de droite, de gauche ou même écologiques sont restées dans une grande mesure enfermées dans une vision réductionniste, scientiste et mécaniste. Cependant la crise actuelle remet en cause ces bases même de notre pensée. Einstein explique très bien cette problématique lorsqu'il souligne qu'on ne peut résoudre un problème à l'intérieur même du système de pensée qui l'a produit.

La crise systémique sociétale que nous traversons est structurelle
. Aucune des traditionnelles « recettes politiques » que nous connaissons déjà (libéralisation des marchés, redistribution sociale, préservation marginale de la nature) ne peuvent répondre à l'ampleur de la problématique.

Nous avons besoin d'une nouvelle épistémologie, basée sur les recherches transdisciplinaires les plus avancées en philosophie, sciences économiques, sociales et technologiques, à partir de l'approche systémique, holistique et intégrale.

Nous pouvons imaginer un nouveau système économique, social et écologique qui articule le long moyen et court terme de manière vertueuse ; un espace cognitif où science, art et spiritualité aient leur place dans une véritable culture laïque et intégrale du développement humain. Tel est le projet d'une véritable politique de civilisation.


Dans le prochain billet, nous proposerons le programme détaillé de cette journée ainsi que la présentation des intervenants. Pour les détails pratiques, se référer au site de l’Université Intégrale.

jeudi 5 mai 2011

Une Nouvelle Culture Politique (3)

Au cœur de la Politique Intégrale : l’Intelligence du Cœur

Dans le texte ci-dessous, Monique Centeno, co-présidente de Politique Intégrale Suisse, évoque l’Intelligence du Cœur qui fonde et féconde une politique intégrale.

L'Intelligence du Coeur, qu'est-ce que c'est ? Monique Centeno

Nous vivons aujourd’hui une expérience passionnante: en poussant notre intelligence mentale toujours plus loin, nous réussissons à créer des concepts toujours plus complexes. Dans tous les domaines, la technologie avance à pas de géant vers le progrès, vers toujours plus de confort.

Mais la médaille a une autre face, tout aussi réelle: le visage de notre société est aussi en mutation. Manipulation, abus, irrespect, contrôle, jugement, peur, égocentrisme, pressions inhumaines dans tous les domaines en commençant déjà par l’école – pour être conforme, compétitif, adéquat à une forme-pensée collective qui exige que nous générions du profit. Solitude, perte de sens, déprime, mal-être font partie de cette même société.

Nos libertés disparaissent aussi vite que les espèces vivantes de la Terre. Nous sommes tous les jours confrontés à faire des choix «ou bien, ou bien» – «oui ou non» (cela ne vous rappelle-t-il pas le système binaire de nos ordinateurs?).

Pourquoi en sommes-nous là ? Il y a longtemps, nous avons choisi d’ériger notre intelligence mentale en seul et unique maître à bord. Mais quel est le rôle de notre cerveau? En tout premier lieu, il est responsable de la survie et du bon fonctionnement de notre cops physique dans ce monde. Et pour cela il est d’une efficacité redoutable, heureusement pour nous. Pour accomplir sa tâche, il doit détecter en une fraction de seconde si la situation qui se présente est potentiellement dangereuse ou non. Pour pouvoir le faire, il doit immédiatement être capable de juger ce qu’il rencontre.

Pour être si rapide, il stocke les informations en les séparant selon des critères. Lorsqu’il rencontre quelque chose de nouveau, il cherche rapidement avec quelle mémoire il peut associer ce «nouveau». S’il n’en trouve pas, il met le nouvel élément dans les «ennemis potentiels» pour ne pas risquer la vie du corps physique (vous voyez le lien avec le racisme ou la mise à l’écart des gens «différents» dans une communauté?).

Pour accomplir son travail, il a naturellement développé le talent d’analyser, de séparer et de zoomer son attention vers des éléments toujours plus petits, pour comprendre, pour contrôler… quitte à perdre totalement la vue d’ensemble. La médecine est un bon exemple, et bien des systèmes scolaires également.

Le cerveau aime ce qu’il connaît, il déteste ce qu’il ne connaît pas. Il aime contrôler, pour être sûr que tout se passe «bien». Nous arrivons aux extrêmes jamais atteints d’une société mentale. Mais pourquoi y a-t-il tant d’effets négatifs avec ce magnifique fonctionnement?

Nous avons oublié quelque chose en route… quelque chose qui garantit notre équilibre et notre bien-être. Nous l’avons si bien oublié, que notre mental tout-puissant, lorsqu’il rencontre la manifestation de cette part oubliée, l’étouffe immédiatement et décide que cela n’existe pas.

Et pourtant, c’est avec cette part de nous-même que nous trouvons notre inspiration, que nous créons le nouveau, c’est avec elle que nous percevons réellement que nous sommes tous liés, liés au tout, liés à la Vie. C’est avec elle que nous sentons que tout communique, y compris avec nous, et que nous sommes faits de la même «matière» que chaque être vivant, plante, Terre, Univers et que cette «matière» entend, répond, interagit à tout moment.

Il ne sert à rien de l’imaginer mentalement, c’est hors de portée de notre cerveau !

Il faut oser s’arrêter de faire, et être. Les premiers signes qui nous montrent que nous y parvenons est une étincelle de joie qui s’allume dans notre coeur, et le sentiment physique d’être relié à tout ce qui nous entoure. Ensuite, nous découvrons que ce que nous croyions rigide – comme la matière, le temps, les règles de notre société – est en fait très vivant et interagit avec nous.

Nous réalisons que chacune de nos pensées est une énergie et une communication puissante avec notre entourage, et bien plus loin… La vie devient fascinante passionnante et nous devenons naturellement respectueux, créatifs, accueillants, nous pensons les options sur le mode «et… - et…», nous oublions de juger…

Bienvenue dans l’intelligence du coeur! Bienvenue dans l’énergie quantique! Bienvenue au royaume de l’Amour inconditionnel…

Pour être capables de transmettre ces valeurs dans notre société, une seule solution: nous devons vraiment vivre cette part de nous. Il ne suffit pas de «penser» ainsi. Sinon, nous transmettrions à nouveau un concept mental! Avec Politique Intégrale, nous nous sommes donnés ce défi. Cela nous remplit de joie, stimule notre créativité, nous donne de la force et nous unit avec tous les êtres vivants, la Terre, l’Univers, la Vie.

Une logique intégrative

Telle qu’elle est exprimée par Monique Centeno, l’intelligence du cœur obéit à une logique intégrative qui dépasse la logique binaire et distinctive de l’ancien paradigme. Pour les promoteurs d’une politique intégrale savent, il ne peut y avoir de rénovation politique sans un changement de logique et de logiciel culturel. Pour Gary Zemp, lui aussi co-président de Politique Intégrale, la logique intégrative qui fonde l’intelligence du cœur va profondément transformer l’approche que nous avons du champ politique.

L’apparition de la conscience intégrale dans le discours social et politique va modifier la signification de nombreuses notions. Il est également certain que la conscience intégrale nous aidera à manier les paradoxes qui ne peuvent être compris par les seules compréhension et raison, c’est à dire avec une solution « ou bien – ou bien ». Le paradoxe ne peut se percevoir que si nous autorisons une approche de solution « et – et ».

Un parti intégral représente ce paradoxe, puisque les partis existants se profilent d’autant plus puissamment qu’ils imposent leurs idées en excluant celles des autres, et qu’ils coupent leurs membres des gens ayant d’autres opinions. Un parti intégral sera au contraire très ouvert et inclura les idées des autres. Il essaiera d’intégrer dans ses réflexions toutes les perspectives possibles à prendre en compte et tous les humains, êtres vivants, la Terre et toute la création.

Il partira du principe que tout est lié au tout, et ne créera donc pas ses visions et ses projets depuis la tête, mais principalement depuis l’intelligence du coeur. Il tend vers un renouvellement profond de la vie en société. Il concentrera les forces intégrales de notre pays au niveau politique et répondra aux défis de la vie sociale avec des propositions de solutions politiques qui sont au service de tous les humains et de tout l’environnement.

Un nouvel imaginaire politique

Co-fondateur du Parti Intégral, Alexandre Burnand sera présent lors de la journée du 24 Mai de l’Université intégrale sur le thème « Société et Politiques Intégrales ». Il décrit le processus d’élaboration collective qui permet d'exprimer le nouvel imaginaire politique inspiré par l'intelligence du coeur :

Il s’agit d’une quête collective de dépassement par laquelle les membres du groupe tentent de s’extraire des enfermements idéologiques issus de la bataille politique séculaire entre le camp de la droite et celui de la gauche… Ce n’est donc pas une mince affaire, notamment lorsque nous sommes confrontés à des notions aussi chargées de sens – ou de non-sens… – « qu’étrangers », « compétitivité », « Etat » ou « croissance économique », abordées à travers les diverses votations fédérales ou les papiers de position de Politique Intégrale en construction.

Le champ sémantique de la politique fonctionne comme des limitations à la liberté d’un renouvellement des idées et des actions, c’est-à-dire à la création d’un nouvel imaginaire politique, pour reprendre les termes d’Edgar Morin. Néanmoins, les discussions collectives et l’utilisation de la boussole intégrale nous aident à construire petit à petit un vocable qui dessine les contours des nouvelles pistes à suivre.

Son accent est positif car il donne une large place à l’actuel changement de conscience individuelle et collective que nous vivons et espérons tous. Nous sentons intérieurement que l’idée de démocratie sera appelée à fortement évoluer, voire même à se métamorphoser, afin que compétition économique et exclusions sociales en viennent finalement – et joyeusement ! - à pâlir devant la lumière éclatante de la participation citoyenne, de l’éthique financière, de l’inclusion et de l’échange multiculturels

( Le texte de Monique Centeno est tiré de la Newsletter 5/10 de Politique Intégrale, celui de Gary Zemp est tiré de la Newsletter 4/10 et celui d’Alexandre Burnand de la Newsletters 1/11. Il est possible de recevoir la Newsletter de Politique Intégrale en s’inscrivant ici. )

dimanche 1 mai 2011

Une Nouvelle Culture Politique (2)

Samedi prochain aura lieu à Berne, en Suisse, la création officielle de Politique Intégrale Suisse, le premier mouvement politique inspiré par une vision intégrale et fondé sur « l’ intelligence du cœur ». Ci-dessous une vidéo réalisée par certains de ses membres présente avec humour quelques principes qui guident cette nouvelle culture politique.




Le rôle de l’intersubjectivité
Dans une modernité encore régie par les principes technocratiques d’objectivation et d’abstraction, l’originalité d’une politique intégrale est de prendre en compte l’intersubjectivité à partir de laquelle se constituent la culture d’un peuple et l’identité de ses membres. Toute société n’est-elle pas, en fin de compte, l’expression d’un consensus culturel permettant aux individus d’interpréter et de partager leurs expériences en référence à une même « vision du monde ».

Dans la perspective « développementale» qui est celle du paradigme intégral, l’évolution culturelle est faite d’une série de stades évolutifs traversés par l’humanité au cours de sa longue histoire. Les évolutions cognitives et épistémologiques déterminent la transformation des médiations culturelles et de l’organisation sociale qui vont à leur tour rétroagir sur les premières en les modifiant.

La politique intégrale met donc la culture au cœur du débat politique, l’épistémologie au cœur du débat culturel et l’évolution cognitive au cœur du débat épistémologique. A chaque stade évolutif correspond effectivement une nouvelle manière de voir le monde qui fait écho au développement des facultés cognitives et morales.

Ce développement a pour conséquence l’émergence de nouvelles formes de pensée et de sensibilité qui impliquent, littéralement, une épistémologie c'est-à-dire une façon d’interpréter notre expérience, une éthique c'est-à-dire un ensemble de valeurs sur lesquelles est fondé la vie commune ainsi qu’une esthétique c'est-à-dire une façon de percevoir et de ressentir.


La crise est dans nos têtes

Il existe un consensus chez les observateurs les plus éclairés des mutations sociales : notre époque est marquée par la fin du cycle de la modernité fondé sur un paradigme utilitaire et réductionniste. Depuis trois décennies, le sociologue Michel Maffesoli analyse les prémisses d’une post-modernité fondée sur un nouveau paradigme, organique et relationnel. Il vient juste de faire paraître un nouvel ouvrage intitulé La Crise est dans nos têtes:

«La crise n'est pas dans les faits, mais dans nos têtes. Désormais, nous ne voulons plus perdre notre vie à la gagner. Le règne du qualitatif détrône le progrès et sa tyrannie du quantitatif, l'écologique destitue l'économique, la consumation remplace la consommation. Au regard du nouveau monde qui s'avance, la querelle des chiffres que se jettent au visage les savants s'apparente ainsi au vieux débat sur le sexe des anges. L'économie est seconde, le sociétal est premier. Le sociologue brosse ainsi un portrait de l'époque qu'il nous invite à ne plus regarder de haut, mais de l'intérieur. »

Ne plus regarder de haut, de cette manière abstraite et arrogante inspirée par une culture de domination observant les phénomènes de l’extérieur comme autant d’objets sans relation avec ce que nous sommes, mais participer de l’intérieur à la dynamique évolutive dont ces phénomènes sont l’expression manifeste: voilà l’évolution épistémologique qui permet de participer à la nouvelle « vision du monde » en train d’émerger.


Un nouvel espace cognitif

Le problème de nos sociétés développés vient du fait que l’oligarchie au pouvoir, tout comme les partis politiques, participent d’une modernité utilitariste – objectiviste et réductionniste – qui n’est plus vraiment en phase avec les valeurs profondes – holistes et relationnelles – qui inspirent et animent la conscience collective en ce début de millénaire.

Il existe un hiatus de plus en plus grand entre les élites institutionnelles et les profondeurs de la société où se tissent de nouvelles formes de pensée, de sensibilité et de lien social. Ce hiatus renvoie à la distinction que faisait, en son temps, Auguste Comte entre «pays légal» et «pays réel». Les politiques défendues par les élites institutionnelles ne correspondent plus ni à l’évolution du lien social, ni à celle de l'imaginaire collectif et des représentations culturelles.

Comme l’écrivent les promoteurs de l’Université Intégrale dans la présentation de leur journée du 24 mai dont le thème est : « La société et les politiques intégrales » : « Les forces politiques qu'elles soient de droite, de gauche ou même écologiques sont restées dans une grande mesure enfermées dans une vision réductionniste, scientiste et mécaniste. Cependant la crise actuelle remet en cause ces bases même de notre pensée. Einstein explique très bien cette problématique lorsqu'il souligne qu'on ne peut pas résoudre un problème à l'intérieur même du système de pensée qui l'a produit.

La crise systémique sociétale que nous traversons est structurelle. Aucune des traditionnelles « recettes politiques » que nous connaissons déjà (libéralisation des marchés, redistribution sociale, préservation marginale de la nature) ne peuvent répondre à l'ampleur de la problématique. Nous avons besoin d'une nouvelle épistémologie, basée sur les recherches transdisciplinaires les plus avancées en philosophie, sciences économiques, sociales et technologiques, à partir de l'approche systémique, holistique et intégrale.

Nous pouvons imaginer un nouveau système économique, social et écologique qui articule le long moyen et court terme de manière vertueuse ; un espace cognitif où science, art et spiritualité aient leur place dans une véritable culture laïque et intégrale du développement humain. Tel est le projet d'une véritable politique de civilisation.
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Une cognition intégrative
L'émergence d’un paradigme intégratif implique les transformations de la conscience collective, du consensus épistémologique jusqu’aux médiations culturelles. C’est à l’intérieur de ce nouvel espace cognitif que peuvent être imaginées des formes d’organisation sociales adaptées à l’évolution des mentalités et du lien social. Toute pensée politique qui ne s’inscrirait pas dans cette dynamique est dores et déjà condamnée à la désuétude et à l’obsolescence.
D’où le désintérêt et la désertion de l'opinion public pour une politique institutionnelle qui cherche à résoudre les problèmes en utilisant toujours les modes de pensée qui les ont générés, et ce, alors même que le rôle des partis politiques est de proposer et de promouvoir des formes d'organisation sociale correspondant à la dynamique de l'évolution culturelle.
C'est bien parce que les partis ne jouent plus ce rôle créatif, empêtrés qu'ils sont dans des tactiques électoralistes à court terme et à courte vue, qu'en ce Printemps du Nouveau Monde fleurit un bouquet d'initiatives qui visent toutes à instaurer un nouvel imaginaire politique correspondant aux valeurs émergentes. On retrouve ce phénomène de créativité spontanée dans toutes les grandes périodes de transition culturelle quand les "élites" ne sont plus à même d'exprimer les aspiration des peuples et des générations montantes.
Dans Le Journal Intégral, nous avons évoqué à de multiples reprises ce nouvel espace cognitif dans lequel entre la pointe la plus avancée de l'humanité. Cette nouvelle perspective est fondée sur l'association et l’intégration du paradigme relationnel de la tradition, du paradigme rationnel de la modernité et du paradigme pluraliste de la post-modernité.
C’est dans l’athanor de ce nouvel espace qu’émerge une forme de cognition intégrative qui associe les facultés mimétiques – analogiques et empathiques – de la sensibilité, les facultés distinctives – abstraites et conceptuelles – de la raison ainsi que les facultés symboliques – créatrices et poétiques – de l’intuition.
Autrement dit un processus d'intégration cognitive entre l’œil de chair, l’œil de raison et l’œil de contemplation, tels qu'ils sont définis par St Bonaventure et repris par Ken Wilber dans Les Trois Yeux de la Connaissance.
Cette forme de cognition intégrative, Raoul Vaneigem la nomme l’intelligence sensible, Edgar Morin, la raison ouverte, Bertolt Brecht, la Grande Méthode, Michel Maffesoli, la raison sensible, Politique Intégrale Suisse, l'intelligence du coeur, pendant que de nombreux auteurs la dénomment de multiples autres façons.
"Politique Intégrale France"
Tous ceux qui désirent savoir quel projet politique peut naître de ce nouvel espace cognitif peuvent se référer au site de Politique Intégrale. Ils pourront y lire notamment quatre « papiers de position » présentant le point de vue de Politique Intégrale sur la société intégrale, la santé intégrale, l'éducation intégrale et l’économie intégrale.
De quoi donner à réfléchir et inspirer ceux qui voudraient s’engager dans le débat public en transposant une telle initiative dans le contexte d’une culture hexagonale profondément abstraite et analytique. Et poser ainsi les bases ce que sera Politique Intégrale France !...