mardi 26 avril 2011

Une Nouvelle Culture Politique (1)


Dans le contexte particulier qui est celui du Printemps du Nouveau Monde dont nous nous sommes fait ici l’écho, la création officielle du parti Politique Intégrale Suisse à Berne, le Samedi 7 mai, est l’expression emblématique d’une nouvelle culture politique.

Dans notre dernier billet, Ken Wilber analysait ce que pourrait être une politique intégrale. A partir de l’exemple de Politique Intégrale Suisse, nous poursuivrons cette analyse en cherchant à mieux comprendre comment un parti politique peut traduire ce nouveau stade de l’évolution culturelle qu’est la « vision intégrale » à travers de nouvelles formes d’organisation sociale...

Un athanor multiculturel

Souvent considérée comme la plus ancienne démocratie du monde, la Suisse est ce pays de sept millions d’habitant où plusieurs langues et cultures – allemande, française et italienne – se côtoient et se métissent pour donner naissance à des œuvres singulières. Né à Genève, Jean Jacques Rousseau (1712-1778) écrit en 1762 « Du Contrat Social » où il pose les bases conceptuelles des démocraties modernes.

Encore très largement méconnu en France, Jean Gebser (1905-1973) a, lui aussi, un rôle de précurseur pour la période post-moderne dans laquelle nous sommes entrés. Ce grand théoricien de l’évolution culturelle a écrit la majeure partie de son œuvre à Berne où aura lieu la création officielle de Politique Intégrale. En 1953, il identifia ainsi les divers stades de l'évolution culturelle : archaïque-instinctif, magique-égocentrique, mythique-traditionnel, mental-rationnel, intégral. Ken Wilber repris cette classification en distinguant deux niveaux dans le stade évolutif qualifié d'intégral par Gebser : le stade pluraliste-post-moderne et le stade intégral proprement dit.

Autre grand penseur suisse, de culture francophone, Jean Piaget (1896-1980) est le pionnier de la psychologie du développement et de ce qu’il nomme « l’épistémologie génétique ». Ses recherches sur les divers stades du développement cognitif de l’enfant ont profondément inspiré les penseurs « intégralistes ».

Une longue tradition

La dimension multiculturelle propre à la Suisse rend ses habitants particulièrement sensibles à toutes les démarches permettant de mieux comprendre les interactions entre les cultures. Rien d’étonnant donc à ce que ce soit dans cet athanor multiculturel qu’une alchimie particulière ait permis la création du premier parti politique inspiré par une vision intégrale. Via la Suisse allemande, la culture allemande a une grande influence dans la création de ce parti.

Les cultures germaniques et anglo-saxonnes ont ceci en commun qu’elles ont tendance à percevoir l'expérience humaine comme l'expression vécue et concrète d'une force dynamique. Et ceci alors que les cultures latines, d’origine romaine et judéo-chrétienne, sont plus focalisées sur la définition conceptuelle de formes abstraites.

Des mystiques rhénans à Goethe, de Hölderlin à Novalis, de Hegel à Rudolf Steiner en passant par Fichte et Schelling, la pensée allemande est l’héritière d’une longue tradition visionnaire – à la fois mystique, romantique et idéaliste – qui conçoit la culture comme l’expression d’une dynamique – celle de la vie et de l’Esprit – et la société comme l’expression organique de cette culture.

C’est cette tradition que le génie de Nietzsche a interprété sous la forme d’une philosophie vitaliste qui est le maillon d’une chaîne reliant la Volonté de Schopenhauer à la Libido de Freud. C’est cette tradition que le nazisme a perverti au service d’une idéologie criminelle à la fois raciale et ethnique.

Un mouvement intégral

En analysant la dérive criminelle du nazisme, en questionnant les limites du vitalisme nietzschéen et celles du réductionnisme freudien qui en est l’avatar, la nouvelle génération allemande a peu à peu retrouvé les sources visionnaires qui sont au cœur d’une tradition culturelle profondément intuitive. Ce faisant, elle perçoit dans la pensée intégrale la formulation d’une approche globale et dynamique propre à cette tradition, mais adaptée au temps post-moderne d’une « société fluide » de l’information et de l’interconnexion.

Ceci explique pourquoi, depuis deux décennies, la pensé intégrale – via les travaux de Ken Wilber et de Jean Gebser – suscitent un grand intérêt et rencontrent un profond écho en Allemagne et, via la Suisse allemande, en Suisse. C’est ainsi qu’un mouvement intégral s’est développé en Allemagne et en Suisse à partir de plusieurs réseaux qui ont organisé en 2008 à St Arbogast (Autriche) un Congrès pour une Politique Intégrale afin de définir et d’approfondir la nouvelle culture politique née d’une approche intégrale. Un second congrès sera organisé en 2012 avec des actions similaires dans d’autres pays européens.

Ce mouvement intégral s’interroge sur la façon de traduire la dynamique de rénovation culturelle propre à la « vision intégrale » en formes novatrices d’organisation sociale. La réflexion d’un groupe de travail chargé de concilier la vision intégrale des participants avec la notion de parti est à l’origine du texte suivant, disponible sur le site de Politique Intégrale, et intitulé : Pourquoi un parti ?


Pourquoi un parti ? Politique Intégrale Suisse

Parti et « intégral » sont en contradiction ! C’est ce qu’on entend parfois parmi les sympathisants de PI (Politique Intégrale) : lorsqu’on a une approche « intégrale » pourquoi justement vouloir créer un parti ? L’idée de parti implique une séparation - être une partie - alors qu’« intégral » veut plutôt relier et conserver une vision d’ensemble Les partis se battent les uns contre les autres et utilisent souvent des tons durs qui n’ont rien d’intégral.

Nous ne sommes qu’une partie

La perception, la pensée et la conscience intégrales ne constituent qu’une partie de l’éventail des opinions de la société. Parmi toutes les « visions du monde », la vision intégrale n’en est qu’une parmi d’autres et est encore très marginale. C’est pourquoi il est justifié de nous considérer comme une partie de l’éventail des visions du monde. Cette partie, ce parti va toutefois considérer les problèmes de manière intégrale et apporter des solutions à caractère intégral. PI ne peut et n'a pas le droit de parler au nom de tout le monde même si elle est prête, si possible sans préjugés, à considérer tous les avis et perspectives. PI va en outre se donner la peine, dans sa communication, de pratiquer un style politique basé sur le respect, l’attention et la collaboration constructive.

Partie d’un mouvement

PI est une partie d’un large mouvement intégral, une vague philosophico-historique qui représente une nouvelle forme de conscience. PI est son bras ou son aspect politique. L’époque mentale-rationnelle qui s’imposa vers la fin du Moyen-Âge amena la démocratie et avec elle, les partis politiques traditionnels. Le mode de pensée pluraliste-holistique qui s’épanouit dans les années soixante, donna naissance aux mouvements écologistes, pacifistes et tiers-mondistes (68tars, flower-power, les verts). La conscience intégrale a maintenant besoin d’un bras politique intégral.

Le développement de la conscience intégrale est l'oeuvre de nombreux acteurs. Des personnalités telles qu’Einstein, Picasso, Sri Aurobindo, Jean Gebser, Ken Wilber, Susanne Cook-Greuter, Jane Loevinger et Don Beck, pour n’en citer que quelques unes, ont fait office de pionniers. Le mot « intégral » qui signifie plus que „total“ ou „holistique“ (voir les "Fondements de la politique intégrale" chapitres 1 et 2) a probablement été introduit par Gebser vers 1948.

D’autres acteurs tels que clubs, réseaux, associations, forums, instituts, universités diffusent cette nouvelle conscience et continuent à développer cette pensée. Certains centres de formation et leurs enseignants ont également grandement contribué par leur travail au développement de conscience des êtres humains. Tout ceci fait que des citoyens et des citoyennes peuvent et veulent maintenant s’engager de manière intégrale.

L’envie de prendre ses responsabilités

Les personnes sur le chemin de la conscience intégrale ont besoin de moyens sociaux et politiques pour pouvoir construire une société intégrale. Elles adaptent tout d’abord leur style de vie individuel à cette nouvelle conscience puis ressentent qu’elles ont l’envie ou la responsabilité d'élargir leur engagement dans un cadre plus collectif. Les forums intégraux qui se sont créés par exemple en Allemagne et en Suisse permettent d'approfondir le « chemin vers l’intérieur ».

Mais pour le moment, il n’existe aucun instrument politique proposant de nouvelles structures sociales inspirées de la vision intégrale. Nous reconnaissons donc que la mise en pratique de celle-ci concerne l’individu (sa vie privée, sa famille et son travail), puis s’étend aux domaines de l’éducation, la santé, l’habitat, l’urbanisation, les transports, l’économie, les finances, les entreprises, etc. Le développement de ces aspects sociétaux est du ressort de PI.

PI se définit comme l’aspect politique, comme une partie d’un large mouvement intégral. Elle regroupe les personnes qui veulent prendre des responsabilités d’agir de manière intégrale au-delà du cercle familial. Cette action vers l’extérieur stimulera en même temps la maturation intérieure des concernés.

A partir de cette réflexion sur le rôle d’un parti inspiré par une vision intégrale, les membres de Politique Intégrale propose un texte synthétique où sont définis les principes et les orientations qui définissent une politique intégrale

Que signifie une Politique Intégrale ? Politique Intégrale Suisse

Pour une conscience nouvelle et globale du monde. Pour un mode de vie empreint d’empathie. Pour une économie au service de la vie.


Une politique intégrale se fonde sur une vision de l'homme qui prend en compte de manière équivalente toutes les dimensions de l’Etre, physique, émotionnelle, rationnelle et spirituelle.

Une politique intégrale vise le bien-être de l'individu et de tous les êtres humains dans le respect de la biosphère.

Une politique intégrale s'engage en faveur d'un nouvel ordre économique, où la liberté de pensée et d'entreprise s'articule avec la justice sociale et la viabilité écologique.

Une politique intégrale embrasse les orientations politiques de la droite à la gauche pour autant qu’elles se mettent au service de la vie.

Une politique intégrale reconnaît la dimension spirituelle et intuitive comme donnant sens au quotidien de l’être humain.

Une politique intégrale signifie une attitude humaine respectueuse et ouverte, elle recherche des synergies entre les positions politiques contradictoires.

Une politique intégrale soutient un système d’éducation qui cultive les compétences émotionnelles et développe l'expression créative et artistique au même titre que les facultés physiques et intellectuelles.

Politique Intégrale se différencie, entre autres, des positions gauche-droite traditionnelles parce qu’elle ne vise pas à avoir raison en cherchant à imposer une position ou une perspective particulière qui serait seule valable, mais à chercher une vision la plus inclusive possible des choses. Cela exige authenticité et empathie. La question n’est pas: qui a raison? Mais: que devons-nous prendre en considération pour trouver des solutions intégrales, autrement dit qui tiennent compte de tous les aspects des problèmes à résoudre, le plus souvent fort complexes.

Vous êtes à votre place dans l'association Politique Intégrale …

… Si pour vous l'accumulation de biens matériels ne représente pas la chose la plus importante dans la vie.

… Si pour vous les besoins émotionnels et spirituels sont tout aussi importants que les besoins physiques et intellectuels.

… Si pour vous la femme et l’homme, les principes féminin et masculin, sont parfaitement équivalents dans la société.

… Si vous êtes convaincu/e que l'éducation, la disponibilité au changement et l’ouverture de la conscience contribuent à un monde meilleur.

… Si pour vous les vues communes au service de la vie sont au-dessus des opinions politiques divergentes.

…Si pour vous la conscience du lien fondamental entre tout ce qui est constitue une bonne base pour une politique visionnaire, respectueuse et durable.

mardi 19 avril 2011

Ken Wilber et la Politique Intégrale



Parmi les nombreux évènements qui auront lieu en ce Printemps du Nouveau Monde (voir les deux billets précédents), un des plus emblématiques est la création officielle à Berne, en Suisse, le Samedi 7 Mai, du premier parti intégral : « Politique Intégrale Suisse ».

A cette occasion, Ken Wilber s’est entretenu avec Kilian Raetzo au sujet de la nouvelle culture politique inspirée par l’approche intégrale et sur le rôle d’un parti dédié à celle-ci. Après une rapide introduction qui permet de contextualiser les propos de Wilber, nous proposons la lecture de cet entretien où ce dernier aborde de nombreux sujets comme la révolution intégrale à venir, les rapports entre spiritualité et religion ainsi que le rôle d’un parti politique comme vecteur de l'évolution culturelle.
Un processus historique

La fin du moyen âge vit l’avènement de la Renaissance, puis celui des Lumières, qui ont promu la raison, le progrès et l’individu comme valeurs centrales d’une société fondée sur le modèle démocratique. En s’émancipant d’une vision du monde traditionnelle fondée sur le droit divin et la hiérarchie qui s’en réclamait, les valeurs de la modernité se sont ainsi peu à peu imposées au cours des dix-neuvième et vingtième siècle.
La contre-culture des années soixante exprima une quête de sens et de liberté face à une société moderne minée par l’utilitarisme et le productivisime, l'individualisme et la perte des valeurs. Elle inspira une pensée pluraliste et relativiste, empathique et holistique, qui donna notamment naissance aux mouvements écologiques et féministes ainsi qu’à la défense des minorités sexuelles et culturelles, ethniques et raciales.
Issue de cette mouvance, une partie de la population composée de « créatifs culturels » s’est éloignée aussi bien des valeurs traditionnelles que celles de la modernité pour inventer des formes nouvelles de pensée et de sensibilité adaptées à cette « société fluide » qui est celle de l’information et de l’interconnexion.
Fondée sur l’intégration des valeurs relationnelles de la tradition, des valeurs rationnelles de la modernité et des valeurs pluralistes de la post-modernité, une « vision du monde » qualifiée d’intégrale a progressivement émergé de ce lent processus historique. Cette « vision intégrale » associe une volonté d’autonomie et de créativité personnelles à une sensibilité impliquée dans le champ social, écologique et spirituel.
Faire société au XXI ème siècle

Parce qu’elle correspond à un nouveau stade de l’évolution culturelle, la « vision intégrale » est porteuse de valeurs spécifiques fondées sur un nouveau mode de conscience. Un certain nombre de penseurs cherchent à imaginer et à promouvoir une organisation sociale qui exprime et reflète ces valeurs.

L’émergence d’une culture intégrale a donc pour conséquence l’apparition d’une culture politique qui ouvre de nouvelles perspectives sur la façon de faire société au vingt et unième siècle. Conscience individuelle et culture communautaire, spiritualité et société, transformations individuelles et sociales, apparaissent comme les pôles complémentaires qui définissent le champ de cette nouvelle culture politique.

Nous avons déjà abordé certains éléments de cette nouvelle culture politique qui s’exprime différemment selon la tradition où elle s’inscrit, aux Etats-Unis et en Europe continentale. Côté américain, nous avons fait part ici des réflexions de Ken Wilber et de Steeve Mc Intosh sur la politique intégrale.

Côté européen nous avons présenté le livre fondateur de Christian Arnsperger, Ethique de l’existence post-capitaliste et deux textes de l’association suisse Politique Intégrale : la déclaration d’intention de l’association et une réflexion sur la signification du mot Intégral.
Dans le contexte particulier qui est celui de ce Printemps du Nouveau Monde, nous voudrions donc poursuivre ces réflexions en proposant la lecture de l’entretien réalisé par Kilian Raetzo (KR) avec Ken Wilber (KW), le 18 septembre 2010, lors d’une réunion de l’association Politique Intégrale. La traduction de ce dialogue disponible sur le site de Politique Intégrale est due à Sylvie Galland.
Entretien avec Ken Wilber

KR: La politique intégrale est en train de naître. Un parti va être fondé ici en Suisse. Beaucoup de gens y ont travaillé dur. Nous avons une question de fond: nous sommes toujours confrontés au conflit philosophique entre “globalité“ et “parti“, comment cela peut-il se concilier?

KW: En fondant un parti intégral, il faut être attentif à quelques données sensibles: elles concernent la différence entre la théorie et la réalité pratique. Sur le plan théorique, on peut adopter une théorie intégrale, surtout quand on est avancé dans son évolution. Si on est à une étape avancée de développement, notamment celle du deuxième niveau (1), la pensée englobe tout, les stades archaïque, mythique, rationnel, pluraliste, etc. On a de la place pour tout, on peut tout inclure. Mais quand on va dans la société réelle, combien de personnes ont une telle vue d’ensemble? Plus le stade de développement est élevé, moins on y trouve de monde. Actuellement il y a environ 4 ou 5 % de la population qui ont atteint un niveau intégral.

(1) On peut définir le deuxième niveau comme une “conscience intégrale“.

Comment rendre la politique intégrale attirante pour des gens qui n’ont pas atteint le niveau intégral ? Les personnes qui sont au niveau intégral ont généralement un regard holistique sur la réalité et sont tout à fait inclusifs dans leur vision du monde et de la politique. Il faut s’adresser à ce pourcentage de la population.

Vers une révolution intégrale

KR : Est-ce possible avec des gens qui ont cette conscience-là?
KW: Nous allons au-devant d’un point de basculement (2). Quand le noyau leader de l’évolution a atteint 10% de la population, il y a un point de basculement. Au moment où 10% de la population avait atteint le niveau de développement "orange" ou moderne, il y a eu la révolution française, la fin de l’esclavage, la constitution américaine, la démocratie. C’est arrivé, bien que seulement 10% de la population ait été "orange" (3) ou rationnel. Toute la culture a été influencée par eux. Même les gens qui n’avaient pas encore atteint une vision rationnelle ont suivi, bien qu’ils n’aient pas été à ce niveau.
(2) (Le point de basculement peut être désigné comme “une masse critique“).
(3) (« orange », « vert » font référence aux codes couleurs des différents stades de la Spirale Dynamique)
L’Europe et l’Amérique du Nord ont évolué de la même façon: en 1959 il y avait 2% de « verts » (3) (postmoderne), en 1979 il y en avait déjà 20%, et entre temps s’est produite toute la révolution des années soixante, la montée verte, qui était marquée par des valeurs vertes ou postmodernes telles que le féminisme, la protection de l’environnement, l’accroissement de la sensibilité. Toute la culture a été entraînée à accepter ces valeurs, à s’arranger de ces valeurs, même si seulement 10 à 20 % de la population se trouvaient à ce niveau de développement.

Nous pouvons aussi nous réjouir de ce que le “deuxième niveau“ atteigne bientôt 10%. Quand ce point de basculement intégral se produira, les valeurs intégrales changeront notre culture. Comme ça s’est passé sur les plans rationnel et postmoderne, il y aura une “révolution intégrale“. KR: Penses-tu qu’un parti politique soit un bon moyen d’y arriver?

KW: Oui!
KR: Une vision de la politique et un pouvoir politique réel?
KW: Dans la culture occidentale, les combats politiques se passent aux premiers niveaux de développement. Au premier niveau, c’est à dire aux niveaux archaïque, magique, mythique, rationnel et pluraliste, la motivation est le manque, le besoin. Il faut que je mange quelque chose, puis je me sens mieux, puis la faim revient et il faut de nouveau que j’aie à manger, etc. Au deuxième niveau, la motivation devient l’abondance, non plus le manque mais la plénitude de l’être, qui est axée sur la conscience, la bonté, l’amour et la sollicitude réciproque. C’est comme si quelqu’un te donnait un million d’euros ; tu en as tellement que tu en donnes aux autres.
Au premier niveau, on trouve 20 à 30% des humains qui sont aux trois premiers stades de développement : l’archaïque, le magique et le mythique. Mythique veut dire que la religion est encore fondamentaliste et que des livres comme le Coran ou la Bible sont pris à la lettre. En outre, en Europe et aux USA, 40 à 50% des gens ont une conscience moderne, et 20% pensent déjà de façon pluraliste : protection de l’environnement, accroissement de la sensibilité, relativité. Ce n’est qu’aux niveaux intégraux qu’on peut voir les valeurs de tous les autres niveaux de développement.
Ces niveaux de développement de la pensée humaine doivent être reconnus. Ils montrent la façon dont nous grandissons intérieurement, qui est analogue à celle du monde extérieur matériel: cela va des atomes aux molécules, aux cellules, aux organismes. L’organisme ne hait pas l’atome, il l’étreint et l’aime, de même que la cellule. L’incompréhension des différences liées aux stades de développement va diminuer. Il y aura moins de tensions et de violence dans la culture. Cela se passera si les valeurs intégrales prennent de plus en plus de place : amour, bonté, sollicitude.
Religion et Spiritualité

KR: Comment pouvons nous communiquer ces valeurs à l’extérieur?

KW: C’est l’une des tâches les plus difficiles pour un parti qui comprend aussi des valeurs spirituelles. Le défi tient au fait qu’il y a des genres très différents de valeurs spirituelles et de conceptions religieuses. Pour les fondamentalistes, la spiritualité se réfère à un livre d’une vérité absolue, et on est sauvé quand on s’en tient au livre, à la Bible ou au Coran. Sinon, on ira éternellement cuire en enfer ; c’est une structure de croyance qui est encore celle de beaucoup de gens en Occident, surtout aux USA. C’est un type de religion pré-rationnel et pré-moderne.

Le stade suivant est transrationnel et post-postmoderne: des individus diront qu’ils sont spirituels mais pas religieux; leur croyance est centrée sur le monde, au lieu d’être ethnocentrique. Etre centré sur le monde laisse chacun libre de choisir sa ou ses préférences religieuses. C’est généralement une recherche d’états de conscience profonds, comme la méditation ou la contemplation, qui aident l’individu à rendre son identité plus vaste. Cette position reste donc très libérale, au meilleur sens du terme, ses valeurs sont très ouvertes, elle est très inclusive et holistique, et cependant très différentes des valeurs mythiques de la religion traditionnelle.

La plupart des gens ne voient pas cette différence. La moyenne des gens ne la comprend même pas. Beaucoup de soi-disant “enseignants spirituels“ ne font même aucune différence entre religion et spiritualité. Une des premières choses à faire est d’expliquer, au cours des études, la différence entre spiritualité et religion, et de parler de l’intelligence spirituelle supérieure.

Exemple: dans une vaste étude de l’UCLA (University of California, Los Angeles), Alexander Aston, une sommité dans son domaine, a mené une recherche dans les collèges du campus sur la spiritualité et la religion. Les initiateurs de l’étude pensaient au début qu’il y avait peu de croyance spirituelle parmi les étudiants et les professeurs. Ils ont été très surpris lorsqu’il s’est révélé que 75% des étudiants disaient que la spiritualité était importante dans leur vie. Ils leur ont demandé: «Les professeurs savent-ils cela? En discutez-vous en classe?» Tous ont répondu que non, il n’y avait pas d’espace pour cela à l’université, et que les professeurs n’étaient pas spirituels.
Les professeurs ont donné cependant une image opposée: 84% des enseignants ont dit être spirituels – mais pas religieux. Aux USA, dans tout le système universitaire, où la grande majorité des étudiants et des professeurs se définissent comme spirituels, on n’en parle pas. Quand on leur demande pourquoi, ils disent qu’ils ont peur qu’on confonde avec la religion. Ils ne veulent pas être associés à des croyances mythiques, religieuses et fondamentalistes, parce que la différence n’apparaîtrait pas clairement. La société doit comprendre cette différence, sinon la politique intégrale risque d’être rejetée et mal comprise: elle sera vue comme mythique, fondamentaliste et religieuse. Ce serait désastreux d’être rejeté à cause de la religion!
Le rôle d’un parti intégral

KR: Et la politique globale? Les concepts clés? Quelles sont les tâches principales en ce qui concerne la globalité?

KW: Problème n°1: il faut d’abord changer notre compréhension spirituelle, la libérer. Elle est gelée dans le mythique. Nous devons permettre à la connaissance spirituelle d’entrer dans le domaine de la pensée rationnelle, pluraliste et intégrale. Puisque 70% des gens n’en sont pas encore là, cela signifie qu’ils pensent encore de façon ethnocentrique, sexiste et patriarcale. Ils n’accèdent pas à une compréhension politique intégrale.

Transmettre cela est une tâche essentielle au niveau global: comment des valeurs intégrales peuvent-elles parvenir à la moyenne des gens? Il faut que les religions permettent de franchir les étapes de développement, permettent d’être pluraliste, intégral. Si les religions pouvaient faire cela, ce serait une clé pour la transformation. Si elle n’adopte pas cette position, la religion est le plus grand ennemi de la pensée intégrale.

Problème n° 2: une partie croissante de l’humanité arrive au deuxième niveau, à la pensée intégrale. Ce sont ces personnes que nous devons rechercher. Comment pourrions nous réunir ces personnes intégrales? Comment les mettre en contact les unes avec les autres? Et comment leur montrer qu’elles représentent une véritable force? La réponse est de faire ce que vous faites: fonder un parti, parler avec les gens et trouver des moyens de rendre les valeurs intégrales attirantes, même si ce n’est pas compris ailleurs. Faire cela est une des meilleures choses possibles, pour renforcer la conscience globale.
KR: Connais-tu des politiciens intégraux en Amérique?

KW: Il y en a en Amérique: Clinton et Al Gore. Ils ont souvent dit qu’ils avaient lu mes livres et Clinton m’a cité. Clinton a dit qu’il avait lu tous mes livres. Il montre des capacités croissantes de pensée globale, particulièrement avec sa nouvelle initiative mondiale. Al Gore a lu et cité certains livres. Quelqu’un qui s’en approche beaucoup, c’est Obama. Nous croyons qu’à sa façon Obama s’approche du point de vue intégral, parce que nous avons vu des photos où il y avait à côté de lui des livres de collègues de l’Integral Institute.
Les 5% de personnes intégrales viennent d’horizons divers: du divertissement, de l’éducation, de la politique etc. Beaucoup de penseurs reconnus et de leaders se mettent à leur façon à devenir de plus en plus intégraux. Par exemple les deux auteurs de scénarii Larry et Andy Wachowski. L’argument de leur trilogie Matrix pourrait être de moi. Des acteurs comme Sharon Stone ont lu et accepté la position intégrale, ce qui est très encourageant. Il ne faut cependant pas oublier que dans le monde 70% des humains pensent encore de façon mythique, ou, encore au-dessous, magique et archaïque. Il y a tout de même déjà 5% d’intégraux.
La bonne nouvelle est que beaucoup de gens pensent comme moi qu’à 10% il y a un point de basculement, qui pourrait être atteint dans la prochaine décennie. Cela changera tout! Il y aura une demande pour davantage de politique intégrale, d’éducation intégrale, de formation intégrale, de médecine intégrale, de divertissement intégral et de droit intégral – ce n’est pas si éloigné.
Mettre en route un parti, le faire fonctionner de façon vraiment intégrale et apprendre à travailler avec sa complexité, c’est vraiment être à la pointe de l’évolution humaine, sur la crête de la vague. Je vous félicite pour l’effort que vous faites, parce que c’est important, plein de sens et très réel et efficace – c’est à la pointe de l’évolution et c’est une empreinte historique.

mercredi 13 avril 2011

Le Printemps du Nouveau Monde (2)


" Les pensées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombe" Nietzsche
Dans le billet précédent, nous faisions part d’une série d’évènements et de rencontres organisés ce printemps sur le thème de la refondation du lien social autour d’une vision éthique, culturelle, spirituelle. Nous proposons ci-dessous une présentation succincte de ces initiatives printanières avec les liens qui permettent d’en approfondir le sens.
Une mystérieuse synchronicité
Si des personnalités visionnaires et des minorités créatrices sont les acteurs et les vecteurs de l’évolution sociale et culturelle c’est que leur intuition et leur créativité traduisent la dynamique évolutive à travers des formes nouvelles de sensibilité et de pensée. Ce n’est donc pas un hasard de les voir participer, mus par une mystérieuse synchronicité, à cet immense chantier qui est celui d’une refondation du lien social et du monde commun.
La même sève créatrice s’exprime à travers la diversité de ces initiatives printanières : autant de notes singulières de ce nouvel air du temps dont les acteurs de l’évolution sont les interprètes. Derrière la singularité de leur expression, ces acteurs doivent prendre conscience qu’ils jouent tous la même pièce en participant ensemble à un profond courant de régénération dans lequel se reconnaissent des couches de plus en larges de la population, notamment parmi les jeunes générations. En tissant des réseaux et en s’enrichissant de cette diversité, les acteurs de l’évolution peuvent créer des synergies et des solidarités systémiques permettant de bénéficier à la fois de l’expérience de chacun et de l’énergie de tous.
Selon Nietzsche : " Ce sont les paroles les moins tapageuses qui suscitent la tempête et les pensées qui mènent le monde arrivent sur des ailes de colombes ". Ouvrons les yeux et les cœurs, tendons nos oreilles et nos antennes intuitives pour être à l’écoute de ce nouvel « air du temps » qui enchante le printemps. Pendant que les médias occupe les esprits et les distrait de l'essentiel en surfant de manière sensationnelle et émotionnelle à la surface des évènements, un nouveau monde est en train de s'esquisser, de manière discrète, presque secrète. Ce monde ressemble à notre futur si nous avons la force, l’inspiration et le courage de l’imaginer ensemble sans céder aux sirènes morbides de la haine et du désespoir.
2.3 avril. Bâtir une nouvelle société - Université de la Terre
L'Université de la Terre est un forum d'échanges entre les experts et le public qui participe aux discussions. Une vingtaine de débats se sont tenus dans les amphithéâtres de l’Unesco autour du thème : "Bâtir une nouvelle société". L’écologie fait de plus en plus partie de notre vie, le besoin de protéger notre environnement alimente les débats et suscite une inquiétude croissante, il est urgent de changer de rythme si nous voulons éviter une aggravation exponentielle de ces dangers. Pour ces raisons, il nous semble plus que jamais nécessaire de "Bâtir une nouvelle société".
Bâtir une nouvelle société, c’est refonder la politique de l’environnement, placer les préoccupations de long terme et des générations futures au cœur du projet de notre société. Bâtir une nouvelle société c’est permettre aux hommes de vivre dans la dignité, dans la solidarité et le partage. Bâtir une nouvelle société, c’est inventer un nouveau mode de développement fondé sur les changements dans les modes de production et de consommation et cela dans tous les domaines : énergie, transport, logement, agriculture, santé…
Bâtir une nouvelle société, c’est instaurer une démocratie écologique, c'est-à-dire développer une nouvelle gouvernance, considérant que tous les citoyens sont concernés à la fois comme victimes et acteurs des crises environnementales. Bâtir une nouvelle société, c’est travailler sur l’idée de réconciliation. Réconciliation entre le pouvoir et les citoyens. Réconciliation entre l’esprit d’entreprise et l’esprit de partage. Réconciliation entre l’homme et la nature. Enfin, bâtir une nouvelle société, c’est le retour à la rêverie, au temps long, à la fragilité, au doute, à l’humilité, au respect et à l’altruisme.
2 Avril. Contre-Grenelle 3 : Décroissance ou barbarie
L'humanité se trouve dans l'impasse ; tout le monde comprend bien que la croissance infinie nous a conduit dans le mur. La question n'est pas seulement écologique puisque l'humain comme la société ont besoin de limites. Certes les objecteurs de croissance entendent préserver la Terre mais l'humanité est la première de leur préoccupation. Sacrifier ce qu'il y a d'humain en nous pour sauver la planète non seulement ne nous intéresse pas mais surtout nous combattons ceux qui pensent que la fin justifie les moyens.
Nous savons que tout productivisme bleu, orange, rose, rouge ou vert ne peut qu'engendrer la barbarie. L'alternative n'est donc pas entre le développement durable et son dernier faux-nez la « prospérité sans croissance » ; l'alternative est entre décroissance ou barbarie. Nous devons donc à la fois comprendre la barbarie qui vient et être capables d'imaginer et d'organiser des alternatives.
Ce troisième contre-Grenelle laissera la place à des penseurs provenant de diverses disciplines car nous avons besoin de comprendre que les différente facettes de la crise ont pour origine un même système. Nous ne guérirons pas avec le poison qui nous a rendu malade. Nous devons renouveler nos façons de penser, de sentir et d'agir ; penser en dehors de la boîte.
Ce troisième Contre-Grenelle permettra de voir loin pour être capable de penser les grandes mutations en cours et de leur opposer une autre façon de faire société. L'objectif est de rompre avec la domination continue des uns sur les autres et de tous sur la planète. La survie ne nous intéresse pas : nous voulons la joie de vivre et le partage d'autres richesses. Notre décroissance en effet n'est pas une décroissance « faute de mieux » comme commencent à le développer ceux qui hier ont promu la croissance. Notre décroissance est un appel à la vie.
3 Avril. 1 Mai. 19 Juin. Les Dimanches des « Créateurs de Culture » à Bruxelles
Les Créatifs Culturels ou "Créateurs de Culture" sont ces millions de personnes qui sont en train de transformer le monde, jour après jour, en revisitant tous les aspects de leur vie et en inventant des réponses inédites et plus authentiques. Pour elles, la crise financière, écologique et sociale d’aujourd’hui est une occasion d’accélérer la naissance d’une nouvelle société dans laquelle vivre avec plus de conscience, de responsabilité, et de cohérence.
Ils/elles sont passionné(e)s par un ou plusieurs des domaines suivants : solidarité active, simplicité volontaire, écologie, règlement pacifique des conflits, développement personnel, spiritualité, médecine non conventionnelle, éducation alternative, multiculturalisme, valeurs féminines, et bien d'autres…
Ainsi, les rencontres annuelles des Créatifs Culturels sont un espace de retrouvailles pour des femmes et des hommes mus par le même ensemble de valeurs et qui adoptent dans leur quotidien un ou plusieurs comportements novateurs. En complément, le cycle 2011 « Les dimanches des Créateurs de Culture » se définit dans la même lignée, mais avec une vocation plus axée encore sur "se rencontrer pour construire ensemble notre capacité personnelle et collective à participer à l'évolution de la société". La thématique autour de laquelle ce cycle se construit est : « Comment nous pouvons changer ce monde ".
7 Mai. Création officielle du parti "Politique Intégrale Suisse "à Berne
Le Samedi 7 mai aura lieu à Berne, en Suisse, la création officielle du parti « Politique Intégrale Suisse ». Politique intégrale vise un renouvellement fondamental de la culture et de la société sur la base d'un nouvel état de conscience. Une politique intégrale se fonde sur une vision de l'homme qui prend en compte de manière équivalente toutes les dimensions de l’Etre, physique, émotionnelle, rationnelle et spirituelle. Politique Intégrale est une partie d’un large mouvement intégral, une vague philosophico-historique qui représente une nouvelle forme de conscience. Politique Intégrale est son bras ou son aspect politique.
L’époque mentale-rationnelle qui s’imposa vers la fin du Moyen-Âge amena la démocratie et avec elle, les partis politiques traditionnels. Le mode de pensée pluraliste-holistique qui s’épanouit dans les années soixante, donna naissance aux mouvements écologistes, pacifistes et tiers-mondistes (68tars, flower-power, les verts). Les personnes sur le chemin de la conscience intégrale ont besoin de moyens sociaux et politiques pour pouvoir construire une société intégrale. Elles adaptent tout d’abord leur style de vie individuel à cette nouvelle conscience puis ressentent qu’elles ont l’envie ou la responsabilité d'élargir leur engagement dans un cadre plus collectif.
Mais pour le moment, il n’existe aucun instrument politique proposant de nouvelles structures sociales inspirées de la vision intégrale. Nous reconnaissons donc que la mise en pratique de celle-ci concerne l’individu (sa vie privée, sa famille et son travail), puis s’étend aux domaines de l’éducation, la santé, l’habitat, l’urbanisation, les transports, l’économie, les finances, les entreprises, etc. Le développement de ces aspects sociétaux est du ressort de Politique Intégrale.
14/15 Mai. Le Pacte Civique
Il est temps de réagir aux crises, aux dérives et aux fractures dont souffrent notre société et notre démocratie. C’est pourquoi, une quinzaine d’organisations de la société civile et des responsables associatifs ont adopté une plateforme commune et proposé un Pacte Civique pour renouveler le vivre-ensemble et rénover la qualité démocratique. Le Pacte civique est un appel à des personnes et à des organisations qui sont prêtes simultanément à se transformer et à transformer la société pour inventer un futur désirable pour tous.
Il faut ouvrir largement le débat sur l’essentiel, sur la civilisation que nous voulons désormais bâtir en Europe, à l’ère de la mondialisation et du monde fini. On assiste à une prolifération d’initiatives, à l’émergence de nouvelles formes de militances, à une accélération des changements de comportement et à une montée d’aspirations nouvelles, notamment dans les jeunes générations particulièrement sensibles aux injustices et contradictions découlant de nos modes de vie et de gouvernance. Plus largement, c’est un nouvel état d’esprit qui est en germe, avec la recherche non seulement de la « qualité de la vie », mais aussi de nouveaux modes de vie et de relations humaines plus vraies, y compris avec les moins chanceux ou les plus vulnérables.
Retrouver le sens des limites et du possible, articuler liberté individuelle et responsabilité collective, réintroduire du lien entre générations, entre couches sociales et entre institutions et citoyens, focaliser l’attention sur tous ceux qui sont victimes des crises, repenser les rapports entre cultures, lier transformation personnelle et transformation sociale, voici des objectifs à approfondir au regard des trois impératifs suivants.

- impératif de créativité, dont le champ devra s’élargir et porter davantage sur l’écologie, la coopération, les relations interpersonnelles et spirituelles, en un mot à tout ce qui donne sens;

- impératif de sobriété, de distinction entre l’essentiel et le superflu, qui va s’imposer sous de multiples formes, avec le risque de dégénérer en austérité imposée aux plus fragiles, s’il n’est pas appliqué en proportion des possibilités de chacun.

- impératif de justice qui devra conduire à inventer de nouvelles formes de redistribution pour que le principe d’égale dignité soit effectivement mis en pratique dans un contexte où on ne peut plus compter sur une augmentation rapide des richesses.
24 Mai. Université Intégrale. Société et Politiques Intégrales
Les forces politiques qu'elles soient de droite, de gauche ou même écologiques sont restées dans une grande mesure enfermées dans une vision réductionniste, scientiste et mécaniste. Cependant la crise actuelle remet en cause ces bases même de notre pensée. Einstein explique très bien cette problématique lorsqu'il souligne qu'on ne peut pas résoudre un problème à l'intérieur même du système de pensée qui l'a produit.
La crise systémique sociétale que nous traversons est structurelle. Aucune des traditionnelles « recettes politiques » que nous connaissons déjà (libéralisation des marchés, redistribution sociale, préservation marginale de la nature) ne peuvent répondre à l'ampleur de la problématique. Nous avons besoin d'une nouvelle épistémologie, basée sur les recherches transdisciplinaires les plus avancées en philosophie, sciences économiques, sociales et technologiques, à partir de l'approche systémique, holistique et intégrale.
Nous pouvons imaginer un nouveau système économique, social et écologique qui articule le long moyen et court terme de manière vertueuse ; un espace cognitif où science, art et spiritualité aient leur place dans une véritable culture laïque et intégrale du développement humain. Tel est le projet d'une véritable politique de civilisation.
11.12.13 Juin. Bâtir l’avenir. Résistances et créations. Forum Terre du Ciel
Notre société est en fin de cycle, et manifeste partout dérapages, durcissements, rouilles et fêlures. Une société post-industrielle, postmoderne se cherche. De partout surgissent des initiatives novatrices, des approches décalées, des laboratoires pour demain. En même temps que se radicalisent les résistances à des aberrations du système, à des pratiques inacceptables qui insultent par trop la dignité de l’homme ou menacent son avenir.
Les structures du renouveau sont innombrables. Nées du surgissement du bon sens collectif, elles se reconnaissent et se mettent en réseaux. Comme une tache d’huile qui s’étale doucement, elles gagnent de l’espace. Comme une forêt qui pousse, sans bruit elles se densifient. Ce Forum Terre du Ciel « Bâtir l’avenir » veut nourrir cet élan vers une renaissance, donner la parole à ses acteurs, faire connaître les oeuvres qui l’incarnent déjà.
Il veut inspirer toutes celles et tous ceux qui n’aspirent qu’à marcher sur ces traces, et leur donner énergie et ressources pour devenir eux-mêmes acteurs de l’émergence du monde nouveau. C’est l’oeuvre pleine de sens et d’espoir qui nous attend, et à laquelle nous sommes tous conviés à participer aujourd’hui.
15/20 Août. Congrès pour une politique intégrale
Plusieurs groupes d’Allemagne et de Suisse ont organisé en 2008 à St Arbogast (Autriche) un Congrès pour une Politique Intégrale afin de définir et d’approfondir la nouvelle culture politique née d’une vision intégrale. Dans le manifeste écrit lors de ce congrès, on peut lire ceci: « De plus en plus de gens prennent conscience de la nécessité de trouver et de vivre une vision politique nouvelle afin de renforcer le bien commun, la sauvegarde de l’environnement et le développement vital de la démocratie. Cette compréhension d’une politique nouvelle implique une conscience globale que nous définissons par le terme ‘intégral’. L’expression de ‘conscience intégrale’ peut être définie autant dans un sens individuel que dans un sens collectif, et correspond à ce que certains appellent sagesse, spiritualité ou encore intelligence émotionnelle.
Globalement, les problématiques et tâches qui apparaissent aujourd’hui ne peuvent ni ne doivent être à la charge d’une poignée de décideurs. Au contraire, le concours actif d’une large couche de la population qui en assume sa part de responsabilité est aujourd’hui devenu nécessaire. Lors du dernier Congrès de Politique Intégrale, les participants ont défendu cette idée de conscience nouvelle et se sont déclarés disposés à en assumer pleinement les responsabilités qui en découlent. Ils ont décrété une action commune en faveur de changements profonds qui vont bien au-delà de leurs engagements individuels. »
Fondée sur la connexion internationale des individus et des groupes, un second congrès aura lieu en 2012. Pour mener ce projet à bien, des conférences de préparation ont eu lieu en août 2009 et 2010. Une prochaine conférence de préparation aura lieu cette année du 15 au 20 août 2011 à St Arbogast. Des informations à ce sujet sont disponibles sur le site internet KIP.
L’enthousiasme du comité de programmation a fait naître l’idée d’organiser des actions similaires dans le plus de pays européens possibles en été 2012. Ces actions seront organisées et portées par les personnes intéressées localement. L’idée a prospéré entre temps : des groupements spirituels et politiques en Hollande (Mens en Spirit) et en Italie (Coscienze in rete) désirent eux aussi créer un congrès pour une politique intégrale. A quand la France ?

vendredi 8 avril 2011

Le Printemps du Nouveau Monde (1)


« Le Futur est en nous bien avant qu’il n’arrive » Rainer Maria Rilke
C'est le printemps !... La saison du renouveau après cette période de repos et de maturation qu’est l’hiver. Une saison durant laquelle auront lieu, telle une floraison inespérée, une série d’évènements et de rencontres qui, toutes, visent à une refondation du lien social sur la base d’une vision à la fois éthique, culturelle, spirituelle. Regardez, écoutez, sentez : dans le mystère des aurores, un nouveau monde est en train d’éclore...
Un monde commun
Il n’est qu’à énumérer les thèmes autour desquels s’organisent tous ces évènements pour percevoir, derrière la diversité et la complémentarité des approches (parfois même leurs contradictions apparentes) la même volonté de refonder la société sur un socle de valeurs communes. Comme l’écrivent Daniel Cohn-Bendit et José Bové dans Libération : « Entre crise financière et climatique, crise énergétique et sociale, crise économique, politique et culturelle, c'est le sens même du monde commun qu’il faut remettre collectivement en chantier
Cet immense chantier est au programme de ces évènements printaniers. Le 2 et 3 Avril a eu lieu la troisième édition de l’Université de la Terre sur le thème : Bâtir une nouvelle société. Le 2 Avril, le Contre-Grenelle 3 a eu pour thème Décroissance ou Barbarie. D’Avril en Juin auront lieu en Belgique les "Dimanches des Créateurs de Culture". Le 7 Mai est la date de la création officielle du parti Politique Intégrale Suisse . Les 14 et 15 Mai aura lieu le lancement du Pacte Civique qui est à la société ce que fut le Pacte Ecologique à l'environnement. Le 24 Mai, aura lieu une journée de l’Université Intégrale dédiée à la société et à la politique intégrales. Les 11.12.13 Juin aura lieu le Forum Terre du Ciel sur le thème Bâtir l’avenir. Enfin une conférence de préparation au Congrès pour une politique intégrale de 2012 aura lieu, cet été, à St Arbogast en Autriche du 15 au 20 Août. Et ceci sans compter toutes les autres initiatives que nous n'avons pas recensé.
Un regard superficiel verrait dans cette efflorescence printanière un pur hasard ou une simple coïncidence. Un regard plus profond percevrait cette synchronicité comme l’expression systémique d’un nouvel air du temps qui pourrait s’exprimer de la manière suivante : on ne pourra remettre l’homme au cœur de nos sociétés défigurées par l’individualisme et l’utilitarisme, le machinisme et le productivisme, sans retrouver au cœur de notre humanité les dimensions fondamentales du sens, de l’éthique et de la solidarité.
Une intuition encore plus profonde distinguerait dans ce nouvel air du temps l’émergence d’une nouvelle « vision du monde » annoncée depuis plusieurs décennies par nombre de penseurs inspirés. Fondé sur les notions de relation et d'évolution, un paradigme intégral est amené à dépasser – tout en l’incluant – l’ancien paradigme réductionniste de la modernité fondé sur la distinction et l’abstraction. Ce nouveau paradigme intégral prend en compte aussi bien les qualités subjectives et intersubjectives propres à la sensibilité et à l'être que l’objectivité quantifiable propre au savoir et à l'avoir.
Selon le niveau de complexité et de profondeur à travers lequel il interprète les phénomènes sociaux et culturels, chacun donc verra dans cette efflorescence printanière, un hasard, un nouvel air du temps ou l’émergence d’une nouvelle "vision du monde".
Renouveau printanier
Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je suis émerveillé, à chaque printemps, par les métamorphoses soudaines de la nature. En quelques jours les bourgeons apparaissent et les fleurs s’épanouissent telle une myriade de tours effectués par un magicien aussi prodigue que prodigieux. En quelques jours le décor de nos vies se transforme sous un regard émerveillé où l’admiration se conjugue à l’étonnement.
Un déluge de couleurs vives remplace les tonalités pâles de l’hiver. Le chœur éclatant des oiseaux émerge des sonorités étouffées qui permettaient à la nature de se reposer. Le courant vibrant et continu d’une mystérieuse énergie circule entre toutes les formes de vie perçues par la sensibilité comme autant de notes d’une même harmonie. Parce qu’elle nous habite et nous anime, cette énergie nous fait percevoir le monde d’une autre manière. Concentré sur lui-même, l’homme de l’hiver s’ouvre soudain au monde à travers un florilège de perceptions intenses qui l’arrache à son inertie et à ses habitudes.
La vie sociale semble nous éloigner de cette participation organique de la sensibilité au renouveau printanier. Et pourtant, il en est de culture comme de la nature. Comme les formes de la nature, les formes de la pensée et de la sensibilité obéissent à des cycles qui font alterner poussée de l’énergie créatrice, émergence formelle, apogée née d’un équilibre subtil et stabilisateur, puis enfin déclin progressif jusqu’à une dégénérescence mortelle et à une décomposition qui nourrit l’émergence d’une nouvelle forme.
Un nouveau cycle
Les cultures sont vivantes comme les peuples dont elles sont l’expression. Elles émergent, se stabilisent, déclinent et meurent à travers des cycles correspondant à la façon dont une collectivité s’adapte à ses conditions d’existence à un moment donné. Selon ces conditions, la conscience collective interprète son expérience à travers une « vision du monde » qui détermine des médiations culturelles permettant aux individus de faire société.
Si, à travers la perspective d’une vie humaine, les cycles naturels semblent se répéter de manière immuable, les cycles culturels expriment une dynamique évolutive plus lisible pour l’observateur attentif. A chaque cycle de l’évolution culturelle correspond l’émergence d’une nouvelle "vision du monde" - plus complexe et plus intégré - qui va s’exprimer à travers des perspectives épistémologiques, anthropologiques et sociales novatrices. A de nombreuses reprises, nous avons abordé ici le thème de l’évolution culturelle et le modèle de la Spirale Dynamique qui rend compte des divers cycles de cette évolution.
Dans mon dernier billet, je faisais référence à ces visionnaires qui anticipent les évènements parce que leur sensibilité participe de manière intime et profonde à la dynamique évolutive qui anime la conscience collective. En traduisant cette force évolutive en formes esthétiques et cognitives, ces créateurs annoncent l’avènement d’un nouveau mode de conscience qui va s’objectiver en évènements transformant le monde.
Rien d’étonnant donc qu’à l’émergence d’un nouveau cycle évolutif, de multiples initiatives émergent comme autant de couleurs d’un même arc en ciel après la pluie. Chacune de ces initiatives correspond à la façon dont divers groupes humains vont exprimer la même dynamique évolutive à travers leurs spécificités idéologiques et culturelles.
"Autrement, le bonheur"
Parmi les multiples évènements de ce printemps, un collectif d’une quinzaine d’organisations de la société civile et des responsables associatifs va lancer en Mai un Pacte Civique. Les promoteurs du Pacte Civique analysent ainsi le changement de cycle que nous sommes en train de vivre : « Nous assistons à une fin de cycle de la modernité, modernité que Max Weber avait caractérisée comme le passage d’une société cherchant dans la religion la solution à ses maux à une société la trouvant dans l’effort productif et le progrès économique...
La recherche du bonheur par l’accumulation de l’avoir a constitué l’orientation fondamentale de la modernité ; cette approche, contraire à la plupart des traditions de sagesse dont aucune ne place le bonheur et la joie de vivre dans la possession, a démontré ses limites. Il faut la repenser en équilibrant mieux l’être et l’avoir, le mode de vie et le niveau de vie, le bien être et le mieux être, avec, par exemple, comme mot d’ordre : « Autrement, le bonheur ».
A la fin du cycle de la modernité correspond l’effondrement du vieux monde sous le poids d’une crise systémique dont le krach financier de 2008, le réchauffement climatique ou la catastrophe de Fushiyama sont autant d’expressions emblématiques. Un tel effondrement fait surgir les peurs et les replis identitaires, instrumentalisés par des mouvements régressifs qui cherchent à renouer un lien social désagrégé en désignant des bouc émissaires : l’étranger, le nomade, la mondialisation, le délinquant, le fou.
C’est ainsi qu’à l’échelle de l’Europe, la haine de l’Autre nourrit, comme autant de crispations identitaires, le nationalisme, le communautarisme et le racisme. Pour qualifier ce mouvement régressif, le politologue Dominique Reynié parle d’un populisme patrimonial qu’il définit de la manière suivante : « Le populisme patrimonial est un mouvement politique contemporain né d'une inquiétude des Européens de voir simultanément remis en cause leur patrimoine matériel, ou leur niveau de vie, et leur patrimoine culturel, ou leur mode de vie, par les effets de la globalisation économique et du vieillissement démographique. »
Quand il n’y a plus de projet commun, le lien social se tisse autour d’un rejet commun. Quand un peuple n’est plus uni autour d’une vision commune, il se déchire et se fragmente dans des divisions entretenues par les gouvernants pour mieux régner. Ce jeu des gouvernants s’apparente souvent à celui de l’apprenti sorcier quand le peuple se retourne contre eux, victimes à leur tour de cet esprit de division qu’ils ont générés.
Résistance et Création
La transformation sociale mobilise des processus à la fois destructeurs et créateurs : destructeurs des structures anciennes, devenues inadaptées à la dynamique de l’évolution, et créateurs d’une nouvelle « vision du monde » qui exprime cette dynamique évolutive. Vus ainsi, les mouvements régressifs prennent tout leur sens : ils expriment les forces de décomposition à l’œuvre dans toutes transformation sociale. Des forces destructrices donc déstructurantes dont le rôle est de déstabiliser et de subvertir les structures inadaptées afin de permettre l’émergence d’un nouveau cycle créateur. Ces forces destructrices sont le côté sombre d’un dynamique de transformation dont la refondation culturelle est le côté lumineux.
C’est pourquoi toute transformation sociale implique un double mouvement de la part des individus et des groupes humains qui sont les vecteurs de l’évolution culturelle : résistance aux forces destructrices et participation à la dynamique créatrice de l’évolution. On connaît le slogan inspiré par le Conseil National de la Résistance et mis en avant par Stéphane Hessel : « Résister c’est créer, créer c’est résister. » Résistance et création : l’un ne va pas sans l’autre. Ils sont les deux polarités définissant un champ régénérateur de conscience et d’énergie.
Les animateurs du Forum Terre du Ciel ont justement placé leurs journées sous le thème « Résistances et Créations » : « Notre société est en fin de cycle, et manifeste partout dérapages, durcissements, rouilles et fêlures. Une société post-industrielle, postmoderne se cherche. De partout surgissent des initiatives novatrices, des approches décalées, des laboratoires pour demain. En même temps que se radicalisent les résistances à des aberrations du système, à des pratiques inacceptables qui insultent par trop la dignité de l’homme ou menacent son avenir. »
L’instituant et l’institué
Dans une perspective évolutive, résister aux forces destructrices c’est comprendre leur sens dans le processus de transformation sociale et, en se référant aux cycles naturels, utiliser l’énergie à l’œuvre dans ces processus de décomposition pour faire émerger une nouvelle « vision du monde » inspirée par la dynamique créatrice de l’évolution. Les acteurs de l’évolution culturelle ont un rôle : inventer les formes novatrices qui expriment et incarnent la dynamique évolutive, pour mobiliser et harmoniser les énergies jusque là dispersées par les intérêts égoïstes et divisées par des replis communautaristes.
On connaît la phrase d’Hölderlin : « Là où croit le péril, croît ce qui sauve ». A l’effondrement spectaculaire du vieux monde, à la peur et au repli que cet effondrement suscitent, correspond une profonde dynamique de régénération qui mobilise les énergies vitales et créatrices pour refonder un nouveau projet de société. Cette force régénératrice que Michel Maffesoli nomme « l’instituant » tend alors à trans-former les formes dégénérées de « l’institué ».
A l’origine de nouvelles formes de pensées et de sensibilité, cette force de l’instituant s’exprime notamment à travers le bouquet d’initiatives offert par ce Printemps du Nouveau Monde. Nous proposerons dans le prochain billet une rapide présentation de ces divers évènements pour être à l’écoute de cet « air du temps » qui, au cœur de toutes ces initiatives, exprime l’émergence d’une nouvelle « vision du monde ».

dimanche 3 avril 2011

L'Evènement


"L'Histoire Universelle est le progrès dans la conscience de la liberté" Hegel

L'Evènement apparaît comme une épiphanie de l'Histoire et l'Histoire comme une épiphanie de l'Esprit.

La Liberté est cet oiseau rebelle qui twitte dans la nuit.
L'Or du soleil ne lui a jamais répondu.
"Le Pharaon est mort" lui dit-il soudain.
Investies par la ferveur, les chaînes se brisent en mille étoiles dans une clameur d’Orient qui réveille les mémoires du Nil.
La révolte est l’autre nom de la vie.
Et la vie, cet autre nom de l’Esprit qui se manifeste à l'homme à travers l'Histoire.


L'Evènement : une épiphanie de l'Histoire
Dans un article donné au Monde, Alain Badiou rend compte de la manière dont surgit l’Evènement - cette épiphanie de l’Histoire - comme brusque création d'une myriade de nouvelles possibilités : « Une étincelle peut mettre le feu à la plaine. Tout commence par le suicide par le feu d'un homme réduit au chômage, à qui on veut interdire le misérable commerce qui lui permet de survivre, et qu'une femme-flic gifle pour lui faire comprendre ce qui dans ce bas monde est réel. Ce geste s'élargit en quelques jours, quelques semaines, jusqu'à des millions de gens qui crient leur joie sur une place lointaine et au départ en catastrophe de puissants potentats.
D'où vient cette expansion fabuleuse ? La propagation d'une épidémie de liberté ? Non. Comme le dit poétiquement Jean-Marie Gleize, "
un mouvement révolutionnaire ne se répand pas par contamination. Mais par résonance. Quelque chose qui se constitue ici résonne avec l'onde de choc émise par quelque chose qui s'est constitué là-bas". Cette résonance, nommons-là "événement". L'événement est la brusque création, non d'une nouvelle réalité, mais d'une myriade de nouvelles possibilités. Aucune d'entre elles n'est la répétition de ce qui est déjà connu. »
Cette résonance dont il est question est une résonance psycho-spirituelle qui anime l'égrégore d'un peuple. L'égrégore est le nom utilisé par les anciennes traditions et les nouvelles sociologies pour décrire la force invisible d'une conscience collective qui préside aux agrégations sociales. Ces notions de résonance et d'égrégore permettent de mieux comprendre le processus créateur à travers lequel le mouvement de la conscience collective s'exprime dans cette forme temporelle et singulière qu'est l'Evènement.
L'Histoire : une épiphanie de l'Esprit
Jalel Ben Abdallah écrit dans Le Monde : "Mohamed Bouazizi, ainsi que beaucoup de jeunes tunisiens diplômés, s'était résigné à survivre de petits boulots. En revanche, il n'a pas supporté de voir sa dignité bafouée par un agent municipal et par un préfet opposant à sa doléance une surdité méprisante. C'est cela qui a poussé Mohamed Bouazizi à s'immoler par le feu et la rue tunisienne à s'embraser. Ce n'est pas une vulgaire révolte du pain. C'est une révolution de la liberté et de la dignité."
Annah Arendt définissait la liberté comme surgissement, naissance, création. Car, après tout, qu'est-ce que l'Histoire si ce n'est la longue chronique d'une évolution qui libère progressivement l'homme des anciens modèles devenus limitations insoutenables par le jeu négatif de l'entropie et par celui, positif, du développement ? En tant que dynamique évolutive, le mouvement de l'histoire est création de l'homme par l'homme, animée par le souffle d'un idéal qui l'inspire. Et c'est pourquoi Hegel disait du mouvement de l'histoire qu'il était manifestation de l'Esprit.
Dans cette perspective, l’actualité est une chose bien trop sérieuse pour être confiée aux médias qui la transforme en spectacle en lui faisant perdre son sens véritable qui est symbolique. Car l’évènement - cette forme temporelle - est toujours avènement symbolique de l’Esprit, actualisant ainsi dans le temps sa puissance infinie. Et c'est en tant que forme symbolique que l'évènement révèle une perspective sur une myriade de nouvelles possibilités. L'actualité est toujours actualisation du potentiel créateur de l'esprit.
Les pattes de colombe
Selon Nietzsche : "Les idées qui mènent le monde arrivent sur des pattes de colombes". Et on sait que rien ne peut arrêter une idée dont le temps est venu. Emergent d'un long processus de maturation au sein de la conscience collective, les idées nouvelles vont s'exprimer à travers les trajectoires créatives singulières.
Ces colombes aux pas légers et silencieux qui transportent les nouvelles idées sont ces Visionnaires dont la sensibilité participe intimement et intuitivement au mouvement de la conscience collective.
Des créateurs qui vont traduire cette force collective en formes esthétiques et cognitives annonçant toujours l’avènement des temps nouveaux avant qu’ils ne s’objectivent en évènements qui transforment le monde. Dans ses Lettres à un jeune poète, Rainer Maria Rilke écrit : " Le futur est en nous bien avant qu'il n'arrive." Et c'est pourquoi, derrière la forme de l'évènement, le Visionnaire - ce journaliste de l'éternité - perçoit, avant tout, la force de l'Esprit qui actualise son potentiel créateur.
L'Histoire est décidément une chose bien trop sérieuse pour être confiée aux politiciens, aveuglés qu'ils sont par les apparences formelles et incapables de saisir, derrière celles-ci, l'expression d'une dynamique évolutive à travers laquelle l'Esprit se manifeste.
P.S : Un grand bonjour aux amis francophones du Maghreb et du Moyen-Orient qui viennent rendre régulièrement visite au Journal Intégral... Nous sommes de "tout choeur" avec vous, en pleine résonance !...