samedi 29 octobre 2011

Paradigme de la Transpoésie



Si tu veux percevoir l’invisible, observe le visible. Le Talmud
Le billet consacré à la Charte de la Transdisciplinarité rencontre un profond écho auprès des lecteurs du Journal Intégral. Nous y faisions référence à la révolution épistémologique en train de se dérouler silencieusement, sous nos yeux, sans que nos contemporains s’en rendent vraiment compte.
Cette révolution épistémologique s’exprime à travers l’émergence simultanée de nombreuses recherches qui, toutes, relèvent d’une même intention profonde : participer à la dynamique évolutive et créatrice qui se manifeste à travers une nouvelle forme de connaissance fondée sur l’intégration entre raison distinctive et intuition sensible.
A partir d'une approche transdisciplinaire, cet esprit intégratif reconfigure l'inspiration poétique pour faire advenir ce que Michel Camus nomme le Paradigme de la Transpoésie.

De la Transdisciplinarité à la Transpoésie

« Ouverture de toutes les disciplines à ce qui les traverse et les dépasse », la Transdisciplinarité est un de ces trajets créateurs qui participent de ce nouveau stade de l’esprit humain évoqué aussi bien par les poètes du Grand Jeu que par un savant comme Albert Einstein.

Poète, essayiste, éditeur, producteur à France culture, Michel Camus (1929-2003) était un éminent penseur de la Transdisciplinarité. Cet homme de lettre était aussi, et surtout, un homme de l’être faisant partie « des chercheurs de vérité aux yeux de qui la poésie initiatique orientée vers la connaissance unitive tend à relier l'essence de l'homme à l'essence de l'univers ».

En retrouvant ses origines initiatiques, la poésie apparaît essentiellement comme une forme singulière de gnose qui révèle le lien secret et analogique unissant l’homme et le monde. La singularité de cette connaissance unitive est à l'origine de ce que Michel Camus nomme la Transpoésie : « on pourrait appeler transpoétique la voie transfiguratrice du poète sourcier orientée vers l'autoconnaissance et l'unité de la connaissance. Visée qui traverse et dépasse la poésie. »
Dans le texte ci-dessous intitulé Paradigme de la Transpoésie, Michel Camus développe sa vision transculturelle de la poésie : « Le paradigme de la poésie transculturelle, c'est avant tout la nécessité de l'éveil de l'homme à ce qui le fonde, à ce qui le traverse et à ce qui le dépasse...
Etre transculturel, c'est, pour l'essentiel, ne pas se laisser aliéner par des formes et des croyances, par des systèmes de pensée et des enseignements formels
. » La vision intégrale participe de cette approche transculturelle dans la mesure où elle perçoit les divers systèmes culturels comme autant d'expressions formelles d'une même dynamique évolutive.

Michel Camus. Paradigme de la Transpoésie
Nous ne savons pas ce qu'est la poésie. Les concepts univoques que l'on appelait naguère "le monde", "la réalité", "la nature", "la culture", "la poésie" sont devenus naïvement réducteurs dès lors que les chercheurs ont pris conscience de la pluralité des mondes et des cultures, de la complexité croissante des niveaux de réalité et des niveaux de perception échappant à la logique aristotélicienne et à la dialectique binaire.

Ainsi existe-t-il une infinité de niveaux de vérité et de complexité de la poésie, une verticalité des niveaux de perception de la poésie, une pluralité de directions de recherche, une multiplicité de formes d'art poétique.

Quantité de courants de la poésie contemporaine sont étrangers à la haute poésie initiatique qui fut celle des origines en Orient. Evidence que les adeptes du Grand Jeu avaient clairement perçue en découvrant les versets du Rig Véda. René Daumal et ses amis avaient ouvert une voie poétique, mystique et gnosique, à travers les cultures contradictoires de l'Orient et de l'Occident, comme à travers les sciences tournées exclusivement vers le pôle du Sujet et les sciences tournées exclusivement vers le pôle de l'Objet.

Il y a encore en France comme ailleurs des poètes ouverts à la dimension invisible du "sacré de cohésion" pour le distinguer, comme le fit Roger Caillois, du "sacré de dissolution". Il y a des poètes transreligieux habités par un sentiment de l'Absolu : le poète arabe Adonis par exemple. Des poètes mystiques athées comme Bernard Noël. Des poètes de l'énigme à différents degrés d'intensité dans le régime du feu. Des chercheurs de vérité aux yeux de qui la poésie initiatique orientée vers la connaissance unitive tend à relier l'essence de l'homme à l'essence de l'univers.

Poésie sorcière et sourcière. Poésie éveilleuse. Seul le poète éveillé sait que les vivants sont de même essence que les morts. Mais la poésie la plus éveilleuse aujourd'hui n'est vivante que dans les catacombes d'une époque en proie à la désintégration de toutes les valeurs, la dégénérescence de toutes les religions, l'effondrement des derniers mythes comme le marxisme et l'eschatologie utopique de la science.
Dans un monde ayant perdu tout point de repère, il y a encore ici et là des hérétiques porteurs du feu sacré, des alchimistes du silence et des voyants. Les médias ont peur du silence. Insensibles à la haute poésie, les hommes qui vivent à la surface de la vie sont incapables de pressentir le secret du silence vivant caché dans tout silence de mort.

Nord, Sud, Est, Ouest font partie de la même Rose des Vents et sont générés par le même centre énigmatique. Toute vraie recherche poétique, quelle que soit sa langue ou la nature de sa culture, est orientée vers le centre et tente de s'en approcher au sens où le poète Antonin Artaud s'était écrié : « Mais qui a bu à la source de vie ? »

Parmi les voies de recherche qui convergent, chacune par sa propre voie de passage, vers l'inaccessible source de vie, on pourrait appeler transpoétique la voie transfiguratrice du poète sourcier orientée vers l'autoconnaissance et l'unité de la connaissance. Visée qui traverse et dépasse la poésie.

Habité par le sentiment de l'Absolu, le poète sourcier est aujourd'hui citoyen du monde. Il est transnational au sens où il se sent relativement relié à plusieurs niveaux de réalité à la fois, mais absolument relié à ce qui les traverse et les dépasse. C'est dire qu'il se sent citoyen du cosmos, puis citoyen de la Terre (le "village-planète" de Jacques Delors), puis Européen, puis Français, puis Corse par exemple.

L'essentiel est de n'absolutiser aucun niveau de réalité. Hélas, l'homme a fâcheusement tendance, disait en substance Kierkegaard, à relativiser l'Absolu tout en absolutisant le relatif.
Il s'agit, au contraire, de perdre nos identifications absolutistes pour accéder à ce que René Berger appelle une trans-identité : concept infiniment ouvert analogue à celui de l'identité infinie de toute conscience éveillée à sa transcendance intérieure et à la transcendance de l'univers, donc à une double transcendance à percevoir unitivement. On peut donc être à la fois national par appartenance à une culture territoriale et transnational par esprit transculturel.
Etre transculturel, c'est, pour l'essentiel, ne pas se laisser aliéner par des formes et des croyances, par des systèmes de pensée et des enseignements formels. C'est s'ouvrir à la transcendance du sens du sens en amont du langage, ouverture que le chaman mexicain Don Juan Matus appelle la "connaissance silencieuse" inséparable de notre lumineuse ignorance.

Le poète sourcier tend à réconcilier les soeurs ennemies de la poésie et de la philosophie. La vision transculturelle de la poésie est forcément transreligieuse; elle est planétaire avant d'être européenne, française ou autre; elle fleurit au centre de la Rose des Vents; elle est ouverte à toutes les différences.

Notre identité occidentale est illusoire dans la mesure où elle n'intègre pas l'Autre -l'orientale- que nous sommes de toute éternité. Dans cette optique, Rûmi est notre maître à vivre au même titre que Maître Eckhart.

Notre compréhension de toute culture différente de la nôtre ne peut résulter que de notre propre compréhension ouverte à l'identité des contraires. Nous, Occidentaux, sommes par essence les alter ego des Orientaux. Nous faisons partie comme eux du même Nous transcendantal pour faire référence à la vision, chez Edmund Husserl, de l'intersubjectivité absolue des êtres et des choses régissant l'essence de la vie.

Un des axiomes du poète sourcier, c'est le principe absolu de la relativité de toute réalité et de tout langage. Il sait que tout est métaphore. Il sait que le paradoxe du langage poétique est de faire allusion à ce qui échappe au langage. On oublie souvent que le langage est une grande muraille de Chine. Le poète sourcier la traverse en s'ouvrant au silence vivant. C'est par là que le poète échappe à la prison de la langue. "Il n'y a pas de poésie sans silence", disait Roberto Juarroz.

Cette présence infiniment proche infiniment lointaine du silence vivant, on peut l'appeler indifféremment présence du sacré ou conscience de la transcendance immanente au sens où la transcendance est immanente à la conscience elle-même. C'est de l'ordre du secret que la poésie initiatique tente, par impossible, de faire partager. C'est un secret pour ainsi dire transpoétique, car il traverse la parole et le silence, car il est en amont de la parole et du silence.

C'est le tiers secrètement inclus dans l'opposition binaire de la parole et du silence. Ce tiers inclus, aucun poète n'a jamais dit et ne dira jamais ce que c'est. Maître Eckhart y fait allusion en évoquant l'essence d'une "troisième parole" qui n'est ni dite ni pensée et qui n'est jamais exprimée.

Le silence poétique peut accéder, dans son vécu, à un haut degré lumineux de silence. Seul ce silence-là peut nous délivrer des opacités et des pesanteurs du langage. Ce n'est pas un silence vide, c'est un silence plein et même débordant de sens silencieux. Peu importe le nom servant à désigner l'abîme ou le trou caché dans la langue, autrement dit le non-référent qui échappe à tout langage.

Le poète sourcier utilise librement les mots comme des flèches tirées vers l'Imprononçable, vers la Source inaccessible mais inépuisable. En tant qu'homme des limites, il ne peut que l'approcher sans jamais l'atteindre. Dire "la Source" est encore une métaphore; celle de l'énigme du "Qui?" et de l'énigme du "Quoi?" qui sont une seule et même énigme. Le poète est libre d'y faire allusion en évoquant le Sans-Nom, le Sans-Forme ou le Sans-Fond. C'est paradoxalement le Sans-Fond qui fonde l'unité de la connaissance poétique.

Nous vivons dans un monde où la technoscience génère une technoculture qui n'a plus rien à voir avec l'agriculture de l'âme. Aux pouvoirs exorbitants de cette mondialisation sauvage, quels contre-pouvoirs les poètes sourciers peuvent-ils opposer ? De résistance à l'enténèbrement médiatique. D'autotransformation vers l'autoconnaissance. Notre vision du monde ne peut changer que si nous changeons de l'intérieur, que si nos états de conscience évoluent, selon le mot de Goethe, vers plus de lumière, Mehr Licht !

Dans le combat titanesque où s'opposent la lumière et les ténèbres, chacun, selon sa nature, est serviteur soit de la néguentropie soit de l'entropie, ou bien de l'évolution de la conscience ou bien de son involution. Chacun est l'instrument conscient ou inconscient de puissances qui dépassent son entendement. Les poètes sourciers savent de quel côté ils combattent.

Le paradigme de la poésie transculturelle, c'est avant tout la nécessité de l'éveil de l'homme à ce qui le fonde, à ce qui le traverse et à ce qui le dépasse.

Le Manifeste de la Transdisciplinarité de Basarab Nicolescu, physicien quantique mais auteur d'un millier de Théorèmes poétiques, ouvre des voies de rencontre entre les poètes et les scientifiques, entre les chercheurs en sciences humaines et les chercheurs en sciences exactes. C'est un tournant radicalement nouveau. C'est le germe d'une nouvelle alliance des chercheurs et des créateurs de toutes disciplines contre les prédateurs au pouvoir.

Un nombre grandissant d'astrophysiciens et de physiciens quantiques se révèlent être des poètes métaphysiciens. L'alliance des chercheurs de vérité, les uns interrogeant le pôle du Sujet et les autres le pôle de l'Objet, et leurs interactions transdisciplinaires peuvent constituer un infracassable noyau de lumière contre l'enténèbrement programmé des prédateurs.

Le destin de l'humanité n'est pas joué d'avance, il se crée à tout instant. Lancé sur le vaisseau-terre dans une fabuleuse aventure cosmique, le phénomène humain possède aussi au coeur de lui-même l'inépuisable potentialité de s'éveiller à la transcendance lumineuse de sa propre source intérieure. C'est la vocation des poètes sourciers d'y faire allusion en créant de nouveaux points de repère et de nouveaux signes d'orientation sur le chemin sans chemin de l'infini intérieur.

Texte publié dans Transversales Science/Culture n°44, mars-avril 1997. On peut le lire ici dans le N°12 de Rencontres Transdisciplinaires, le bulletin interactif du Ciret, le Centre international de Recherches et Etudes Transdisciplinaires.

Ici
le site officiel dédié à Michel Camus.

mardi 25 octobre 2011

René Char. Une Poétique Intégrale (3)

Commune présence

Tu es pressé d'écrire,
Comme si tu étais en retard sur la vie.
S'il en est ainsi fais cortège à tes sources.
Hâte-toi.
Hâte-toi de transmettre
Ta part de merveilleux de rébellion de bienfaisance.
Effectivement tu es en retard sur la vie,
La vie inexprimable,
La seule en fin de compte à laquelle tu acceptes de t'unir,
Celle qui t'est refusée chaque jour par les êtres et par les choses,
Dont tu obtiens péniblement de-ci de-là quelques fragments décharnés
Au bout de combats sans merci.
Hors d'elle, tout n'est qu'agonie soumise, fin grossière.
Si tu rencontres la mort durant ton labeur,
Reçois-là comme la nuque en sueur trouve bon le mouchoir aride,
En t'inclinant.
Si tu veux rire,
Offre ta soumission,
Jamais tes armes.
Tu as été créé pour des moments peu communs.
Modifie-toi, disparais sans regret
Au gré de la rigueur suave.
Quartier suivant quartier la liquidation du monde se poursuit
Sans interruption,
Sans égarement.

Essaime la poussière
Nul ne décèlera votre union.

(Le Marteau sans maître)

René Char. Une poétique intégrale (1) (2)





mardi 18 octobre 2011

Formation au Tantra Intégral



La connaissance du monde sans la conscience des désirs de vie est une connaissance morte. Raoul Vaneigem
La vision intégrale n’est pas une connaissance morte, réductible à des modèles abstraits, mais une expérience vécue qui prend sa source dans une intime connexion entre l’esprit supérieur et l’énergie interne.
Vivre cette connexion c’est affiner sa sensibilité et son désir en canalisant son énergie pour la transmuer à travers des niveaux d’intensité et de subtilité de plus en plus fins. A travers sa formation au tantra intégral, Jacques Ferber ouvre à la fois les portes de la perception et de la conception sur ce nouveau stade évolutif qui est celui d’une vision intégrale.

L’illusion cartographique
Beaucoup d’individus qui découvrent la culture intégrale sont victimes d’une «illusion cartographique » fondée sur la confusion entre la carte et le territoire. Prendre la carte pour le territoire c’est confondre un modèle théorique, toujours abstrait et conceptuel, avec la dimension concrète d’une expérience vécue qui est à la fois sensible et singulière, dynamique et multidimensionnelle, complexe, concrète et contextualisée.
La vision intégrale ne consiste pas à appliquer mécaniquement des modèles abstraits aux courants dynamiques de la vie et créateurs de l’esprit car l’expérience vécue n’est réductible à aucun modèle, aussi sophistiqué soit-il. Dans sa préface au livre de Franck VisserKen Wilber : La pensée comme passion – Wilber nous met en garde contre cette « illusion cartographique » :
« La seule chose que je sache, et je voudrais insister là-dessus, est que n'importe quelle théorie intégrale n'est jamais que cela – une théorie... J'ai écrit des traités académiques qui ont pour objet la spiritualité et sa relation à un grand nombre d’autres domaines, mais ma recommandation est toujours que les gens entreprennent une réelle pratique spirituelle, plutôt que de se contenter de lire dessus.
Une approche intégrale de la danse dit: mettez-vous à danser, et bien sûr lisez aussi un livre sur la danse. Faites les deux, mais quoi qu'il arrive, ne vous contentez pas de lire le livre. C'est comme prendre des vacances aux Bermudes en restant assis à la maison et en regardant des cartes. Mes livres sont des cartes, mais s'il vous plaît, allez aux Bermudes et voyez par vous-mêmes.
... En d'autres termes, tous mes livres sont des mensonges. Ils sont simplement des cartes d'un territoire, des ombres d'une réalité, des symboles gris traînant leurs ventres sur la page morte, des signes suffoqués pleins de sons étouffés et de gloire fanée, ne signifiant absolument rien. Et c'est le rien, le Mystère, la Vacuité seule qui doivent être réalisés: non pas connus mais ressentis, non pas pensés mais respirés, non pas un objet mais une atmosphère, non pas une leçon mais une vie.
»

Une sensibilité intégrée

Du fait de leur culture abstraite, les français sont plus particulièrement victimes de cette illusion cartographique. Leur formation les conduit à penser qu’il suffit de maîtriser des modèles abstraits pour s’éveiller à une nouvelle forme de conscience. Erreur fatale. Cette maîtrise intellectuelle sert souvent de prétexte à une approche surplombante qui - par peur, orgueil et inertie - refuse de s’impliquer de manière concrète et subjective dans un processus de transformation concernant l'individu dans sa globalité. Quand elle devient un obstacle au lâcher prise, cette distance abstraite empêche de se connecter avec les profondeurs de l’intériorité.

Or, une approche ne devient intégrale que si elle concerne non seulement toutes les dimensions de l’individu – son corps, sa vitalité, ses émotions, son intellect et son inspiration supérieure – mais aussi le rapport que cet individu entretient avec les milieux – sociaux, naturels et culturels – où il évolue.

On ne peut véritablement changer de conception sans développer de nouvelles perceptions. Pour ce faire, il faut accueillir en soi le souffle de la vie qui est aussi celui d'une inspiration donnant à la vie tout son sens et sa plénitude ; il faut être à l’écoute de ses ressentis et de ses intuitions, s’éveiller à une subtilité énergétique et aux états supérieurs de conscience, se libérer des schémas mentaux, des scénarios émotionnels et de l’emprise de l’ego qui limitent notre présence au monde et à nous-mêmes.
Pas de conscience intégrale sans une sensibilité intégrée à cette totalité organique et multidimensionnelle qu’est le Kosmos en évolution.
Le développement intégral de la conscience nécessite à la fois l’élargissement du spectre de ses perceptions et l’élaboration de références conceptuelles permettant d’interpréter les informations issues de ce spectre élargi. La théorie intégrale est un système de références qui permet d’interpréter notre expérience avec le plus de profondeur et de complexité possible. Selon Jacques Ferber, la principale qualité de Ken Wilber est « cette articulation entre une pensée conceptuelle riche et brillante et le pointage vers une expérience spirituelle profonde. ».

Ce petit aparté sur l’illusion cartographique vise donc à attirer l’attention sur l’importance essentielle de l’expérience vécue pour celui qui désire s’engager dans la voie d’une conscience intégrale. Faire abstraction de cette expérience intérieure en se limitant à la maîtrise intellectuelle de modèles abstraits, c’est tout simplement prendre la carte pour le territoire et imaginer les Bermudes sans quitter sa chambre !...

Développement intégral

Cette introduction était nécessaire avant de présenter une formation au Tantra Intégral dont le but est justement de partager une expérience vécue dans l’esprit d’un développement intégral. Conçue et animée par Jacques Ferber, cette formation est une occasion, encore très rare en France, de faire le lien entre une démarche intérieure – à la fois corporelle, énergétique, méditative, créatrice et psycho-spirituelle – et des références théoriques puisées aux meilleures sources de la théorie intégrale.

Depuis plus de 20 ans, Jacques Ferber établit des ponts entre science et conscience. Cet enseignant-chercheur à l’Université des sciences de Montpellier, spécialiste de sciences cognitives, a suivi une démarche spirituelle qui l’a conduit à pratiquer diverses approches traditionnelles à la fois méditatives, énergétiques et corporelles.

Cette conjonction entre une approche conceptuelle rigoureuse et une sensibilité à la fois créatrice et spirituelle a tout naturellement conduit Jacques Ferber à explorer les voies novatrices d’une conscience intégrale. Auteur de L’amant tantrique, il est aussi co-auteur de l’ouvrage Le Monde change... et nous ? dans lequel il présente une synthèse fort intéressante des modèles intégraux de la conscience et de la culture développés aussi bien par Ken Wilber que par Clare Graves.

Nous avons présenté l’itinéraire singulier de Jacques Ferber dans les billets consacrés au blog Développement Intégral dont il est l’animateur. Un de ces billets était justement consacré à La Voie d'Eros. Son itinéraire a fait de Jacques Ferber une personne-ressource de référence dans le mouvement intégral en train de se développer en France. C’est pourquoi je désirais faire connaître aux lecteurs du Journal Intégral l’opportunité que représente cette formation au Tantra Intégral proposée dans la région de Montpellier durant la saison 2011/2012.

Cinq modules proposant une formation au Tantra Intégral

Le tantra est une voie d’éveil qui nous propose d’aller au centre de nous-mêmes, à ce que nous sommes profondément, à partir d’une relation directe à l’Esprit, l’Autre, et la Nature. Le tantra nous invite à nous connecter à la partie divine en nous au travers de pratiques qui mettent en jeu la méditation, la conscience, le questionnement de soi (qui suis je?), la danse, la sensualité, la respiration, les mantras et la relation masculin/féminin pour transmuter l’énergie de vie (et notamment l’énergie sexuelle) en amour inconditionnel et en extase divine.

L’approche intégrale, telle qu’elle a été proposée par Ken Wilber ou par Clare Graves (appelée alors Spirale Dynamique), permet d’appréhender le monde comme évolution. Elle donne des repères conceptuels, une carte, permettant d’intégrer l’ensemble des dimension de l’être, aussi bien sur le plan individuel que collectif, mais aussi des guides pratiques pour unir connaissance et expérience directe, raison et intuition, sagesse et émotion, masculin et féminin, sexualité et spiritualité, individuel et collectif.

Les Thèmes abordés
Les aspects suivants sont développés dans ce cycle de formation au Tantra Intégral :

Vivre comme un dauphin: changer le mode de notre propre gouvernance intérieure (vision, différence entre intérêt et enthousiasme, prise de décision « intégrale » ou « éclairée », etc.). Avancer dans la vie comme un dauphin, en suivant le flux et comment agir pleinement (en fait paradoxalement beaucoup plus efficacement) sans entrer dans le contrôle, afin de ressentir la Joie profonde de l’existence.

Reconnaître notre guide intérieur et son enseignement en passant de la direction du mental/ego à une guidance fondée sur l’intuition et l’écoute profonde de nos ressentis. Découvrir la sagesse qui réside dans le ventre (Hara) et, pour les femmes, dans leur Grotte Sacrée.

Des croyances à la co-création: comment nous nous emmurons dans notre monde par nos croyances et nos jugements, comment sortir de notre vision aliénante et entrer dans un espace intersubjectif de rencontre avec l’autre, pour co-créer ensemble un monde nouveau.

L’autre comme le miroir de nos ombres et le chemin de notre développement. Comment voir nos ombres et la manière dont elles se projettent sur l’autre. Comment intégrer nos ombres à la lumière, dans un processus de croissance individuelle et collective.

Les stades de l’évolution individuelle et collectives : comment appréhender le monde qui nous entoure et notre place dans l’évolution du monde. Comment agir pour favoriser le développement du monde et le nôtre. La rencontre tantrique à tous les niveaux de développement.

Les blessures du coeur. Les reconnaître (en allant voir ses ombres) et les soigner par le pardon et l’amour. Ici encore: passer des peurs à l’amour. Les blessures comme opportunité pour avancer et aller au delà du moi, pour rencontrer l’âme et le « je suis»: essences de ce que nous sommes..

Sexualité et spiritualité: un mariage essentiel dans l’amour et la conscience. L’union de la grotte sacrée et du glorieux lingam. La puissance soignante, régénératrice, fécondante et impulsante de vie de la sexualité tantrique.

Connexion au divin et à la Source: reliance à la Source, par la rencontre à soi, à l’autre, et au divin incarné dans le monde, afin de participer en pleine conscience à la Danse du Divin, la Lila Cosmique, la magie de l’Existence, dans l’évolution du monde…

Dimensions individuelles, relationnelles et collectives
Chaque stage appréhendera, en fonction des possibilités du groupe, la dimension individuelle, relationnelle et collective de l’éveil:

D’abord, il s’agira d’avancer sur la voie extatique de la connexion au divin. Nous irons nous connecter à notre essence au travers de méditations, de danses, de massages et de « moyens habiles » ludiques, sensuels, et profonds, afin de nous permettre d’incarner plus souvent la Joie au quotidien et de nous ouvrir à une relation à l’autre plus authentique.

Puis, nous nous aiderons mutuellement à réintégrer toutes les parties de nous mêmes qui ont été si souvent niées, rejetées, humiliées, jugées, étouffées, afin de nous libérer et d’être enfin Un.

Enfin, nous nous éveillerons à notre âme, de manière à pouvoir participer, en liberté, joie et conscience à l’évolution du monde, et être acteur et facilitateur, dans l’amour et la puissance, de cette transformation. Et nous ferons ainsi l’expérience de prises de décisions et d’actions de groupe en fonctionnant au delà de l’ego, pour incarner l’intelligence et la sagesse collective, et vivre l’égrégore.

Dates des stages
Chaque module comprend une focalisation particulière. Il n’est pas nécessaire de les pratiquer dans l’ordre, et aucun pré-requis n’est nécessaire, chacun étant organisé de manière autonome. On peut s’inscrire à un ou plusieurs modules, de manière indépendante. Il n’est pas nécessaire de devoir s’inscrire à l’ensemble des modules. A part le dernier (sexualité sacrée) qui est réservé à des pratiquants non débutants, les modules sont ouverts aussi bien à des pratiquants de tantra chevronnés qu’à des débutants…

Ces modules feront appel, en co-animation, à d’autres intervenants.

11 au 13 novembre 2011. La fluidité du dauphin dans l’articulation Yin-Yang. Cévennes (Complet. Un dédoublement de ce stage à une autre date est envisagé).

27au 29 Janvier 2012. La relation comme voie d’éveil (lieu à préciser).

2 au 4 mars 2012. Intégration et plénitude. Cévennes

4 au 6 mai 2012. Joie individuelle et sagesse collective. Cévennes

1 au 3 juin 2012. Sexualité sacrée. Cévennes [module avancé]

Se connecter ici pour toutes les informations pratiques.

vendredi 14 octobre 2011

René Char. Une Poétique Intégrale (2)

Leur crime : un enragé vouloir de nous apprendre à mépriser les dieux que nous avons en nous.
Le poète, conservateur des infinis visages du vivant.
Celui qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égards ni patience.
Ne t'attarde pas à l'ornière des résultats.
L'acte est vierge, même répété.
A chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir.
Aucun oiseau n'a le coeur de chanter dans un buisson de questions.
Dans nos ténèbres, il n'y a pas une place pour la beauté. Toute la place est pour la beauté.
Mettre en route l'intelligence sans le secours des cartes d'état-major.
Pleurer longtemps solitaire mène à quelque chose.
Mais qui rétablira autour de nous cette immensité, cette densité réellement faites pour nous, et qui, de toutes parts, non divinement, nous baignaient ?
Vivre c'est s'obstiner à achever un souvenir ? Mourir c'est devenir, mais nulle part, vivant ?
L'appétit de quelques esprits a détraqué l'estomac des hommes. Pourquoi cette perte de noblesse entre révélation et création ?
Le réel quelques fois désaltère l'espérance. C'est pourquoi contre toute attente, l'espérance survit.
Ce dont le poète souffre le plus dans ses rapports avec le monde c'est du manque de justice interne.
Il existe une sorte d'homme toujours en avance sur ses excréments.
Arthur Rimbaud jaillit en 1871 d’un monde à l’agonie qui ignore son agonie et se mystifie, car il s’obstine à parer son crépuscule des teintes de l’aube de l’âge d’or.
Le monde contemporain nous a déjà retiré le dialogue, la liberté et l'espérance, les jeux et le bonheur; il s'apprête à descendre au centre même de notre vie pour éteindre le dernier foyer, celui de la Rencontre.
Viendra le temps où les nations sur la marelle de l’univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que les organes d’un même corps, solidaires en son économie. Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra-t-il encore garantir l’existence du mince ruisselet de rêve et d’évasion ? L’homme, d’un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs...
René Char. Une Poétique Intégrale (1)



samedi 8 octobre 2011

Université Intégrale (11) Une Economie des Profondeurs (fin)




Le danger, ce n'est pas ce qu'on ignore, c'est ce que l'on tient pour certain et qui ne l'est pas. Mark Twain

Dans notre dernier billet dont celui-ci constitue la suite, nous présentions le contexte culturel permettant l’émergence d’une nouvelle forme de pensée économique qui s’émancipe de cette idéologie dominante qu'est "l’économisme" pour envisager une « économie des profondeurs » capable de décrire les interactions entre les économies psychique, symbolique et monétaire.

Nous présentons ci-dessous les conférences de Patrick Viveret, Bernard Lietaer et Michel Saloff-Coste qui se sont déroulées lors de la treizième session de l’Université Intégrale et qui apparaissent comme autant d’illustrations de cette « économie des profondeurs ».

La Résilience face à la Crise Financière. Patrick Viveret




Patrick Viveret : construire la résilience face à la crise financière from UNIVERSITE INTEGRALE on Vimeo.


Patrick Viveret analyse les crises financières comme des crises de foi et de confiance vis-à-vis d’un modèle capitaliste dont le rôle historique se termine, et comme autant de signes annonciateurs de la fin d’un cycle : celui des temps modernes. Il observe les dynamiques régénératrices qui s’expriment à travers de nombreux phénomènes économiques et monétaires, culturels et spirituels. Ces dynamiques évolutives pourraient permettre à l’humanité de sortir de ce cycle par le haut en évitant la menace d’une régression généralisée que fait courir l’écroulement de références et d’habitudes séculaires.

La conférence de Patrick Viveret est lumineuse et son discours habité par une vision à la fois savante et inspirée qui ouvre des perspectives enthousiasmantes. A voir absolument pour tous ceux qui s’interrogent sur le sens des crises que nous vivons et sur la possibilité que nous avons de les surmonter en participant, ensemble et séparément, à la dynamique créatrice de l’évolution.

Philosophe, essayiste, ancien conseiller référendaire à la Cour des Comptes, Patrick Viveret est l’auteur de nombreux livres dont Pourquoi ça ne va pas plus mal (2005), Pour un nouvel imaginaire politique (collectif 2006), Comment vivre en temps de crise (avec Edgar Morin, 2010), De la convivialité, dialogues sur la société conviviale à venir (collectif 2011). Il est nommé par Guy Hascoët (secrétaire d’Etat à l’économie solidaire) de diriger la mission « nouveaux facteurs de richesse » (2001-2004) qui aboutira au rapport « Reconsidérer la richesse »

Patrick Viveret est à l'origine de la Monnaie complémentaire Sol, dont trois expérimentations (au Nord-Pas-de-Calais, en Île-de-France et en Bretagne) ont été lancées en mars 2006. Il est aussi le co-fondateur des rencontres internationales « Dialogues en Humanité ». Nous avons présenté ici ses réflexions sur la sobriété heureuse.

Au Coeur de la Monnaie. Bernard Lietaer




Bernard Lietaer : au cœur de la monnaie from UNIVERSITE INTEGRALE on Vimeo.


Dans les deux billets consacrés à une vision intégrale de la monnaie nous avions présenté quelques éléments concernant les recherches menées par Bernard Lietaer. La monnaie représente pour lui une projection de l’inconscient collectif des sociétés. Il utilise les concepts de la psychologie collective élaborés par Jung pour interpréter le rôle des archétypes qui structurent cet inconscient collectif à travers des séquences d’émotions et d’actions pouvant être observés à travers le temps et les cultures.

Lié à l’abondance matérielle, à la sexualité, à la fertilité et à la monnaie, l’archétype de la Déesse Mère, dominant dans les sociétés primitives, représente la matrice primordiale d’où émerge la puissance vitale et l’abondance à travers laquelle se manifeste cette puissance originelle. Le mot monnaie vient d’ailleurs de Juno Moneta, une représentation grecque de la déesse mère dans le temple de laquelle était frappé la monnaie.

Cet archétype de la Déesse Mère a été réprimé durant plusieurs millénaires par un imaginaire patriarcal, fondé sur la domination et la séparation, qui s’est imposé à travers les croyances, la religion et les modes d’organisation. Cette répression fait que nous sommes hantés par les ombres de la Déesse Mère que sont la cupidité et la pénurie, l’ombre étant la manifestation d’un archétype quand il est réprimé.

Les temps sont venus de se libérer du monopole de cet imaginaire patriarcal qui menace aujourd’hui notre survie, pour inventer de nouvelles formes économiques, monétaires et culturelles intégrant les éléments yin/féminin et yang/masculin. Qu’elle soit capitaliste ou communiste, l’économie yang est fondée sur un monopole monétaire avec un taux d’intérêt positif qui implique tout un système fondé sur la compétition, la rareté de la monnaie, le capital financier et les transactions commerciales.

De nos jours émerge une économie Yin à travers lequel s’exprime l’archétype de la Déesse Mère. Cette économie coopérative développe un capital social et se manifeste notamment à travers des transactions communautaires et une diversité de monnaies complémentaires. Fondamentalement la monnaie représente de l’information. L’ère post-industrielle dans laquelle nous entrons est celui d’une société de l’information dont il faut utiliser les outils dans un projet d’intégration des polarités yin et yang.

Bernard Lietaer a derrière lui trente ans d'expériences professionnelles : haut fonctionnaire de banque centrale, président du système de paiement électronique de Belgique, et directeur général de fonds monétaires ; consultant auprès de firmes multinationales, mais aussi de pays en développement ; professeur de finance internationale à l'Université de Louvain, avant de devenir le plus haut dirigeant en charge des services d'organisation et d'informatique de la Banque Centrale de Belgique. Son premier projet, en cette fonction, a été la conception et l'implantation de l'ECU, le système de convergence vers la monnaie unique européenne.

Il a aidé des pays en développement d'Amérique latine à améliorer la solidité de leurs monnaies. Il est l'auteur de Au Cœur de la Monnaie et « Monnaies Régionales : De nouvelles voies vers une prospérité durable ». Plus d'informations sur ses travaux sont disponibles ici sur son site. A lire ici la recension de son ouvrage : Au cœur de la monnaie. Un reportage de France Info consacré hier aux monnaies complémentaires est illustré par un entretien avec Bernard Lietaer.

Michel Saloff-Coste. Les Monnaies ont-elles une âme ?




Michel Saloff-Coste : les monnaies ont-elles une âme ? from UNIVERSITE INTEGRALE on Vimeo.


Initiateur de l’Université Intégrale, Michel Saloff-Coste tire les conclusions de cette session dédiée à la monnaie et aux indicateurs de richesses. Il considère que l’humanité vit aujourd’hui un carrefour historique et stratégique singulier. Soit nous nous laissons happer dans des stratégies régressives qui s’avèrent suicidaires. Soit nous mobilisons les extraordinaires facultés créatrices de l’être humain pour inventer une voie nouvelle.

Ce changement de civilisation se fera par un changement de regard, notamment sur l’économie et la monnaie, et ce changement de regard passe par l’émergence d’une nouvelle épistémologie. C’est pourquoi les débats qui se sont déroulés lors de cette session lui apparaissent fondamentaux dans la mesure où ils sont les prémisses d’une nouvelle vision économique fondée sur une perspective transdisciplinaire et intégrale. De telles approches novatrices redonnent à la monnaie une âme qui lui avait été volée par une science économique fondée sur le paradigme réductionniste et abstrait d’une modernité marchande et industrielle.

Redonner une âme à la monnaie c’est tout simplement faire le constat évident que la valeur monétaire est toujours le reflet des valeurs collectives autour desquelles les êtres humains font société. A société matérialiste, monnaie matérialiste, à société spirituelle, monnaie spirituelle. Une économie intégrale prendra en compte les divers niveaux de l'échange monétaire qui traduisent sur le plan quantitatif les différents types de relations qualitatives que l’être humain entretient avec les milieux – sociaux et naturels, culturels et spirituels – dans lesquels il évolue.

Co-fondateur du Club de Budapest France, Michel Saloff-Coste est chercheur, peintre, consultant. Auteur de nombreux livres dont « Le management du 3e millénaire » (2008), « Trouver son génie » (2005) et « Le dirigeant du 3e millénaire » (2006). Nous avons présenté ici un entretien avec Michel Saloff-Coste : Au-delà de la crise, penser la « nouvelle civilisation ».

mercredi 5 octobre 2011

Université Intégrale (10) Une Economie des Profondeurs



Changer, c’est d’abord changer de point de vue. J.B Pontalis
Lundi 19 Septembre, lors de sa treizième session, l’Université Intégrale a été le théâtre d’un impressionnant dialogue entre deux penseurs visionnaires de l’économie et de la monnaie, Bernard Lietaer et Patrick Viveret, autour du thème : « La monnaie, yin et yang de l'économie ? ».
On peut voir ici la vidéo de la conférence de Bernard Lietaer dont le titre Au cœur de la monnaie reprenait celui de son dernier livre dont nous avons parlé dans un billet précédent. Intitulé La résilience face à la crise financière, on peut voir ici la vidéo de la conférence de Patrick Viveret.
Valeurs qualitatives et valeur quantitative
Loin de l’idéologie dominante qui consiste à réduire l’économie et la monnaie à une dimension purement abstraite et instrumentale, les travaux de ces deux chercheurs montrent à quel point l’organisation économique et monétaire des sociétés est le reflet des croyances et des émotions collectives.
La valeur économique et monétaire renvoie toujours à une intersubjectivité émotionnelle et culturelle fondée sur des valeurs collectives et qualitatives. Quand ces valeurs collectives ne sont plus adaptées à l’évolution du contexte historique et technologique ainsi qu’aux conditions de vie des sociétés, elles s’effondrent, entraînant de ce fait l’écroulement des valeurs monétaires qui en étaient la traduction économique.
A ce cycle de dégénérescence correspond l’émergence régénératrice de nouvelles formes culturelles et sociales, économiques et monétaires, adaptées à un nouveau stade évolutif.
Un modèle mécaniste
Inspirée par les méthodes de la science expérimentale, la psychologie naissante au dix-neuvième siècle décrivait un sujet libre, rationnel et volontaire, dont les comportements pouvaient être observés et mesurés. La science économique s’est construite autour de cet individu abstrait et autonome.
En appliquant aux flux économiques une grille d’observation et d’interprétation adaptée aux phénomènes matériels, la science économique a plaqué un modèle mécaniste sur la complexité dynamique et multidimensionnelle des échanges qui sont au cœur de l’organisation socio-économique.
Elle en est ainsi venue à dénier les valeurs qualitatives et collectives qui fondent la valeur monétaire pour promouvoir un ensemble de procédures techniques liées à des abstractions formelles ainsi qu'à des modèles mathématiques et statistiques qui n’ont plus grand-chose à voir avec la vie concrète, la profondeur et le mouvement des sociétés.
Une idéologie dominante
Face au réductionnisme psychologique sont apparus avec Freud et Jung les représentants d’une « psychologie des profondeurs » qui appréhendait les dynamiques inconscientes de la psyché, puis, à partir des années 60, les tenants d’une approche systémique et ceux d’une psychologie transpersonnelle prenant en compte les champs relationnels et supérieurs de la psyché. Toutes ces démarches remettaient en question l’individu autonome en démontrant qu’il était traversé et déterminé par des dynamiques à la fois inconscientes et transpersonnelles, familiales et sociales.
Si, au cours du vingtième siècle, la psychologie a progressivement évolué en prenant en compte les diverses facettes de la personnalité, l’économie, par contre, a peu bougé : son individualisme méthodologique lui a permis de se constituer en idéologie dominante d’une société de plus en plus mercantile qui trouvait en elle une rationalisation de son productivisme et une justification de son consumérisme.
Il ne faut donc pas s’étonner que, dans nos sociétés libérales où cette science économique est le modèle d’interprétation dominant, l’homme soit devenu une simple variable d’ajustement de logiques comptables fondées sur le profit financier et le déni des relations humaines.
Economie psychique, symbolique et monétaire.
Un certain nombre de penseurs en sciences sociales et en économie remettent en cause cet individualisme méthodologique et le réductionnisme épistémologique qui le sous-tend. Représentatif de ce courant de pensée, le M.a.u.s.sMouvement anti-utilitaire en sciences sociales – regroupe des chercheurs transdisciplinaires qui réactualisent l’économie traditionnelle du don explorée par Marcel Mauss.
C’est ainsi qu’on assiste à l’émergence d’une véritable « économie des profondeurs » qui ne se limite pas à l’observation superficielle des comportements individuels mais qui rend compte des dynamiques collectives et culturelles qui animent en profondeur les sociétés humaines comme les individus.
Cette « économie des profondeurs » met en rapport et en correspondance l’économie psychique des archétypes et des dynamiques qui déterminent la conscience collective et les comportements individuels, l’économie symbolique de l’imaginaire collectif et des représentations culturelles, ainsi que l’organisation économique et monétaire des sociétés.
Il existe une relation systémique entre les économies psychique, symbolique et monétaire et il s’agit de saisir les interactions entre toutes ses dimensions qui sont les expressions diversifiées d’une même « vision du monde » inspiré par l’esprit du temps. Ce système synchrone est lui-même la manifestation à un moment donné d’une dynamique évolutive qui se déploie à travers des stades successifs de complexité et d’intégration croissants.
Une profondeur diachronique et systémique
La profondeur dont il est question dans « l’économie des profondeurs » est celle qui perçoit la dimension systémique liant toutes les expressions psychique, symbolique et monétaire de l’économie à un moment donné. Elle est ensuite capable de replacer ce système dans la dynamique évolutive qui est à l’origine de la formation des divers systèmes économiques dans le temps.
L’"économie des profondeurs" est à la fois synchronique et diachronique : elle perçoit chaque système économique comme la manifestation historique d’une dynamique évolutive. Cette connaissance permet ainsi d'anticiper et de participer à la création des nouvelles formes économiques et monétaires à travers laquelle se manifeste cette dynamique.
Comme Christian Arnsperger dans son Ethique de l’existence post-capitaliste, Patrick Viveret et Bernard Lietaer sont des pionniers de cette "économie des profondeurs". Ils utilisent leur solide formation économique et professionnelle pour subvertir et dépasser la pensée dominante en interprétant l’histoire économique et la crise du capitalisme en terme de civilisation et de psychologie collective, de culture et de spiritualité.
Le défi est grand. A partir d’une démarche transdisciplinaire et d’une vision intégrale, il s’agit d’inventer une pensée économique correspondant au nouveau stade évolutif et capable de prendre en compte toutes les dimensions, individuelles et collectives, culturelles et organisationnelles, à travers lesquelles s’effectuent cette gestion des ressources et cet échange des richesses qu’est l’économie.
Remettre l’économie à sa place
Cette vision globale s’émancipe du réductionnisme dominant en remettant l’économie à la place qui devrait être la sienne dans le réseau de relations complexes et dynamiques que l’homme entretient avec les divers milieux - social, culturel et naturel - où il évolue. Elle fait descendre l’économie du ciel abstrait des idées, des mesures et des équations financières dans lequel la confine un modèle inapte à saisir la dynamique qualitative des sociétés.
Ce faisant elle redonne à l’économie le visage concret d’un échange situé dans un vaste contexte relationnel et symbolique, évolutif et multidimensionnel. Cette subversion du discours dominant et son dépassement ouvre des pistes très riches pour la création d’un nouveau logiciel économique et monétaire indispensable à l’avènement de sociétés post-capitalistes.
Un Grand Merci à toute l’équipe bénévole de l’Université Intégrale pour nous permettre de participer – en direct ou sur la toile, dans divers pays – à de tels débats qui ouvrent des perspectives novatrices en mobilisant en nous cette force vitale et créatrice seule à même de répondre aux défis d’un nouveau monde à inventer sur les ruines de l’ancien en train de s’écrouler...