mardi 7 mai 2013

LE GRAND SENS


L’Homme est un être de transition. Sri Aurobindo 


Les trois billets que nous venons de consacrer au dernier ouvrage d’Andrew Cohen nous ont sensibilisé à une spiritualité contemporaine et évolutionnaire fondée sur une perspective non-duelle qui saisit l’unité irréductible entre l’Esprit et la forme manifesté, entre la transcendance intemporelle et la dynamique temporelle de l’évolution.

Dans le sillage de Sri Aurobindo et de Mirra Alfassa, cette française surnommée Mère qui fut l’âme de son ashram, Satprem a été un pionnier de cette spiritualité évolutionnaire aux diverses facettes. C’est à partir de son expérience – celle des camps de concentration dont il est un rescapé comme celle de son dialogue avec Mère et des enseignements de Sri Aurobindo – qu’il développa la vision radicale d’un saut évolutif pour l’espèce humaine.

Dans un texte intitulé Le Grand Sens, Satprem décrit comment la participation de la conscience, de la sensibilité et de la volonté à la dynamique de l’évolution peut déterminer un saut anthropologique et spirituel fondamental, à la source d’une nouvelle humanité : 

" Nous pouvons être les créateurs conscients de l’Être nouveau… Le Grand Sens, le Vrai Sens nous dit que l'homme n'est pas la fin. Ce n'est pas le triomphe de l'homme que nous voulons, pas l'amélioration du gnome intelligent — c'est un autre homme sur la terre, une autre race parmi nous… 

Et le Grand Sens, le Vrai Sens nous dit que la seule chose à faire est de nous mettre au travail pour préparer cet autre homme et de collaborer à notre propre évolution, au lieu de tourner en rond dans les vieilles hommeries sans issue et de prendre les faux pouvoirs"

Une vision évolutive et intégrale

Sri Aurobindo
Nous avons consacré à Sri Aurobindo une série de billets intitulée Le But où le poème éponyme est l’occasion de nous sensibiliser à l’œuvre et la pensée du visionnaire indien qui proposa une vision à la fois évolutive et intégrale de l’être humain

Parmi ces billets, on peut lire un texte écrit par Satprem, son disciple, à l’occasion du centenaire de la naissance de Sri Aurobindo. Intitulé Sri Aurobindo et l’avenir de la Terre, ce texte résume la pensée du sage indien : « par-delà l'homme mental que nous sommes, s'ouvre la possibilité d'un autre être qui prendra la tête de l'évolution, comme un jour l'homme a pris la tête de l'évolution parmi les singes. » 

C’est en 1964 que paraît Sri Aurobindo ou L’aventure de la conscience, l’ouvrage de Satprem qui est désormais un classique traduit en plus de douze langues. Devenu le confident de Mère (1878/1973), Satprem recueille sur bande magnétique les dialogues avec celle-ci où elle évoque le cheminement intérieur qui devait la conduire à la découverte d'un « mental cellulaire » capable de re-former la condition du corps et de passer à une espèce nouvelle: c'est L’Agenda de Mère

Une partie de cet ouvrage concerne le travail littéraire que Satprem faisait pour Mère, une autre partie concernait sa propre évolution yogique et la troisième partie relate des conversations avec Mère sur le processus de sa transformation. Intitulé Le Grand Sens, le texte ci-dessous, écrit le 28 Juin 1969, est tiré de L’Agenda de Mère


LE GRAND SENS. SATPREM

C’est le temps du Grand Sens. 

Nous regardons à droite ou à gauche, nous construisons des théories, réformons nos Églises, inventons des super-machines, et nous descendons dans la rue pour briser la Machine qui nous étouffe — nous nous débattons dans le petit sens. 

Quand le bateau terrestre est en train de couler, est-ce qu’il importe que les passagers coulent à droite ou à gauche, sous un drapeau noir ou rouge, ou bleu céleste ? 

Nos Églises ont déjà coulé : elles réforment leur poussière. Nos patries nous écrasent, nos machines nous écrasent, nos Écoles nous écrasent, et nous construisons davantage de machines pour sortir de la Machine. 

Nous allons sur la lune, mais nous ne connaissons pas notre propre cœur ni notre destin terrestre. Et nous voulons améliorer l’existant — mais ce n’est plus le temps d’améliorer l’existant : est-ce qu’on améliore la pourriture ?… … 

C’est le temps d’AUTRE CHOSE. 

Autre chose, ce n’est pas la même chose avec des améliorations

Mais comment procéder ? 

On nous prêche la violence, ou la non-violence. Mais ce sont deux visages d’un même Mensonge, le oui et le non d’une même impuissance : les petits saints ont fait faillite avec le reste, et les autres veulent prendre le pouvoir — quel pouvoir ? Celui des hommes d’État ? Est-ce que nous allons nous battre pour détenir les clefs de la prison ? Ou pour construire une autre prison ? Ou est-ce que nous voulons en sortir vraiment ? 

Le pouvoir ne sort pas de la poudre des fusils, pas plus que la liberté ne sort du ventre des morts — voilà trente millions d’années que nous bâtissons sur des cadavres, des guerres, des révolutions. On prend les mêmes et on recommence. Peut-être est-il temps de bâtir sur autre chose, et de trouver la clef du vrai Pouvoir… … 

Alors il faut regarder dans le Grand Sens. 


Voici ce que dit le Grand Sens : Il dit que nous sommes nés il y a tant de millions d’années — une molécule, un gène, un morceau de plasma frétillant — et nous avons fabriqué un dinosaure, un crabe, un singe. Et si notre œil s’était arrêté en cours de route, nous aurions pu dire avec raison (!) que le Babouin était le sommet de la création, et qu’il n’y avait rien de mieux à faire, ou peut-être à améliorer nos capacités de singes et à faire un Royaume Uni des Singes… 

Et peut-être commettons-nous la même erreur aujourd’hui dans notre forêt de béton. Nous avons inventé des moyens énormes au service de consciences microscopiques, des artifices splendides au service de la médiocrité, et davantage d’artifices pour guérir de l’Artifice. Mais l’homme est-il vraiment le but de tous ces millions d’années d’effort — le baccalauréat pour tous et la machine à laver ? 

Le Grand Sens, le Vrai Sens nous dit que l’homme n’est pas la fin. Ce n’est pas le triomphe de l’homme que nous voulons, pas l’amélioration du gnome intelligent — c’est un autre homme sur la terre, une autre race parmi nous. 

Sri Aurobindo l’a dit : l’homme est un «être de transition». 

Nous sommes en plein dans cette transition, elle craque de tous les côtés : au Biafra, en Israël, en Chine, sur le Boul’mich’. L’homme est mal dans sa peau.

Et le Grand Sens, le Vrai Sens nous dit que la seule chose à faire est de nous mettre au travail pour préparer cet autre être et de collaborer à notre propre évolution au lieu de tourner en rond dans les vieilles hommeries sans issue et de prendre les faux pouvoirs pour régner sur une fausse vie. 


Mais où est le levier de la Transmutation ? Il est dedans. 

Il y a une Conscience dedans, il y a un Pouvoir dedans, celui-là même qui poussait dans le dinosaure, le crabe, le singe, l’homme — qui pousse encore, qui veut plus loin, qui se revêt d’une forme de plus en plus perfectionnée à mesure que son instrument grandit, qui CRÉE sa propre forme. Si nous saisissons le levier de ce Pouvoir-là, c’est lui qui créera sa nouvelle forme, c’est lui le levier de la Transmutation

Au lieu de laisser l’évolution se dérouler à travers des millénaires de tentatives infructueuses, douloureuses, et de morts inutiles et de révolutions truquées qui ne révolutionnent rien, nous pouvons raccourcir le temps, nous pouvons faire de l’évolution concentrée — nous pouvons être les créateurs conscients de l’Être nouveau. 

En vérité, c’est le temps de la Grande Aventure

Le monde est fermé, il n’y a plus d’aventures au-dehors : seuls les robots vont sur la lune et nos frontières sont partout gardées — à Rome ou à Rangoon, les mêmes fonctionnaires de la grande Mécanique nous surveillent, poinçonnent nos cartes, vérifient nos têtes et fouillent nos poches — il n’y a plus d’aventure au-dehors ! 

L’Aventure est Dedans — la Liberté est dedans, l’Espace est dedans, et la transformation de notre monde par le pouvoir de l’Esprit. 

Parce que, en vérité, ce Pouvoir était là depuis toujours, suprême, tout-puissant, poussant l’évolution : c’était l’Esprit caché qui grandissait pour devenir l’Esprit manifeste sur la terre, et si nous avons confiance, si nous voulons ce suprême Pouvoir, si nous avons le courage de descendre dans nos cœurs, tout est possible, parce que Dieu est en nous. 

Ressources 

Une présentation de Satprem sur le site d’Auroville 

Site de présentation de L’Agenda de Mère

Sri Aurobindo : une approche. Blog dans lequel Serge Durand compare les visions évolutionnaires de Sri Aurobindo et Ken Wilber

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