mardi 28 janvier 2014

1789 / 2104


Disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. Ariane Mnouchkine  



Chaque année le site Médiapart propose à une personnalité de célébrer les vœux pour l’année qui vient. Après Stéphane Hessel en 2010, Moncef Marzouki en 2011 et Édouard Martin en 2012, c’est Ariane Mnouchkine, metteure en scène et fondatrice du Théâtre du Soleil, qui a été choisie pour les vœux de 2014. Inspirées par l’esprit du temps, les paroles qu’elle a adressé à cette occasion évoquent de manière inspirée la dynamique de résilience qui doit nous libérer de la désespérance ambiante pour oser réinvestir le futur à partir d’une une vision collective et créatrice. 

Confirmés par les plus récentes études des politologues, ses propos s’inscrivent dans une période évolutionnaire où les élites et les institutions officielles sont profondément délégitimées comme elles le furent en 1789, période révolutionnaire à laquelle le Théâtre du Soleil consacra un spectacle fondateur. En 1789, la société sortait de l’ancien régime fondé sur la religion pour entrer dans une modernité fondée sur l’économie. 

En 2014, les valeurs abstraites, individualistes et quantitatives, de la modernité sont saturées. L’heure est venue d’une refondation démocratique fondée sur les valeurs qualitatives, conviviales et coopératives de la cosmodernité. Ce n’est pas un hasard si c’est autour du thème Réinventer la démocratie que le mouvement Colibris et le Collectif pour une Transition Citoyenne propose Samedi 1er février une grande journée de mobilisation et de convergence citoyenne. 

1789

Il faut toujours être à l’écoute des artistes dont la sensibilité aiguisée et entraînée capte l’esprit du temps et le retranscrit à travers des formes esthétiques qui manifestent ce que nous ressentons de manière profonde sans pouvoir ni savoir l’exprimer. Cet effet de révélation nous libère des habitudes de perception et de pensée pour nous connecter au mouvement intérieur de notre subjectivité, elle-même intimement liée au courant d’une intersubjectivité collective. En transformant notre regard sur le théâtre, Ariane Mnouchkine a aussi quelque peu modifié notre vision du monde. 

Son sixième sens - celui de l’épopée - nous plonge au cœur d’une expérience poétique qui dépasse les limites du spectacle pour nous faire participer à un rituel collectif célébrant la vie, l’être humain et l’esprit de révolte contre toutes les formes d’emprise et de domination. A travers cette création collective que fut 1789, le Théâtre du Soleil s’inspira du souffle poétique et libérateur des évènements de Mai 68 qui venaient juste de se produire pour reproduire le mouvement insurrectionnel qui fut au cœur de la révolution française. 

Pour toute une génération cette expérience esthétique a été une œuvre de référence qui réintroduisait dans l’univers consumériste des Trente Glorieuses finissantes le souffle lyrique d’une épopée collective. C’est avec émotion que je me souviens aujourd’hui de cette expérience théâtrale qui s’est déroulée il y a plus de quarante ans. Les grandes œuvres d’art ne meurent jamais. Elles résonnent toujours en nous comme les témoins vibrants d’une intensité qu’il ne faut jamais trahir sous peine de désespérer.



Les Vœux d'Ariane Mnouchkine pour 2014

Les vœux d’Ariane Mnouchkine pour 2014 sont placés sous le double signe d’une « fuite périlleuse » et d’un « immense chantier » : il s’agit de fuir la peste émotionnelle de la démoralisation et du cynisme ambiants pour réenchanter le monde à travers un saut créatif qui imagine et expérimente un autre rapport au monde et aux autres. Ce double mouvement de résistance et de création est au cœur même de la dynamique de résilience dont nous nous sommes fait l’écho dans nos derniers billets. 

Parce qu’ils participent de manière intime au mouvement de la conscience collective, les artistes sont capables d’anticiper l’évolution de nos sociétés. Le message qu’ils puisent aux sources d’une intuition commune, chacun doit être capable de le faire résonner en soi pour le méditer, se l’approprier et l’incarner dans sa vie quotidienne. 

Ariane Mnouchkine
"Mes chères concitoyennes, mes chers concitoyens, 

À l’aube de cette année 2014, je vous souhaite beaucoup de bonheur. 

Une fois dit ça… qu’ai-je dit ? Que souhaité-je vraiment ? 

Je m’explique : je nous souhaite d’abord une fuite périlleuse et ensuite un immense chantier. 

D’abord fuir la peste de cette tristesse gluante, que par tombereaux entiers, tous les jours, on déverse sur nous, cette vase venimeuse, faite de haine de soi, de haine de l’autre, de méfiance de tout le monde, de ressentiments passifs et contagieux, d’amertumes stériles, de hargnes persécutoires. 

Fuir l’incrédulité ricanante, enflée de sa propre importance, fuir les triomphants prophètes de l’échec inévitable, fuir les pleureurs et vestales d’un passé avorté à jamais et barrant tout futur. 

Une fois réussie cette difficile évasion, je nous souhaite un chantier, un chantier colossal, pharaonique, himalayesque, inouï, surhumain parce que justement totalement humain. Le chantier des chantiers. 

Ce chantier sur la palissade duquel, dès les élections passées, nos élus s’empressent d’apposer l’écriteau : “Chantier Interdit Au Public“ 

Je crois que j’ose parler de la démocratie. 

Être consultés de temps à autre ne suffit plus. Plus du tout. Déclarons-nous, tous, responsables de tout.

Entrons sur ce chantier. Pas besoin de violence. De cris, de rage. Pas besoin d’hostilité. Juste besoin de confiance. De regards. D’écoute. De constance. 

L’État, en l’occurrence, c’est nous. 

Ouvrons des laboratoires, ou rejoignons ceux, innombrables déjà, où, à tant de questions et de problèmes, des femmes et des hommes trouvent des réponses, imaginent et proposent des solutions qui ne demandent qu’à être expérimentées et mises en pratique, avec audace et prudence, avec confiance et exigence. 

Ajoutons partout, à celles qui existent déjà, des petites zones libres. Oui, de ces petits exemples courageux qui incitent au courage créatif. 

Expérimentons, nous-mêmes, expérimentons, humblement, joyeusement et sans arrogance. 

Que l’échec soit notre professeur, pas notre censeur. 

Cent fois sur le métier remettons notre ouvrage. Scrutons nos éprouvettes minuscules ou nos alambics énormes afin de progresser concrètement dans notre recherche d’une meilleure société humaine. 

Car c’est du minuscule au cosmique que ce travail nous entraînera et entraine déjà ceux qui s’y confrontent. 

Comme les poètes* qui savent qu’il faut, tantôt écrire une ode à la tomate ou à la soupe de congre, tantôt écrire Les Châtiments. 

Sauver une herbe médicinale en Amazonie, garantir aux femmes la liberté, l’égalité, la vie souvent. 

Et surtout, surtout, disons à nos enfants qu’ils arrivent sur terre quasiment au début d’une histoire et non pas à sa fin désenchantée. 

Ils en sont encore aux tous premiers chapitres d’une longue et fabuleuse épopée dont ils seront, non pas les rouages muets, mais au contraire, les inévitables auteurs. 

Il faut qu’ils sachent que, ô merveille, ils ont une œuvre, faite de mille œuvres, à accomplir, ensemble, avec leurs enfants et les enfants de leurs enfants. 

Disons-le, haut et fort, car, beaucoup d’entre eux ont entendu le contraire, et je crois, moi, que cela les désespère. 

Quel plus riche héritage pouvons-nous léguer à nos enfants que la joie de savoir que la genèse n’est pas encore terminée et qu’elle leur appartient ?

Qu’attendons-nous ? L’année 2014 ? La voici. 

*Les deux poètes cités sont évidemment Pablo Neruda et Victor Hugo 

Une dépression collective 

Alors qu’Ariane Mnouchkine évoque la « tristesse gluante » et la « vase venimeuse » pour décrire le climat dépressif qui s’est emparé de la société française, voilà qu’une étude vient de mesurer le profond pessimisme et la défiance généralisée qui affecte nos contemporains. La correspondance entre le ressenti subjectif de l’artiste et la mesure objective du politologue est étonnante. Dans un article du 13 Janvier intitulé Les Français s’enfoncent dans la dépression collective, le journal Le Monde écrit ceci : " La France, année après année, s'enfonce un peu plus dans la morosité, et, à force, c'est la relation même des citoyens à la démocratie qui s'en trouve affectée. Telle est là la leçon principale du « baromètre de la confiance politique », publié lundi 13 janvier par le Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof), en partenariat avec le Conseil économique, social et environnemental. 

Les vagues précédentes du baromètre faisaient déjà apparaître un niveau de pessimisme très élevé. Si élevé que, précise Pascal Perrineau, professeur à Sciences Po et chercheur au Cevipof, « l'on pouvait s’attendre à ce qu'un palier soit atteint pour de bon ». Ce n'est pas le cas. Le climat général est à la « dépression collective », dit-il. Pour la première fois depuis 2009, la morosité arrive en tête des sentiments qui caractérisent le plus les Français : 34 % d'entre eux estiment qu'il s'agit là du terme qui caractérise le mieux leur état d'esprit. C'est 3 points de plus qu'en décembre 2012".

Selon l’étude du Cevipof, 31 % des Français ressentent du dégoût pour la politique (23 % en décembre 2010), 36 % éprouvent de la "méfiance" et 1 % seulement "du respect". Étrangement, ce chiffre de 1% est à mettre en rapport avec le slogan du mouvement social Occupy Wall Street : « Ce que nous avons tous en commun, c'est que nous sommes les 99 % qui ne tolèrent plus l’avidité et la corruption des 1 % restant ». Le sentiment commun est que les élites ont fait sécession dans une dérive oligarchique parfaitement résumée par Warren Buffet, troisième fortune du monde : "Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n'avons jamais été aussi prospères. C'est une guerre de classes, et c'est ma classe qui est en train de gagner."

Incapables de donner un sens à la crise systémique que nous vivons et encore plus impuissantes à proposer une vision qui mobilise les énergies pour en sortir, les "élites" se trouvent totalement délégitimées. Un abîme se creuse entre l'évolution de la conscience collective d'une part et de l'autre le conservatisme d'une caste dont les références appartiennent à un modèle abstrait totalement dépassé et dont les intérêts n'ont plus rien à voir avec ceux de la population qu'elle est censée diriger.

Une guerre civile froide ?

Dans un excellent article paru le 12 Janvier sur son blog et intitulé La guerre civile froide ?, l’économiste Jacques Sapir, directeur d’études à l’Ecoles de Hautes Etudes en Sciences Sociales, écrit ceci : Nous vivons, en réalité, une crise de légitimité. Désormais la distinction, largement factice dans la plupart du temps, entre le pouvoir et le pays réel, devient une réalité. Cette opposition n'est pas sans rappeler celle entre "eux" et "nous" (Oni et Nachi) qui était de mise dans les régimes soviétiques lorsque le système a commencé à se bloquer... 

Nous vivons, en réalité, l'équivalent des prémices d'une guerre civile "froide", qui menace à chaque instant de se réchauffer... L’année 2014 risque fort d’être marquée par une accumulation de mouvement sociaux dont la convergence mettrait directement en cause le pouvoir. Or, la crise de légitimité a ceci de particulier qu’elle pose directement la question non pas de la politique suivie, que l’on peut en fonction de ces opinions considérer comme bonne ou mauvaise, mais du fait que le pouvoir soit habilité à mener une politique. C’est pourquoi il faut s’attendre à ce que la contestation du pouvoir puisse prendre un tour violent dans le cours de cette année. En fait, l’exercice du pouvoir, la Potestas, dépend de sa légitimité que lui confère l’Auctoritas. »

Une autre enquête réalisée par l'Ifop, intitulée Fractures Françaises et publiée le 21 Janvier dans Le Monde vient confirmer l'analyse de Jacques Sapir. Selon Brice Teinturier qui résume ainsi les résultats de cet enquête : " La défiance à l'égard de la vie politique s'amplifie et atteint des sommets inégalés. Le sentiment que la démocratie fonctionne mal, que les hommes politiques sont corrompus, que les médias ne retranscrivent pas la réalité sont à des niveaux qui traduisent une fracture de plus en plus important entre le monde politique et la société en général et qui s'amplifie."

Une crise de légitimité

1789 : le clergé, la noblesse et le peuple...

Selon Jacques Sapir, c’est le rapport entre souveraineté, légitimité et légalité qui fonde le vivre ensemble. La perte de légitimité a pour origine une perte de souveraineté : « La souveraineté est indispensable à la constitution de la légitimité, et cette dernière est nécessaire pour que la légalité ne soit pas le voile du droit sur l’oppression ». La souveraineté c’est avant tout la reconnaissance d’un principe supérieur dans laquelle se reconnait une collectivité et qui permet de transcender les différences parce qu’il fait autorité. Le mot « souverain » a pour origine le latin superanus qui signifie sur, au-dessus. Sans la référence à un principe souverain, la légitimité s’effondre en libérant les forces explosives de la fragmentation sociale.

A chaque stade de l'évolution culturelle correspond une "vision du monde" qui définit un principe supérieur, source d'autorité et de légitimité. Quand on passe d'un stade évolutif à un autre, la vision du monde se modifie et avec elle la source de la souveraineté. De puissance magique dans les sociétés archaïques, de droit divin dans l'ancien régime, le principe de la souveraineté s'est mué durant la modernité en intérêt général défini et incarné par la représentation nationale. Aujourd'hui dans nos sociétés interconnectées de l'information, la crise profonde de la représentation - politique autant que culturelle - a pour conséquence la recherche d'une forme nouvelle de souveraineté démocratique.

Dans un article du Monde intitulé « Inventons une cyberdémocratie pour accompagner la civilisation du numérique » Joël de Rosnay et Anne-Sophie Novel décrivent comment " La société informationnelle qui s'installe depuis l'avènement d'Internet en 1995 bouscule nos sociétés industrialisées… Comme le dit Michel Serres : " Ce n'est pas une crise, c'est un changement de monde " ". Les jeunes générations notamment « utilisent l'intelligence connective et collaborative pour donner du sens à leur vie individuelle et communautaire. Une approche qui privilégie la pratique solidaire de l'intelligence collective à l'exercice solitaire du pouvoir électif. » La refondation démocratique s’inscrit dans cette profonde mutation qui fait passer «  d'une relation fondée sur des rapports de force – qui conduit à la concurrence, à la compétition et à l'individualisme – à une situation de rapports de flux, privilégiant l'échange, le partage, la solidarité et l'empathie. Un changement profond qui contribuera à donner plus de sens à la vie."

Une république des consciences


A l'émergence des sociétés de l'information correspond une nouvelle "vision du monde"et un projet de civilisation inspirés par la dynamique de l'évolution sociale et culturelle. Une dynamique qui s'exprime à travers cette nouvelle forme de souveraineté qu'est l'intelligence collective et qui s'incarne dans une véritable démocratie participative où les citoyens formés et informés déterminent directement les conditions du vivre ensemble conformes à l'intérêt général. En utilisant notamment les nouvelles technologies de l'information, une république des consciences doit permettre à chacun de participer à la délibération collective dans toutes les sphères locales, régionales et nationales de la vie publique. Cette démocratie directe doit pouvoir contrôler et évaluer en continu l'action des représentants chargés de mettre en place les politiques publiques.

Dans 1789, le Théâtre du Soleil avait mis en scène la destitution de l’ancien régime fondé sur la royauté de droit divin et son remplacement par la souveraineté populaire. Aujourd’hui, la coïncidence entre les propos d’Ariane Mnouchkine et les études des politologues permettent de faire l’analogie entre cette période révolutionnaire et celle que nous vivons actuellement. Coupées de la population par leur mode de vie et de l'évolution culturelle par leur modèle de pensée, les élites tirent aujourd’hui leur légitimité d’un savoir technocratique au service d’un pouvoir oligarchique.

La légitimité de cette techno-oligarchie est totalement remise en question dans la mesure où elle conduit à l’impasse d’une crise systémique et à la perspective d’un effondrement. Mais aussi parce qu'elle s'appuie sur une conception pyramidale du pouvoir qui ne correspond plus du tout aux sociétés en réseaux qui fonctionnent à partir d'une intelligence collective "holomidale". Et pourtant, sourdes et aveugles, ces mêmes « élites » continuent de gérer les affaires courantes comme Louis XVI réparait ses serrures sous les ors de Versailles.

Réinventer la démocratie 


Face à l’urgence de la situation, le temps est donc venu de refonder une souveraineté démocratique à travers un projet de civilisation ambitieux, à la mesure de la crise systémique que nous traversons et de la nouvelle "vision du monde" en train d'émerger. L’expérimentation concrète à laquelle nous convie Ariane Mnouchkine est animée par la dynamique de résilience analysée dans nos billets précédents et qui vise à refonder le lien social à partir d’un saut créatif et évolutif, incarné notamment par les Transitionneurs, les Convivialistes et les Créatifs culturels

C’est dans le même esprit – l’esprit du temps – que le mouvement Colibris et le Collectif pour une Transition Citoyenne propose Samedi 1er février une grande journée de mobilisation et de convergence citoyenne autour du thème « Réinventer la démocratie » : « Abstention record, démobilisation citoyenne, individualisme, d'un côté, soif de pouvoir, impunité, court-termisme, clientélisme de l'autre... les obstacles semblent nombreux face aux enjeux que nos démocraties devront affronter dans les années à venir. De même, au sein des organisations, le modèle pyramidal montre ses limites. Les comportements archaïques (repli sur soi, agressivité, luttes de territoires...) sont autant de réactions défensives omniprésentes. Face à un monde en mutation, il est urgent de remplacer la compétition et l’individualisme par la coopération

Comment faire primer l’intérêt général ? Comment faire face aux problèmes à long terme (changement climatique, raréfaction des ressources, instabilité économique...), à leur caractère mondialisé, tout en donnant aux citoyens le pouvoir qui leur revient ? Si nous voulons reprendre le pouvoir, il est essentiel que chacun fasse sa part et que nous construisions des dynamiques collectives. Ateliers citoyens, actions locales, nouveaux modes de gouvernance, Initiatives Citoyennes Européennes... Explorons ensemble ces nombreuses solutions ! Reprenons notre pouvoir d'agir et faisons l'avenir de nos territoires ! » 

Cette initiative résonne précisément avec les propos d’Ariane Mnouchkine : « Ouvrons des laboratoires, ou rejoignons ceux, innombrables déjà, où, à tant de questions et de problèmes, des femmes et des hommes trouvent des réponses, imaginent et proposent des solutions qui ne demandent qu’à être expérimentées et mises en pratique, avec audace et prudence, avec confiance et exigence ».

L’esprit du temps nous inspire et s’exprime à travers des artistes visionnaires et des pionniers engagés. Sachons être à l’écoute de cette inspiration en mobilisant notre intelligence collective pour refonder une nouvelle souveraineté démocratique correspondant aux sociétés interconnectées de l'information fondées sur l’interdépendance et la coopération. C'est la responsabilité de chacun de participer de manière créatrice à ce qu'Ariane Mnouchkine nomme le "projet des projets".

Ressources






Le plan démocratie des Colibris 

Libertarian Eco-Socialisme. The political philosophy and organizational form of an integral society. Joe Corbett. Sur le site Integral World.

mardi 21 janvier 2014

Radio Evolutionnaire : Ecoutez le Futur


Nous n'existons dans le présent que dans la mesure où nous avons foi dans le futur. Paul Auster


Sous le titre Effondrement et Refondation, nous venons d’analyser dans une série d’articles le processus de résilience/refondation qui se manifeste aujourd’hui à travers un changement de paradigme et l’émergence de nouveaux courants sociaux-culturels figurés par ces Idéaux-Types que sont les Transitionneurs, les Convivialistes et les Créatifs culturels. 

Les médias officiels ignorent ou caricaturent ce changement de paradigme parce qu’il remet en question les modèles de la pensée dominante alors que, portés par ce courant novateur, de nouveaux médias se font jour, notamment sur le Net, pour accompagner cet indispensable saut évolutif. C’est dans le contexte de cette évolution culturelle qu’il nous faut donc saluer aujourd’hui la naissance d’une nouvelle radio sur le Net : Radio Evolutionnaire. 

Créatrice du Forum de l’évolution de la conscience et co-créatrice du Festival de la Méditation qui aura lieu les 25 et 26 Janvier prochain à Paris, l’équipe d’EnlightenNext France veut faire de Radio Evolutionnaire un des vecteurs de la culture émergente. Conçues dans cet esprit, les émissions concernent non seulement l'évolution de la personne humaine dans toutes ses dimensions - corps, psychisme, mental, créativité et esprit – mais aussi tous les milieux – interpersonnel, professionnel, social, culturel et naturel – dans lequel cette personne évolue. Radio Evolutionnaire tissera des liens entre tous ceux qui, animés par une même inspiration évolutive, cherchent à la nourrir, la partager, la développer, la préciser et l’incarner dans leur vie quotidienne. 

La fonction de médiateur 

A plusieurs reprises, et dernièrement ici , nous avons fait part des recherches du sociologue Michel Maffesoli qui observe depuis une quarantaine d’années les mutations sociale et culturelles en analysant cette période contemporaine où la fin de la "modernité" correspond à l’émergence de ce qu’il nomme la "post-modernité" (et que nous nommons pour notre part la cosmodernité). Dans un article publié sur le site Atlantico, Michel Maffesoli répond à Caroline Fourest qui s’indignait de "la haine" de plus en plus affichée à l'égard des journalistes. A cette occasion, il rend attentif au rôle de médiateur qui devrait être celui des journalistes en expliquant la défiance du public à leur encontre par le fait qu’ils n’assument pas ce rôle.

" En ces périodes d’instabilité, ne serait-ce point l’honneur de ceux qui ont pour vocation d’être des médiateurs, de pratiquer la médiation, que de mettre en œuvre une pensée et une parole hauturières en accord avec les bouleversements en cours ? L’approximation dans le langage des divers protagonistes des médias permet d’en douter ! L’approximation syntaxique, l’usage immodéré d’expressions à la mode, la propagation de l’information sur la base de reprises endogamiques, voilà les indices concordant de la légère superficialité du moment dont les organes de presse et divers moyens de communication tirent profit. Mais profit immédiat et sans horizons, que les journalistes risquent de payer, rapidement, fort cher… 

La méfiance, de plus en plus affichée, frappant aussi leur profession est des plus instructives et devrait leur faire entendre raison. C’est-à-dire leur faire comprendre que quand quelque chose titube, la sagesse des peuples est d’aspirer à un nouveau principe : à une autre fondation. Dès lors la fonction des « médiateurs », plutôt que d’aller et venir sur des sentiers battus et rebattus, est de savoir retourner le terreau sur lequel repose le vivre-ensemble…Voilà le vrai rôle d’initiateur que devrait jouer le médiateur : accompagner ce qui est là. Je l’ai souvent indiqué dans des livres antérieurs : en rappelant ce qui unit l’humus et l’humain, on participe à un humanisme intégral et l’on évite les pièges et dangers propres à l’obscurantisme qui est toujours, potentiellement, prêt à renaître".

L’esprit du temps 

Les médias pourraient en prendre de la graine ! En effet, après les intellectuels et les politiques, c’est au tour des journalistes d’être l’objet d’une méfiance de plus en plus grande. Il suffit d’écouter nombre d’émissions (télés, radios, réseaux sociaux), de lire des articles pour constater que ce qui prédomine est un sentiment « d’entre soi » : ils se parlent les uns aux autres, les uns des autres, sans se préoccuper de ceux auxquels ils sont censés s’adresser... 

Les grands principes qui ont été à la base de la Modernité, contrat social, démocratie, citoyenneté, État nation, identité individuelle n’entrent plus en résonance avec l’épistémè de l’époque. Ce sont alors des incantations, des mots creux qui ne rassurent que ceux qui les prononcent. On ne peut plus s’en contenter car les réactions populaires sont plus complexes qu’on ne croit… 

Ainsi, quant aux choses essentielles, les peuples ne vont pas se laisser influencer pour savoir de quel côté ils doivent tourner. C’est pourquoi le rôle du « journaliste exotérique » n’est pas d’imiter, c’est-à-dire de singer, le donneur de leçon, mais bien d’accompagner ; d’être le « grand frère » initiateur. En la matière ne pas se contenter d’une creuse logomachie, mais, au contraire, trouver une forme libre, simple et essentielle à la fois. Trouver un style spécifique qui soit en congruence avec l’esprit du temps."

Déclin et genèse


Le journaliste Jean-François Kahn, un des meilleurs connaisseurs de la sphère médiatique, créateur de l’Événement du Jeudi et de Marianne, sort ces jours-ci un ouvrage intitulé L'horreur médiatique. Tout un programme !... Selon l'étude annuelle sur la confiance des Français réalisée par le Cevipof ( Centre de recherche politique de Science Po) et publiée le 12 Janvier, seulement 23 % des personnes interrogées feraient confiance aux médias et 11% aux partis politiques. A noter selon cette étude que seulement 1% de la population éprouverait du respect pour la politique alors que 36% éprouve de la méfiance et 31% du dégoût !...

La défiance envers les médias doit être comprise comme un élément d’une défiance généralisée envers les institutions, les idéologies et les discours officiels qui apparaissent incapables de se renouveler, enfermés qu’ils sont dans un modèle totalement dépassé. Il faudrait être aveugle, énarque ou politicien – certains sont les trois en même temps – pour ne pas observer actuellement le discrédit qui touche non seulement les représentants du « système » mais, à travers eux, le système de représentations qu’ils incarnent : une vision du monde abstraite et pyramidale, technocratique et quantitative, dans laquelle de moins en moins de gens se reconnaissent, notamment au sein des nouvelles générations vivant en immersion dans des sociétés interconnectées de l’information. La destitution des valeurs et des institutions de la modernité à laquelle nous assistons est synchrone avec la dynamique instituante d’une cosmodernité qui se manifeste à travers de nouvelles formes de pensée, de sensibilité et d’organisation.

Dans un entretien publié sur le site Atlantico, Maffesoli précise ce double mouvement de déclin et de genèse : "Il est certain que la saturation des grandes valeurs modernes va s’exprimer comme c’est toujours le cas quand on assiste à la fin d’un paradigme, par l’émergence de toute une série d’apocalypses. Mais il faut rappeler que le mot apocalypse, à l’encontre de ce qu’on a l’habitude de penser signifie révélation. C’est ainsi qu’il s’agit moins d’une logique de fin du monde que de celle de la fin d’un monde. Et corrélativement, qui dit la fin d’un monde souligne l’émergence d’un autre monde. Rappelons-nous à cet égard la position du philosophe Anaximandre de Milet : « Genesis kai phtora, Phtora kai genesis » (genèse et déclin, déclin et genèse). C’est ce qu’on peut appeler une structure anthropologique : quand une manière d’être et de penser cesse, on peut en voir dans le même temps, une autre émerger". 

La déclaration de l’évolutionnaire

L’équipe d’EnlightenNext a tenté de formuler cette autre manière d’être et de pensée à travers " La déclaration de l’évolutionnaire" : « Je réalise qu’à ce moment précis de l’histoire, le temps est venu de développer, ensemble, une nouvelle vision qui révèle le potentiel humain, donne du sens à nos vies et nous aide à faire face aux défis majeurs du 21e siècle. Je réalise que je suis le résultat de l’évolution de la matière, de la vie, de l’esprit et de la culture, qui se déploie depuis 14 milliards d’années. 

Je réalise que je suis une expression de cette évolution, que je suis connecté(e) aux forces qui ont façonné l’univers, créé les merveilles de la nature et établi les conditions propices au développement de la conscience et de la culture. Je réalise que le futur n’est pas écrit, que nous sommes libres du passé, que nous pouvons changer le monde, forger notre destin et influencer le cours de l’histoire par les choix que nous faisons en tant qu’individus, communautés, nations et espèce humaine. 

Réalisant tout cela, j’aspire à évoluer en conscience pour développer de nouvelles perspectives, intuitions et compréhensions qui nous libèrent, nous inspirent et nous donnent une confiance et un optimisme renouvelés pour mieux répondre aux grands enjeux de notre temps. Je crois au Futur. Je suis un évolutionnaire. » 

La voix du futur 

Cette déclaration de l’évolutionnaire esquisse le modèle anthropologique et culturel émergent qui est celui d’une co-évolution entre l’homme et son milieu. Le Journal Intégral ne peut donc que se réjouir d’assister à la naissance d’un média inspiré par cette nouvelle "vision du monde". Radio Evolutionnaire peut devenir le média d’une communauté évolutionnaire francophone capable de dynamiser l’évolution de chaque évolutionnaire au sein d’un champ d’énergie global et d’une intelligence collective. De nombreuses émissions en direct permettront un échange virtuel entre les évolutionnaires avant qu’ils ne se rencontrent physiquement à l’occasion de diverses manifestations et événements. 

Radio Evolutionnaire fera découvrir des penseurs, des pratiques et des techniques qui contribuent à nous transformer mais aussi à transformer la culture et la société. Elle donnera la parole à ceux qui font avancer l’humanité sur les chemins d’un indispensable saut évolutif. Elle permettra aussi aux personnes qui sont intéressées par l’Eveil Evolutionnaire enseigné par Andrew Cohen de le découvrir à travers une série d’émissions. 


Cette radio est une création collective qui pourra s’améliorer, se développer et évoluer au fil du temps au fur et à mesure où les évolutionnaires y apporteront leur créativité et leur participation, leur énergie et leur contribution. Saluons une telle initiative qui mobilise du temps, de l’énergie, de la volonté, de l'inspiration et des connaissances. L’équipe d’EnlightenNext France doit être soutenue dans cette entreprise par tous ceux qui refusent le cynisme et le nihilisme pour affirmer les valeurs créatrices de l’esprit dans le nouveau contexte des sociétés de l’information. 

La culture de l’interdépendance en train d’émerger est une culture de l’échange, de la création et de la relation. Ne restons donc pas les consommateurs autistes et les spectateurs passifs d’une telle initiative mais participons-y en devenant chacun des acteurs créatifs, avec le talent qui est le nôtre, l’inspiration qui nous guide et la passion qui nous anime. 

A écouter sur Radio Evolutionnaire 

On trouvera la grille détaillée et actualisée des programmes ici sur le site de Radio Évolutionnaire. Voici-ci-dessous un aperçu des principales émissions qui seront proposés dans les prochaines semaines. 

Ondes de méditation 

Méditations guidées. Audios enregistrées et directs. Tranches horaires : 3 sessions de 45 minutes (6h-6h45 / 6h45-7h30 / 7h30-8h15 et le soir) 

Eveil Evolutionnaire, morceaux choisis

Conférences et entretiens avec des penseurs, philosophes, enseignants spirituels et évolutionnaires. Audios enregistrées de conférences. Jeudi 9 /01 à 12h30 – Samedi 11/01 à 21h00 

Scenius 

Explorer les principes de l’émergence artistique et la créativité en collectif. Dialogues avec des musiciens, techniciens, artistes, producteurs, enseignants spirituels, philosophes… pour partager leurs expériences et conscientiser les principes d’émergence Vincent Drouot, en direct. Une fois tous les 2 mois en alternance avec l’émission « Les 3 visages de Dieu », de 21h à 22h30 

Body-Mind-Spirit 

Quel est le sens de la pratique physique dans le lien body-mind-spirit, c’est-à-dire corps-mental-esprit ? Christine Guinebretière, en direct. Une fois par mois, de 21h à 22h30 

Objectif Santé 

Découvrir comment faire émerger un collectif au-delà de l’ego dans un couple soignant-soigné et quel est son bénéfice ? Denis Averland, en direct. Tranches horaires : Une fois par mois, de 21h à 22h30 

Intégralement vôtre 

Partager les principes de la philosophie intégrale et découvrir comment la mettre en pratique. Lectures, audios et ponctuellement des entretiens avec des acteurs du « monde intégral ». Eric Allodi en direct. Une fois par mois, de 21h à 22h30 

Féminin Bio 

Audrey Etner interview Christine Guinebretière pour Féminin Bio sur toutes les thématiques liées à la vie des femmes.

Oui c’est possible 

Explorer les phénomènes émergeants qui changent positivement notre façon de consommer, créer et vivre ensemble. Anne de Béthencourt. Une fois par mois

Christine Guinebretière et Eric Allodi
Dialogues évolutionnaires

Echanger autour de vidéos ou audios sur l’éveil évolutionnaire avec des invités. Eric Allodi, en direct. Un mardi sur deux de 21 à 22h30

Les 3 visages de Dieu 

Explorer les 3 dimensions du Divin : Etre, Devenir et S’abandoner. Découvrir les différents aspects de l’Absolu. Entretiens et dialogues avec des Evolutionnaires, des Méditants et des Religieux de tous horizons. Vincent Drouot en direct. Une fois tous les 2 mois en alternance avec l’émission « Scenius », de 21h à 22h30

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Découvrir l’éveil évolutionnaire avec Andrew Cohen sur un week-end ou 10 jours, sessions après sessions, comme si vous étiez véritablement en retraite. Audios enregistrées de retraites qui se sont tenues en Italie, Espagne… A partir du mois de Février, sessions d’1h30 rediffusées dans la semaine. 

Ressources 

Le site de Radio Evolutionnaire 

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Festival de la Méditation 25-26 Janvier

Du 20 au 26 Janvier, semaine spéciale "Festival de méditation" 

Mardi 21 Janvier à 21h00 dans "Dialogues Évolutionnaires" : La méditation source de la vie évolutionnaire ! Animé par Eric Allodi et ses invités.

Mercredi 22 Janvier à 21H00 dans "Ondes de méditation". Christine Guinebretière avec Jeff Carreira, venu spécialement des États-Unis pour animer des ateliers au Festival de la Méditation. Jeff Carreira, 23 ans de pratique de l’Éveil Évolutionnaire et de méditation, partagera son expérience et répondra aux questions des auditeurs ( émission en anglais).

Jeudi 23 Janvier à 21h00 dans "Intégralement vôtre" : Méditation, évolution et philosophie avec Jeff Carreira comme invité (émission en anglais).

jeudi 9 janvier 2014

Effondrement et Refondation (7) La Cosmodernité


La conscience est un trait d’union entre ce qui a été et ce qui sera, un pont jeté entre le passé et l’avenir. Henri Bergson 


Parce qu’il devient une perspective crédible, l’effondrement de notre civilisation détermine un processus de résilience/refondation qui se manifeste à travers divers courants symbolisés par ces Idéaux-Types que sont les Transitionneurs, les Convivialistes ou les Créatifs culturels, évoqués dans nos derniers billets.

Dans toutes les grandes crises qu'elle a traversé, l’humanité a cherché à surmonter l'effondrement en émergeant sur un niveau supérieur. Un tel saut évolutif nécessite un détour par le passé et un retour aux fondamentaux pour les utiliser comme des fondations sur lesquelles peut s'appuyer la dynamique créatrice et intégrative de l'évolution. Cette dynamique inclue les anciens stades évolutifs pour les transcender dans un stade de plus grande complexité. 

C'est en ce sens que nous assistons aujourd'hui à l'émergence d'un  nouveau stade évolutif, celui d’une Cosmodernité qui intègre l’intuition holiste de la tradition et la raison abstraite de la modernité à travers une intelligence connective à la fois sensible et rationnelle, intuitive et collective. 

Résister et Créer

La résilience est un mouvement qui s’effectue en deux phases : être capable de supporter un choc destructeur pour pouvoir ensuite le surmonter. Les mots ont un sens : alors que supporter fait référence à un soutènement inférieur (un support), surmonter fait référence à un dépassement supérieur (monter par-dessus). Ainsi, toute refondation passe par un retour à des fondamentaux qui, après avoir permis de supporter un choc destructeur, deviennent les supports d’une émergence créatrice. Supporter l’épreuve c’est avoir la force de lui résister, la surmonter c’est se reconstruire en se réinventant. Cette dialectique entre résistance et création se retrouve dans le mot d'ordre des anciens résistants vis à vis du nouveau "désordre établi" : "Résister c'est créer, créer c'est résister".

Ce processus de résilience renvoie à la dynamique de l’évolution. On dit de l’ontogenèse - le développement individuel d’un organisme - qu’elle récapitule la phylogenèse, c’est-à-dire les divers stades de développement de l’espèce à laquelle elle appartient. L’organisme se développe en incluant les stades précédents et en les intégrant dans un stade de complexité supérieur. Ce qui est valable dans le domaine de la vie l’est aussi dans le domaine de la culture : aujourd’hui l’émergence d’un nouveau stade de conscience collective inclue et dépasse les stades- archaïques, traditionnels et modernes – qui l’ont précédé. 

Toute refondation passe donc par un retour aux fondamentaux et par leur dépassement. Pour les transitionneurs, le retour aux fondamentaux consiste à créer des communautés autonomes en termes d’énergie, d’habitat et d’approvisionnement. Pour les convivialistes, il consiste à réaffirmer une espace de socialisation primaire fondé sur la triple obligation – donner, recevoir et rendre – qui fut, selon Marcel Mauss, au cœur de l’anthropologie traditionnelle. Pour les créatifs culturels, le retour aux fondamentaux c’est le recours à des sagesses, des traditions et des intuitions pré-modernes ainsi que le détour par des formes de pensée poétiques, analogiques et symboliques qui réenchantent le monde. 

La tentation fondamentaliste

Mais ce retour aux fondamentaux peut se révéler dangereux s'il se cristallise en fondamentalisme. Le fondamentalisme est une idéologie qui fait du retour aux fondamentaux un absolu en enfermant les individus dans une trajectoire régressive qui vise à recréer un passé idéalisé totalement inadapté à la dynamique de l’évolution sociale et culturelle. Cette tentation régressive est à l’œuvre dans des mouvements intégristes, traditionalistes, communautaristes, nationalistes ou sectaires qui imaginent la refondation comme un simple retour aux fondamentaux sans faire de ceux-ci les supports d’une indispensable réinvention culturelle. 

On peut aussi trouver cette tentation régressive à l’œuvre chez des transitionneurs, des convivialistes ou des créatifs culturels qui s’arrêtent à mi-chemin sur la voie de la résilience en pensant qu’il suffit pour inventer une nouvelle civilisation de recréer des communautés conviviales organisées de manière autonome autour de modèles traditionnels. Grave erreur !...

Ils n’ont pas compris que le retour aux fondamentaux est une première phase qui permet de supporter le choc destructeur mais qui doit être suivie par une seconde, celle d’une réinvention culturelle qui permet de le surmonter en utilisant le support des fondamentaux comme tremplin vers un nouveau stade évolutif. L’évolution est un processus d’intégration fondé à la fois sur la récapitulation du passé - donc sa conservation - et son dépassement. 

Un processus d’intégration 


Penseur de l’évolution, Henri Bergson explique ainsi ce processus intégratif : « Comme, pour créer l’avenir, il faut en préparer quelque chose dans le présent, comme la préparation de ce qui sera ne peut se faire que par l’utilisation de ce qui a été, la vie s’emploie dès le début à conserver le passé et à anticiper sur l’avenir dans une durée où passé, présent et avenir empiètent l’un sur l’autre et forment une continuité indivisée : cette mémoire et cette anticipation sont, comme nous l’avons vu, la conscience même. » 

Le concept hégélien d’Aufhebung renvoie à ce double processus de conservation et de dépassement qui fonde la dynamique évolutive aussi bien dans le domaine de la vie que dans celui de la culture. Michael Löwy et Robert Sayre explique l’émergence d’une civilisation nouvelle par la conservation des meilleurs acquis de la modernité et son dépassement vers une forme supérieur de culture :

« Il ne s'agit pas de trouver des "solutions" pour certains "problèmes" mais de viser à une alternative globale à l'état de choses existant, une civilisation nouvelle, un mode de vie autre, qui ne serait pas la négation abstraite de la modernité, mais son dépassement (aufhebung), sa négation déterminée, la conservation de ses meilleurs acquis, et son au-delà vers une forme supérieure de la culture - une forme qui restituerait à la société certaines qualités humaines détruites par la civilisation bourgeoise industrielle. Cela ne signifie pas un retour au passé, mais un détour par le passé, vers un avenir nouveau. » (Révolte et mélancolie. Le romantisme à contre-courant de la modernité) 

Selon Löwy et Sayre, le détour par le passé est un " outil puissant et subversif de critique et de relativisation de la civilisation occidentale moderne". Le processus de résilience/refondation n’est donc pas un retour nostalgique vers un passé fantasmé mais, selon la formule de ces auteurs, « un détour par le passé vers un avenir nouveau ». C’est ainsi que Michel Mafessoli, penseur inspiré des mutations socio-culturelles, voit dans ce qu’il nomme la post-modernité "la synergie de phénomènes archaïques et du développement technologique". 

La fin du cycle de la modernité 

L’émergence vers un nouveau stade évolutif ne peut donc pas faire l’économie d’un retour aux fondamentaux et d’une reconfiguration de ceux-ci dans le cadre d’une plus grande complexité/intégration. Les analyses de Patrick Viveret confirment cette réflexion dans un article du journal Le Monde : « Nous sommes en effet à la fin du cycle des temps modernes qui furent marqués par ce que Max Weber, d'une formule saisissante, avait caractérisé comme "le passage de l'économie du salut au salut par l'économie"... 

L'un des enjeux aujourd'hui est de savoir comment sortir de ce grand cycle de la modernité par le haut, les intégristes le faisant par le bas : garder le meilleur de la modernité, l'émancipation, les droits humains et singulièrement ceux des femmes qui en constituent l'indicateur le plus significatif, la liberté de conscience, le doute méthodologique, mais sans le pire, la chosification de la nature, du vivant, des animaux et à terme des humains, la marchandisation n'étant qu'une des formes de cette chosification. 

Et retrouver, dans le même temps, ce qu'il y a de meilleur dans les sociétés de tradition, mais là aussi en procédant à un tri sélectif par rapport au pire : un rapport respectueux à la nature, sans qu'il soit de pure soumission, un lien social fort mais non un contrôle social, des enjeux de sens ouverts et pluralistes et non des intégrismes excluant. » (Vive la sobriété heureuse

La nouveauté ne surgit pas de nulle part : l’émergence du nouveau passe par la récapitulation de l'ancien et produit une reconfiguration de celui-ci dans le contexte d’une plus grande complexité. C’est pourquoi l’approche évolutionnaire n’est ni conservatrice, ni progressiste : elle est intégrative et créatrice. Il ne s’agit ni de régresser dans un passé idéalisé, ni de se projeter dans un futur linéaire en faisant table rase de ce qui a été. Dans une perspective évolutionnaire, les stades de développement antérieurs servent de fondations sur lesquelles l’élan évolutif peut s’appuyer pour prendre son envol inspiré.

C'est pourquoi la vision intégrale est à la fois diachronique et synchronique. Diachronique parce que la dynamique de l'évolution se manifeste à travers le temps à travers  une série de sauts évolutifs. Synchronique parce que chacun de ces sauts évolutifs détermine un nouveau système d'interrelations entre la subjectivité individuelle, l'intersubjectivité culturelle, l'organisation socio-économique et le milieu naturel. 

Une intelligence connective 

Le modèle émergent à l’heure actuelle naît de l’intégration, dans une synthèse supérieure, de l’intuition holiste de la tradition et de la rationalité abstraite de la modernité. L’intuition holiste de la tradition permettait à la subjectivité de participer intimement à une totalité - sociale, naturelle et culturelle - dont elle était partie prenante et apprenante. La rationalité abstraite de la modernité a non seulement été à l’origine de la méthode scientifique et de ses applications technologiques mais elle a aussi mis à jour la dynamique de l’évolution. Plus récemment, grâce aux sciences humaines, elle a permis de comprendre la traduction anthropologique de cette dynamique dans un processus d’individuation qui s’effectue à travers une série  de stades de développement identifiés. 

Ce que nous nommons la cosmodernité naît de l’intégration supérieure entre tradition pré-moderne et modernité abstraite. Adapté à nos sociétés interconnectées, le paradigme émergent correspond au développement d’une intelligence connective où l’intuition holiste inspire, guide et contrôle l’abstraction rationnelle au service d’un développement intégral de l’être humain. La cosmodernité est un projet de civilisation où la conscience humaine participe pleinement aux différentes dimensions d’un Kosmos qui est à la fois la manifestation physique et l'intériorité métaphysique d'une même totalité en évolution. La cosmodernité est fondée sur une culture de l’interdépendance qui n’est ni la dépendance fusionnelle de la tradition, ni l’indépendance abstraite et individualiste de la modernité mais co-évolution entre l’homme et son milieu multidimensionnel. 

Après que la modernité ait révélé le mouvement immémorial de l’évolution, les temps sont venus pour l’homme cosmoderne de devenir l’agent actif et l’acteur inspiré de cette dynamique créatrice et intégrative qui concerne aussi bien l’intériorité de la conscience que l’extériorité de la matière, aussi bien l’individu que la collectivité. Ce nouveau rôle que doit assumer l’homme cosmoderne est à l’origine d’un saut évolutif et d’un changement de paradigme dont on ne mesure pas encore toute la profondeur. 

Le paradigme de la complexité 


On ne peut plus penser nos sociétés informationnelles avec les outils théoriques et les stratégies cognitives élaborées par et pour les sociétés industrielles des siècles précédents. Le contexte global de notre civilisation a totalement changé et il faut changer de mode de pensée pour percevoir, comprendre et participer au nouveau contexte dans lequel nous évoluons. Alors que la société industrielle était fondée sur une modélisation objective qui rend nécessaire la distinction abstraite, l’analyse et la spécialisation, la société de l’information renvoie à un ensemble intégré de relations en interconnexion croissante et en mouvement constant. 

Fondé sur une rationalité instrumentale et analytique, le paradigme abstrait de la modernité a inspiré le modèle utilitariste de l’Homo Œconomicus et celui, prométhéen, d’une toute puissance technologique. Au cœur de l’ère industrielle, ce paradigme technocratique a réduit la complexité multidimensionnelle du vivant et du conscient à des relations mécaniques et déterministes entre des entités objectives et statiques. Cette vaste entreprise réductionniste est l’émanation d’une idéologie utilitariste qui vise à objectiver le monde et à réifier l’être humain pour exploiter au mieux leurs ressources, et ce dans les deux sens du terme. 

Ce modèle réductionniste est totalement remis en question par l’émergence d’un nouveau paradigme fondée sur l’idée de complexité. Le terme de complexité est à prendre dans son étymologie, « complexus » qui signifie « ce qui est tissé ensemble » dans un entrelacement (plexus). Le paradigme de la complexité pense non plus en termes d’analyse et de séparation abstraite mais de relations et d’ensemble. Dans cette nouvelle vision du monde, un ensemble est plus que la somme des parties qui le constituent : c’est un système intégré et dynamique déterminant les éléments qui le composent. 

Au paradigme de la complexité correspond donc l’émergence d’une « intelligence connective » qui associe et intègre les ressources de l’intuition et celles de la raison, cette dernière mettant ses capacités d'abstraction formelle et structurale au service des facultés créatrices et visionnaires de l’intuition. Cette intelligence connective perçoit et pense en termes de relation et de globalité, de flux et de dynamique plutôt qu’en termes de distinction et de spécialité, d’objet et de stabilité. A travers un processus de synchronisation à la fois subjectif et intersubjectif, elle participe au flux dynamique d’une conscience collective en utilisant comme support les technologies de l’information. 

Des parties vers le Tout 


Nous avons suffisamment détaillé ce changement de paradigme dans Le Journal Intégral pour inciter les lecteurs à s’y référer s’ils cherchent plus d’informations à ce sujet. Alors que la création et l’étude de ce nouveau paradigme étaient jusqu’à présent un sujet d’intérêt pour les happy few des avant-gardes culturelles, il devient aujourd’hui un outil indispensable à intégrer pour ceux qui désirent s’engager dans la voie d’une transition globale. En effet, on ne peut rien comprendre à la marche du monde actuel si on n’a pas en tête la dynamique de cette évolution culturelle qui se manifeste à travers nombre d’évènements et de situations devenues inintelligibles sans ce nouveau regard.

La québécoise Andrée Mathieu analyse ainsi ce changement de paradigme sur l'Encyclopédie de l'Agora : « Les crises que nous observons, économiques, sociales, environnementales, politiques, culturelles, etc. ne sont pas dissociées. Le fait qu'elles soient perçues comme indépendantes traduit une profonde incompréhension du monde que nous avons contribué à complexifier… Nous assistons présentement à ce qu'on appelle un changement de paradigme, le remplacement d'un modèle révolu par une explication plus cohérente et plus pertinente de notre monde. 

Depuis la Révolution industrielle, nous avons découpé la réalité en petits morceaux pour mieux la comprendre. Nous avons conçu nos organisations comme un assemblage de "parties", divisé le travail en "tâches", la connaissance en "disciplines", l'administration publique en "ministères" et nous avons travaillé en "silos". Nous devons maintenant déplacer notre attention des parties vers le tout et mettre l'accent sur les interrelations qui déterminent la dynamique des systèmes vivants auxquels nous appartenons. En somme, nous devons quitter le monde de la machine (assemblage de composantes) pour celui des réseaux vivants dans toute leur complexité. Les machines, on peut les contrôler, c'est rassurant. Les systèmes vivants, eux, réagissent, et pas toujours de la façon attendue...

Ceux qui ont une plus grande sensibilité aux interactions qui peuplent et relient les sphères environnementale, culturelle, sociale et économique, ne peuvent plus concevoir le développement de notre société de la même façon qu'avant, qu'ils possèdent ou non le cadre théorique pour décrire sa complexité. Les jeunes gens, dont l'univers est meublé de réseaux, qui voyagent dans des pays lointains pour voir comment vivent les gens et constater l'influence que notre mode de vie a sur eux, qui suivent des cours d'écologie dès le plus jeune âge et qui comprennent intuitivement les interactions caractéristiques des systèmes complexes, réclament à hauts cris qu'on leur permette d'adapter nos institutions à ce monde qu'ils voient différemment. 

 Ils souhaitent acquérir, avec les outils d'aujourd'hui, les connaissances et les compétences dont ils auront besoin pour relever les défis sans précédent qui les attendent, et qui ne sont malheureusement pas compris, ni souvent même reconnus, par l'ancienne vision du monde… » (Directe, indirecte : le choc des démocraties. 14/06/12) 

Créateurs de sagesse


Filles d’une cosmodernité émergente, les nouvelles générations ne peuvent plus se reconnaître dans le miroir que leur tend une vision technocratique devenue totalement inadaptée pour exprimer la dynamique de l’évolution culturelle. Elles sont en quête d’une vision novatrice et d’un langage original capable de traduire leur intuition et leur expérience intime d’un monde interconnecté. 

Michel Serres a écrit : « Le philosophe de demain sera celui qui repensera tout, du cognitif au politique, car tout est nouveau. » Le philosophe de demain n’est pas un penseur en chambre, endormant l'opinion en lui répétant de manière hypnotique les fables abstraites d’une modernité à l’agonie, veillée par des héritiers post-modernes qui ne pensent qu'à l’achever. Le philosophe de demain n'aura plus grand chose à voir avec ce que l'on entend aujourd'hui par philosophie c'est à dire le plus souvent,  la réduction de la conscience à la pensée conceptuelle et la réduction de la pensée conceptuelle à un formalisme abstrait totalement déconnecté de l'intuition créatrice.

Si la philosophie consiste, selon le mot de Nietzsche, à "nuire à la bêtise", le penseur de demain dépassera ce formalisme abstrait pour devenir un visionnaire capable de synchroniser son intelligence connective avec une intelligence collective en mouvement, elle-même inspirée par la dynamique créatrice de l’évolution. Le monde apparaîtra à ce visionnaire inspiré comme la manifestation de cette dynamique à laquelle il est connecté intuitivement. La conscience collective s’exprimera donc à travers des créateurs de sagesse capables de mettre en forme et en acte le récit fondateur d’une cosmodernité fondée sur l’interdépendance, la co-évolution et le dépassement de l'égo pour accéder à une conscience multidimensionnelle. 

Comme le dit le constitutionnaliste Dominique Rousseau dans un article récent du Monde : " A la différence du XVIII ème siècle, où Voltaire et Rousseau (fait prisonnier pour l'un, conspué par le système pour l'autre), étaient très connectés et ont produit des thèses qui ont eu un impact dans la société, les livres équivalents sur l'époque actuelle ne sont pas encore sortis. Cela va sûrement passer par les réseaux sociaux qui vont produire ce qui est invisible aux yeux des élites. De là surgiront les intellectuels qui vont donner des mots au monde qui vient." (Les élites débordées par le numérique) 

On a envie de de répondre à Dominique Rousseau que l'histoire ne se répète pas mais qu'elle évolue. Ceux qui donneront au monde qui vient des mots capables de l'exprimer ne seront pas des intellectuels, enfermés dans les limites du mental, mais des créateurs de sagesse connectés à la dynamique d'un Kosmos en évolution. En surfant au gré de son intuition, on peut effectivement voir émerger sur certains espaces qualitatifs du Net, un nouveau mode de conscience encore invisible pour les radars de la pensée dominante. Cette intelligence connective tisse les fils d'une cosmodernité qui naît de l'intégration de la tradition et de la modernité dans une synthèse supérieure.