vendredi 21 mars 2014

La Méditation Evolutionnaire


La méditation est un entraînement pour la vie. L’immobilité est un entraînement pour l’action. Andrew Cohen 


Après avoir évoqué les dimensions théoriques de la vision intégrale dans nos trois derniers billets, il est bon de voir comment explorer certains paysages de conscience cartographiés par Ken Wilber. Dans Une Théorie de Tout, celui-ci écrit : "En ce qui concerne le développement spirituel j'ai toujours mis en avant l'importance de la méditation, dans toutes ses (nombreuses) formes". C'est dans cet esprit que j'aimerais faire partager ma découverte récente de la méditation évolutionnaire.

Nous avons évoqué ici la création de Radio Évolutionnaire début Janvier. Depuis, en me connectant à cette web radio, je pratique régulièrement les méditations guidées par Denis Averland en français ou Jeff Carreira en anglais, soit tôt le matin, soit en podcasts en faisant une sélection dans les émissions à la demande. Méditer dans un contexte évolutionnaire me permet ainsi d’intégrer mon expérience de la méditation et ma passion pour la philosophie intégrale. 

Un processus de conversion

Traditionnellement, la méditation est à la fois un exercice spirituel et une sagesse existentielle qui visent à nous désidentifier de l’égo, conçu comme conscience illusoire et transitoire d’un moi séparé. Dans cette perspective, la méditation est un processus de conversion intérieure au cours duquel le mental change de dimension : de sujet régissant le monde objectif, il devient objet d’une conscience libérée et attentive. 

Dans le contexte d’une philosophie intégrale et d’une anthropologie évolutionnaire, la pratique de la méditation prend un sens nouveau. Devenir évolutionnaire, c’est dépasser les limites de l’égo et du mental non pas pour fuir le monde dans une transcendance extatique mais pour participer intimement à la dynamique évolutive et intégrative de la vie/esprit. Cette participation créatrice doit être inspirée par une attention consciente, libérée à la fois des conditionnements personnels et des conformismes culturels. En ce sens, la méditation apparaît effectivement comme un entraînement pour la vie et l’immobilité un entraînement pour l’action. 

Tirés des enseignements d’Andrew Cohen, le texte ci-dessous présente l'émission Onde de Méditation sur le site de Radio Évolutionnaire. Il analyse avec profondeur le nouveau contexte évolutionnaire dans lequel peut se pratiquer la méditation, en répondant aux questions suivantes : Qu’est-ce qui nous empêche de devenir des évolutionnaires ? Pourquoi, comment et quand méditer ? Quels sont les bénéfices de la méditation pour un évolutionnaire ? 

Les Principes de la Méditation Évolutionnaire

Qu’est-ce qui nous empêche de devenir des évolutionnaires ? 

La raison essentielle qui nous empêche de devenir des évolutionnaires est que nous sommes trop occupés pas le contenu de notre mental, hypnotisés par les peurs et les désirs de nos égos personnels et paralysés par les croyances et les attentes de notre culture. Nos pensées et nos émotions forment un drame permanent qui captive notre attention. Comment être prêts pour la créativité et l’innovation lorsque notre attention est distraite et que notre soi reste enfermé dans une prison psychologique, limité par des perspectives culturelles étriquées ? 

Si vous vous sentez piégé par ce qui se passe dans votre mental, vous allez inévitablement l’être aussi par ce qui se passe dans le monde autour de vous. Votre relation à la vie commence toujours par celle que vous avez à vos pensées et vos émotions. Sans nous en rendre compte, notre tendance est de construire des prisons mentales, puis de les habiter. C’est pour cela que nous devons être très attentifs aux pensées et aux émotions auxquelles nous choisissons de nous identifier et surtout à celles que nous mettons en œuvre. Les pensées et les émotions que nous suivons ont des conséquences. En agissant à partir d’une pensée ou d’une émotion, nous mettons en mouvement toute une chaîne d’événements – une vie entière peut se construire sur une seule pensée. 

Nous sommes trop souvent à peine conscients des pensées et des émotions que nous choisissons de suivre et pourquoi nous les choisissons. Réagissons-nous aveuglément aux préjugés et aux prédispositions du soi conditionné par la culture ? Sommes-nous sans cesse influencés par les peurs et les désirs de l’ego personnel ? Ou bien répondons-nous courageusement à nos intuitions les plus profondes ? La relation que vous entretenez avec la pensée, avec le contenu de la conscience, va déterminer votre destinée. 

Pourquoi méditer ? 

La raison pour laquelle vous méditez n’est pas de vous relaxer ou de vous sentir libre. Lorsque vous découvrez votre soi profond, vous réalisez que vous êtes déjà libre. Dans la partie la plus profonde de vous-même, rien ne s’est jamais passé. Vous n’êtes jamais né ; le temps n’a pas encore commencé. Le but de la méditation est de reconnaître, encore et encore et encore, que vous êtes déjà libre. Si votre pratique est puissante, si l’expérience de votre soi profond est réelle, vous découvrirez et redécouvrirez qu’en réalité vous n’êtes pas prisonnier. Vous n’êtes ni captif de votre mental, ni l’otage de vos pensées et de vos émotions. Cette révélation est si simple à l’oreille, mais si facile à oublier. 

Votre soi profond est une dimension de votre conscience si subtile qu’elle ne peut être perçue par les facultés grossières du mental conditionné et de l’ego. Vous ne pouvez pas voir le soi profond ; vous ne pouvez pas le goûter ; vous ne pouvez pas le toucher. Même après une expérience directe de la liberté inconditionnelle de ce fondement, quand vous retournez dans le monde du mental et de l’ego conditionnés, vous allez probablement en douter. 

Le mental ne peut tout simplement pas concevoir cette dimension de l’être, et l’ego ne peut pas le connaître. C’est pour cela qu’il est important de pratiquer l’art et la science de l’immobilité autant que vous le pouvez. Si vous méditez régulièrement avec une intention forte, vous continuerez à redécouvrir que vous n’êtes pas prisonnier. Vous ne le reconnaîtrez jamais assez. 


Tant que votre conviction en votre propre liberté n’est pas inébranlable, tant que vous n’êtes pas capable de le prouver de manière constante et cohérente dans votre vie, méditez chaque jour comme si votre vie en dépendait. Vous avez besoin de continuer à avoir cette expérience. Chaque fois que vous réalisez que vous n’êtes pas prisonnier, votre confiance dans ce fondement, qui est votre soi le plus profond, grandit. Cela construit une conviction consciente dans la vérité libératrice de la non-limitation. 

Quand vous pratiquez l’art et la science de l’immobilité, vous devez vous efforcer de maintenir cette posture de liberté inconditionnelle, quelle que soit votre expérience intérieure. Dans cette posture, vous libérez votre attention de l’attachement et de l’identification à toute pensée, image, mémoire, émotion, croyance et conviction, et lui permettez simplement de venir se poser sur la conscience elle-même.

Si vous voulez agir de manière appropriée quand vous êtes sous pression, vous devez apprendre à ressentir directement le chaos et la confusion de votre propre mental, sans bouger. Vous ne pourrez en prendre la responsabilité que si vous pouvez le supporter. Si vous ne pouvez pas endurer calmement le chaos de votre propre mental, d’autres en subiront immanquablement les conséquences. Si vous n’arrivez pas à gérer avec aisance les mouvements de vos pensées et de vos émotions quand vous êtes simplement immobile et attentif, comment ferez-vous les choix appropriés quand vous marcherez, discuterez, ou serez en interaction avec d’autres ? La méditation est un entraînement pour la vie. L’immobilité est un entraînement pour l’action. 

Comment méditer ? 

L’accès le plus direct pour méditer est d’appliquer sérieusement les instructions suivantes : Être immobile, être à l’aise, être attentif; Laisser les choses être telles qu’elles sont; Ne pas avoir de relation avec le contenu de la conscience. 

Lorsqu’en méditation vous n’avez aucune relation au contenu de la conscience, ce qui surgit n’a aucune importance – vous vivrez peut-être les révélations les plus sublimes, extatiques et libératrices ; serez submergé par des bavardages futiles et ennuyeux ; ou écrasé par des pensées et des impulsions irrationnelles et terrifiantes. Mais vous restez détaché et impassible

Nous devons tous faire attention aux choix que nous faisons en relation à notre expérience intérieure, jours après jours, heures après heures et instants après instants, parce qu’il y a toujours des conséquences. Chaque fois que vous vous laissez ballotter inconsciemment par l’orage intérieur de vos pensées et de vos émotions, ou pire, que de mauvais choix en sont la conséquence, vous en payerez toujours le prix. Le prix le plus lourd est celui de votre confiance en vous, de votre croyance en votre capacité à évoluer. Mais si vous demeurez immobile et radicalement détaché, intérieurement et extérieurement, lorsque l’orage sera passé, vous aurez un sentiment d’une immense exaltation. Vous réaliserez que votre conviction est plus puissante que le chaos de votre mental. 

Ceci étant dit, ce n’est pas une tâche facile que de décoller notre conscience d’une identification habituelle et conditionnée à la pensée et aux émotions. Pour découvrir quelle pourrait être une relation à notre expérience qui soit appropriée, consciente, librement choisie, encore une fois, le premier pas est toujours de n’avoir aucune relation à tout cela. Pour aller au-delà du mental, il faut d’abord le rejeter complètement. Il est absolument fondamental de découvrir ce que cela signifie de rester libre du mouvement continu de la pensée. C’est la première chose à faire. Tout repose sur notre relation à la pensée. 

La liberté de créer notre destiné et de participer consciemment au processus de transition dépend de cela. Apprendre ce que signifie de n’avoir aucune relation au contenu de la conscience est l’étape cruciale, qui vous donnera la possibilité de vous aligner avec le soi profond plutôt qu’avec l’ego. Faire ce pas courageux vous permettra de prendre le contrôle de votre vie. 

Lâcher tout ne nous permet certainement pas de conclure que la totalité du contenu du mental et de la mémoire est faux. Une part considérable de notre histoire possède une très grande valeur et nos capacités hautement développées d’émotion et de cognition sont parmi les plus beaux cadeaux que l’évolution nous ait fait. Mais si nous voulons être libres, nous devons être prêts à lâcher tout cela d’abord, puis voir à quoi cela ressemble ensuite. Ce n’est qu’en lâchant tout que nous pourrons venir nous reposer dans notre soi profond. 

Les bénéfices de la méditation pour un évolutionnaire 

La posture de l’immobilité n’est pas une fin en soi. Ceux d’entre nous qui se sont engagés dans le processus de transition, ou d’évolution de la conscience et de la culture, et qui entreprennent de participer pleinement au processus de la vie ne peuvent rester dans cette posture de non-relation. Bien au contraire. En tant qu’évolutionnaire, vous devez cultiver une relation dynamique et puissamment créative au temps, à la pensée, aux émotions, aux autres et au monde. Ces relations doivent être constamment informées par une attention consciente et libérée, et non par les préjugés conditionnés et inconscients de l’ego personnel et culturel. 

Vous libérerez votre attention en apprenant à prendre la posture de la non-relation. Ainsi, vous découvrirez encore et encore ce que signifie d’avoir un point de départ toujours frais et toujours nouveau dans votre relation au temps, à la pensée, aux autres et au monde. L’expérience de l’évolutionnaire est la reconnaissance perpétuelle dans cet espace intérieur d’un éternel renouveau. C’est la révélation constante que tout est possible. C’est ce que nous avons découvert en retournant au commencement – ce mystérieux non-lieu qui précède la création, préalable au Big Bang, où rien ne s’est jamais passé et c’est pourquoi tout est possible.

Si le savoir mystérieux que tout est possible devient votre point de référence fondamental et constant, alors vous deviendrez un véritable évolutionnaire. Vous aurez toujours accès, d’une façon ou d’une autre, à une perspective dans laquelle rien ne s’est jamais passé et où tout est possible. C’est une orientation par rapport à la vie qui est inimaginable pour la plupart d’entre nous. Trop souvent, notre relation à la vie est basée sur un doute et un cynisme conscients ou inconscients – une présupposition sous-jacente qui assombrit notre perspective sur quasiment tout. 


Il est important de comprendre que l’expérience de ce renouveau éternel n’efface pas nécessairement votre passé. Sortant de votre immobilité, vous continuerez à vous occuper des dures réalités de la vie humaine et à relever les défis de votre propre passé. Ce passé sera toujours là, mais il ne sera plus un obstacle insurmontable à votre développement. Vous serez encore confronté aux inévitables épreuves d’une vie profondément engagée, mais maintenant, par votre enracinement, vous serez toujours en contact avec l’immédiateté d’un potentiel infini. 

La pratique perpétuelle de n’avoir aucune relation au contenu de la conscience non seulement vous aligne avec la liberté inhérente au fondement de l’être, mais plus important encore, crée l’espace en vous pour qu’un potentiel illimité de créativité se révèle. Cela forge la conviction émotionnelle que le changement véritable est possible et génère une foi renouvelée en votre capacité à évoluer. 

Si vous voulez vous développer de manière significative et profonde, il est essentiel de constituer une réserve de conviction, une source de liberté sans bornes, qui vous donnera l’énergie de transcender les limitations apparentes de votre expérience émotionnelle, psychologique et culturelle. En embrassant cette immobilité avec le plus grand sérieux, vous cultivez cette liberté et cette conviction en la non-limitation, comme le point de référence fondamental de votre existence. 

La méditation nous ramène au zéro d’avant le Big Bang et crée l’espace pour cet éternel recommencement qui est l’essence même de l’évolutionnaire. Mais n’oubliez jamais que c’est à vous de générer l’élan de votre développement. Vous devez tout lâcher, encore et encore, jusqu’à ce qu’il y n’ait aucun doute que, quoi que la vie vous réserve, vous répondrez, avant la pensée, depuis la meilleure partie de vous-même – votre Soi profond. 

Quand méditer ?

Faites au moins 45 minutes de pratique le matin ou le soir : soit 45 minutes au lever, dans un endroit calme et confortable, assis sur une chaise ou en tailleur sur un coussin si vous êtes suffisamment souple, soit 45 minutes le soir avant de se coucher. La position allongée est déconseillée à cause du risque d’endormissement. Pour vous aider, vous pouvez commencer en écoutant une méditation guidée enregistrée durant 10 ou 20 minutes suivie d’une musique relaxante. 

Note importante : quel que soit l’horaire de votre pratique, il est important de la faire tous les jours régulièrement. La discipline est importante, surtout au début, car elle matérialise votre intention et votre sérieux à devenir un évolutionnaire.

Sources et références : L’éveil évolutionnaire (Andrew Cohen) - Les éditions du Relié (2012) 

Ressources
 
Onde de Méditation, le programme de Radio Evolutionnaire consacré à la méditation évolutionnaire.

Une méditation évolutionnaire (en français, avec Denis Averland) :
http://soundcloud.com/radio-evolutionnaire/onde-de-me-ditation-denis-10

Emission spéciale Onde de Méditation avec Jeff Carreira ( en anglais).
http://soundcloud.com/radio-evolutionnaire/ondes-de-meditation-jeff

Christine Guinebretière et son invité Jeff Carreira partagent leurs expériences de méditation et répondent aux questions des auditeurs. Jeff Carreira est américain, il est le co-leader de « The Evolutionary Collective », un réseau global de programmes éducatifs en matière de spiritualité et de philosophie. Spécialiste de l’éveil évolutionnaire et de la méditation, il est l’auteur de plusieurs ouvrages : « Meditation », « Philosophy is not a luxury : Fours reasons to start thinking about how you think ». 

Meditation Wave. Méditations guidées par Jeff Carreira (en anglais)
http://soundcloud.com/radio-evolutionnaire/this-is-it

Site de Jeff Carreira. Philosophy is not a luxury

Quelques émissions de Radio Évolutionnaire sur soundcloud

Nous avons consacré trois billets à L'éveil évolutionnaire de Andrew Cohen à la sortie de l'ouvrage en Avril dernier.

Une très belle conférence d'Andrew Cohen sur L’Éveil Évolutionnaire lors de son Book Tour à Gordes en Avril 2013
https://soundcloud.com/radio-evolutionnaire/eveil-evolutionnaire-morceaux

vendredi 14 mars 2014

Une Théorie de Tout


Une bonne théorie est celle qui dure assez longtemps pour nous mener à une théorie meilleure.



Dans nos deux précédents billets, nous avons proposé deux textes qui présentent, de manière synthétique, la vision intégrale de Ken Wilber. Heureux hasard ou synchronicité, les éditions Almora viennent de faire paraître ces jours-ci un nouvel ouvrage de Wilber - Une Théorie de Tout - qui constitue une remarquable synthèse de son travail et une excellente introduction à son œuvre. 

Publié en 2001 aux États-Unis, ce livre évoque la «vision intégrale» de Ken Wilber - une Théorie de Tout - qui tente d’inclure la matière, le corps, le mental, l’âme et l’Esprit tels qu’ils se manifestent dans l’individu, la culture et la nature. Une théorie intégrative qui embrasse la science, l’art et la morale ; qui inclut aussi bien la physique que la spiritualité, la biologie que l’esthétique, la sociologie que la prière contemplative; qui se manifeste à travers une politique intégrale, une médecine intégrale, un commerce intégral, une spiritualité intégrale... 

Nous pouvons être plus ou moins complets ; plus ou moins fragmentés ; plus ou moins aliénés – la vision intégrale de Ken Wilber nous invite à être un petit peu plus entiers, et moins fragmentés, dans notre travail, notre vie, notre destinée. Nous vous proposons ci-dessous la « note au lecteur » où Ken Wilber présente cet ouvrage traduit en français par Kevin Dancelme.

Une Note au lecteur. Ken Wilber

À l’aube de ce nouveau millénaire, quel est le sujet le plus brûlant sur le front intellectuel ? Le sujet qui force le respect des universitaires comme celui des magazines intellectuels à la mode ? Qui passionne le grand public comme les érudits ? Qui promet de révéler des secrets longtemps cachés sur la condition humaine ? Dont les termes peuvent rapidement être nommés, sinon expliqués, par ceux qui en ont connaissance, les faisant ainsi rayonner de l’éclat de cette nouvelle idée brûlante, incandescente ? 

Certains diront la psychologie évolutionniste, qui est l’application des principes évolutionnistes à l’étude du comportement humain : vous savez, les hommes sont foncièrement libertins et les femmes tendent naturellement à fonder un foyer parce que des millions d’années de sélection naturelle nous ont programmés de la sorte. 

La psychologie évolutionniste est en effet devenue un sujet brûlant, en grande partie parce qu’elle a réussi à supplanter trois décennies de post-modernisme, lequel, après avoir été la grande théorie à la mode, est à présent considéré avec un vague ennui et un mépris désinvolte : le post-modernisme est devenu totalement has-been (n’est-ce pas ironique ?) Le post-modernisme a conquis ses très nombreux adeptes principalement grâce à sa capacité à déconstruire les idées des autres, faisant de l’artisan de cette démolition postmoderniste le roi, ou la reine, du petit royaume universitaire. 

La psychologie évolutionniste 


La psychologie évolutionniste parvint donc à déboulonner la théorie des déboulonneurs de théories, et elle le fit en montrant que les principes évolutionnistes donnaient des explications du comportement humain beaucoup plus intéressantes et convaincantes que la position postmoderne classique selon laquelle tout comportement est relatif et socialement construit. La psychologie évolutionniste montra clairement qu’il y avait bien des traits universels à la condition humaine, que l’évolution ne pouvait être niée qu’en acceptant des incohérences, et que, surtout, le post-modernisme n’était tout simplement plus très intéressant.

La psychologie évolutionniste est en fait une branche d’une approche radicalement nouvelle de l’évolution elle-même. La synthèse précédente du néo-darwinisme voyait l’évolution comme le résultat de mutations génétiques aléatoires, dont les plus favorables (en termes de valeur pour la survie) étaient perpétuées grâce à la sélection naturelle. Cette théorie suscita dès le début chez de nombreuses personnes un profond malaise : comment toute l’extraordinaire vitalité et diversité de la vie pouvait-elle naître d’un univers supposé n’être gouverné que par les lois de la physique, des lois qui affirment sans ambages que l’univers s’épuise ? La seconde loi de la thermodynamique nous dit que dans le monde réel, le désordre ne peut que croître. Et pourtant, une simple observation nous révèle que dans le monde réel, partout la vie engendre de l’ordre : l’univers, loin de s’épuiser, à chaque instant se réalise.

Cette perspective radicalement nouvelle proposée par les théories du « chaos » et de la « complexité » énonce que l’univers physique a en fait une tendance inhérente à créer de l’ordre, à l’image de l’eau s’écoulant chaotiquement dans le siphon d’un lavabo, pour tout d’un coup former une belle spirale tourbillonnante. La vie biologique elle-même est une série de tourbillons qui créent à chaque instant de l’ordre à partir du chaos, et ces structures nouvelles et supérieurement ordonnées sont perpétuées par différents processus de sélection opérant à tous les niveaux, du physique au culturel. Dans le domaine de l’humain, cela se manifeste précisément dans les comportements étudiés par la psychologie évolutionniste: un sujet brûlant, s’il en est. 

La Théorie M 

Pourtant, la psychologie évolutionniste n’est pas le nec plus ultra du moment. Née au début des années 80, puis progressivement développée au cours des années 90, la rumeur d’une théorie du Tout commença à courir dans le monde de la physique : un modèle qui se proposerait d’unir toutes les lois connues de l’univers dans une théorie globale, qui pourrait expliquer littéralement tous les aspects de l’existence. Certains allèrent jusqu’à murmurer que la main même de Dieu allait pouvoir être aperçue dans ses formules. D’autres annoncèrent que le voile venait d’être levé sur le visage du Mystère ultime. La Réponse finale était à portée de main, entendit-on ailleurs. 

Connue sous le nom de Théorie des cordes (ou plus exactement, Théorie M), sa promesse est de parvenir à unifier tous les modèles connus de la physique – de l’électromagnétisme aux forces nucléaires en passant par la gravité – en un super-modèle universel. Les unités fondamentales de ce super-modèle sont connues sous le nom de « cordes », ou objets vibrants unidimensionnels, et à partir des différentes « notes » jouées par ces cordes fondamentales, il est possible de dériver chaque particule et chaque force connue dans le cosmos. 

La Théorie M (la lettre M peut notamment être interprétée comme l’initiale de matrice, membrane, mystère, ou mère comme dans la « mère de toutes les théories »), est sans aucun doute un modèle prometteur et stimulant, et si elle s’avérait scientifiquement valide – elle doit encore recueillir une rigoureuse approbation expérimentale – elle serait effectivement une des découvertes scientifiques les plus importantes de tous les temps. Et c’est pourquoi, pour celles et ceux qui en ont connaissance, la théorie des cordes ou théorie M est le nec plus ultra des théories, un super-modèle explosif et révolutionnaire qui relègue même la psychologie évolutionniste au domaine trivial du vaguement intéressant. 

La Théorie M a certainement amené les intellectuels à réfléchir et à penser différemment. Quelles seraient les implications d’une théorie qui expliquerait tout ? Et qu’est-ce qu’on entend par « tout », d’ailleurs ? Est-ce que cette nouvelle théorie dans le domaine des sciences physiques allait permettre d’expliquer la signification de la poésie ? Ou le fonctionnement de l’économie ? Cette nouvelle physique serait-elle en mesure d’expliquer les mouvements des écosystèmes, les dynamiques de l’histoire ou encore les raisons pour lesquelles la tragédie des guerres humaines se perpétue inlassablement ?

À l’intérieur des quarks, dit-on, il y a des cordes vibrantes, et ces cordes sont les unités fondamentales de tout. Eh bien, si c’est le cas, c’est un tout étrange, pâle, anémique, étranger à la richesse du monde qui chaque jour s’offre à nous. Les cordes sont indubitablement une partie importante, fondamentale du vaste monde, mais peut-être pas aussi prédominante qu’on semble le dire. 

Vous et moi savons déjà que les cordes, si tant est qu’elles existent, sont seulement une fraction infime du tableau d’ensemble, et nous le savons à chaque fois que nous regardons autour de nous, que nous écoutons la musique de Bach, que nous faisons l’amour, que nous nous immobilisons au son du fracas déchirant du tonnerre, que nous nous laissons inonder d’un coucher de soleil, que nous contemplons un monde resplendissant qui semble bel et bien constitué d’autre chose que simplement de microscopiques élastiques unidimensionnels ... 

Le Kosmos 

Les anciens Grecs avaient ce mot magnifique, Kosmos, pour décrire le Tout de l’existence aux multiples facettes, qui embrassait les sphères physiques, émotionnelles, mentales et spirituelles. La réalité ultime n’était pas seulement le cosmos, la dimension physique, mais le Kosmos, avec ses dimensions physiques, émotionnelles, mentales et spirituelles. Pas simplement la matière, inerte et insensible, mais la Totalité vivante de la matière, du corps, du mental, de l’âme et de l’Esprit. 

Le Kosmos ! Voilà une authentique théorie de tout ! Mais nous autres pauvres modernes avons réduit le Kosmos au cosmos, nous avons bradé la matière + le corps + le mental + l’âme + l’Esprit pour la matière seulement, et dans ce monde terne et plat du matérialisme scientifique, nous avons fini par croire qu’une théorie unifiant la totalité de la dimension physique était effectivement une théorie du tout... La nouvelle physique, nous dit-on, nous donne accès à l’intelligence de Dieu. Peut-être, mais alors seulement lorsque Dieu songe à un tas de sable. 

Sans aucunement chercher à nier l’importance d’une physique unifiée, il nous faut aussi nous poser ces questions : pouvons-nous avoir une théorie, non seulement du cosmos, mais du Kosmos ? Peut-on envisager une véritable Théorie de Tout ? Est-ce seulement raisonnable de se poser la question ? Et par où commencer ? 

Une « vision intégrale », une authentique Théorie de Tout, tente d’inclure la matière, le corps, le mental, l’âme et l’Esprit tels qu’ils se manifestent dans l’individu, la culture et la nature. C’est une vision qui se veut exhaustive, équilibrée et inclusive. Une théorie qui, par conséquent, embrasse la science, l’art et la morale ; qui inclut équitablement aussi bien la physique que la spiritualité, la biologie que l’esthétique, la sociologie que la prière contemplative ; qui se manifeste à travers une politique intégrale, une médecine intégrale, un commerce intégral, une spiritualité intégrale... 

Tenter l’impossible 

Ce livre est une brève présentation de cette Théorie de Tout. Bien sûr, une telle entreprise, comme toute tentative de la sorte, brillera par ses limitations et ses échecs. Elle portera la marque de ses insuffisances et de ses généralisations non justifiées, rendra les spécialistes fous, et échouera globalement dans son objectif annoncé d’atteindre une compréhension holistique. 

Ce n’est pas simplement qu’aucun cerveau humain n’est à la hauteur de la tâche; la tâche elle-même est intrinsèquement impossible : l’expansion de la connaissance est plus rapide que celle des moyens de la classifier. La quête holistique est un rêve inatteignable, un horizon qui s’éloigne à mesure qu’on s’en approche, le pot d’or au pied de l’arc-en-ciel jamais atteint. 

Alors pourquoi tenter l’impossible ? Parce que je crois qu’une complétude, même partielle, vaut mieux que pas de complétude du tout, et une vision intégrale offre considérablement plus de complétude que les alternatives fragmentées. Nous pouvons être plus ou moins complets ; plus ou moins fragmentés ; plus ou moins aliénés – une vision intégrale nous invite à être un petit peu plus entier, et moins fragmenté, dans notre travail, notre vie, notre destinée. 

Théorie, applications et pratiques

Certains bénéfices sont immédiats, comme vous le verrez dans les pages qui suivent. Les quatre premiers chapitres présentent une Théorie de Tout. Les trois suivants détaillent ses applications et sa pertinence dans le « vrai monde ». Nous y examinerons la politique intégrale, le commerce intégral, l’éducation intégrale, la médecine intégrale, et la spiritualité intégrale, à travers leurs nombreuses applications enthousiastes déjà existantes. 

Le dernier chapitre traite d’une « pratique transformative intégrale », c’est-à-dire les moyens grâce auxquels une approche intégrale peut être utilisée comme outil de transformation psychologique et spirituelle, si on le désire. Surtout, prenez les idées proposées dans ce livre comme de simples suggestions. Voyez si elles vous semblent pertinentes, si vous pouvez les améliorer, et plus que tout, si elles vous aident à formuler vos propres idées et aspirations intégrales. 

Un de mes enseignants définissait une bonne théorie comme « celle qui dure assez longtemps pour nous mener à une théorie meilleure ». La même chose est vraie pour une bonne Théorie de Tout. Ce n’est pas un système figé et définitif, mais simplement une théorie qui aura rempli son objectif si elle nous aide à en trouver une meilleure. Et entre-temps, il y a l’émerveillement et la gloire de la recherche elle-même, baignée, dès le début, de la radiance de l’existence, et toujours déjà entière avant même de commencer. 

K.W. Boulder, Colorado. Printemps 2000

Table des Matières

1. L'incroyable spirale : Fragmentation de l'avant-garde. La boomérite. Les vagues d'existence. Le projet "conscience humaine". Le saut vers une conscience de second palier.

2. La Boomérite : Le développement comme déclin de l'égocentrisme. La spirale de compassion. Combat le système ! Hiérarchies de croissance contre hiérarchies de domination. La boomérite. Les nombreuses contributions du Vert. Au-delà du pluralisme. La culture intégrale.

3. Une Vision Intégrale : Une transformation intégrale. Sexe, Écologie, Spiritualité. Une approche du spectre entier de la conscience. Tous quadrants. Une carte plus intégrale. Transformer le cartographe. La directive première. Une grandeur mieux évaluée. La vision intégrale dans le monde.

4. Science et Religion : La relation entre la science et la religion. Non-recouvrement des magistères ? Le cerveau d'un mystique. Tous quadrant, tous niveaux. La bonne science. Le religion profonde. La révélation intégrale. Vive la différence ! La religion étroite. Spiritualité et libéralisme.

5. Le Vrai Monde : Une politique intégrale. La gouvernance intégrale. La médecine intégrale. Le commerce intégral. L'éducation intégrale. La recherche sur la conscience. Une spiritualité engagée aux niveaux social et relationnel. Une écologie intégrale. L'assistance aux minorités. Une présentation de l'UNICEF. La terreur de demain. L'institut intégral.

6. Cartes du Kosmos : Un système d'indexation holistique. Vision du monde. Profondeur verticale. Francis Fukujima : La fin de l'histoire et le dernier homme. Samuel P. Huntington : Le choc des civilisations. Vertical et horizontal. Le méchant mème Vert. Une civilisation planétaire. Thomas L.Friedman : La lexus et l'olivier. Les vagues d'expérience spirituelle. Pourquoi la religion ne disparaît-elle pas tout simplement ? Une pratique intégrale.

7. Une Saveur Unique : Une pratique transformative intégrale. Recommandation. Vrai mais partiel. Et tout est défait.

Ressources

Pour les nombreux textes consacrés à l’œuvre de Ken Wilber dans Le Journal Intégral, se référer à la section Ressources des deux derniers billets : L'approche intégrale de Ken Wilber et Le monde de Ken Wilber.

Voir le libellé Ken Wilber dans Le Journal Intégral avec 30 références. 

mercredi 5 mars 2014

Le Monde de Ken Wilber


La question n’est pas de chercher à savoir qui a tort, mais plutôt de voir s’ils n’auraient pas tous un peu raison, car l’univers est si grand qu’il y a suffisamment de place pour Freud et Bouddha. Ken Wilber 


Nous vous proposons ci-dessous un article où Alain Moenaert présente de manière concise et synthétique les principaux concepts de la philosophie intégrale de Ken Wilber. Ce texte est un bon complément du précédent où Jacques Ferber expliquait de manière plus spécifique le modèle AQAL du même Wilber. En évoquant quelques-uns des grands principes qui sous-tendent la philosophie intégrale, Alain Moenaert propose une sensibilisation à la fois claire, précise et utile de cette démarche (r)évolutionnaire. 

Alain Moenaert, un expert de la modélisation 

Alain Moenaert est psychologue, titulaire du certificat européen de psychothérapie et formateur certifié en PNL. Fondateur et co-dirigeant pendant vingt ans de l’Institut Ressources, leader francophone de la formation à la Programmation Neuro-Linguisitque, il est un des experts reconnu de ce domaine et a développé ses formations en Europe francophone. 

La modélisation est une démarche de la PNL qui permet d'observer les comportements de réussite, d'en déterminer les conditions de succès et de les reproduire au mieux. Fort de cette expérience, Alain Moenaert a modélisé les personnes ayant des guérisons exceptionnelles depuis une vingtaine d’années. Il est l’auteur de Les douze étapes de la guérison. Modélisation de guérisons exceptionnelles (Editions Le Souffle D'or). Fruit d'une étude pratique portant sur deux cent dix patients ayant accompli des guérisons remarquables, ce livre décrit le processus que l'auteur a trouvé comme constante chez ces personnes. 

Fort de son expérience et de son expertise dans le domaine de la modélisation, Alain Moenaert a pu mesurer l’originalité et la profondeur de l’approche intégrale de Ken Wilber. Il en restitue dans le texte ci-dessous les points principaux. 

Le Monde de Ken Wilber par Alain Moenaert 

Ken Wilber a été salué comme un des plus grands penseurs de ce siècle, « Einstein de la conscience, Darwin du transpersonnel, Platon moderne ». Au travers de 16 livres publiés à ce jour, véritable œuvre monumentale, Ken Wilber dessine une synthèse extraordinaire englobant l’ensemble de la connaissance de la psychologie occidentale et orientale, de la philosophie, de la biologie et de la physique, de la politique… 

Fasciné par l’aventure de la conscience, il propose un modèle global du chemin d’évolution qui englobe et transcende nos conceptions actuelles. Son livre « Sex, Ecology, Spirituality : The Spirit of Evolution » a été reconnu comme un des livres les plus importants jamais publié par des gens d’horizons extrêmement variés tels que David Böhm, Al Gore, Huston Smith, Michael Murphy, Daniel Golleman ou Larry Dossey. 


Il est hélas encore quasi-inconnu dans le monde francophone, faute de traduction en français. Il nous fournit une synthèse structurelle cohérente qui met en évidence les grandes tendances à l’œuvre dans le développement du vivant, qu’il s’agisse du développement des organismes mono-cellulaires jusqu’à l’homme moderne, de la conscience depuis le niveau fusionnel archaïque jusqu’aux niveaux de développement transpersonnels cartographiés par les mystiques de différentes traditions, du développement des sociétés au travers des siècles depuis les hordes dont la subsistance est basée sur la chasse et la cueillette jusqu’aux sociétés post-industrielles… 

Wilber propose une série de distinctions et de concepts clés qui nous permettent d’éclaircir les liens et différences existant entre chacune de ces approches et nous aide à relier l’ensemble de nos connaissances et de notre expérience en un tout cohérent, structuré et ordonné dynamiquement. Plus important encore, il nous permet de nous resituer dans un mouvement de développement beaucoup plus vaste, nous aidant à répondre aux grandes questions : où sommes-nous, qui sommes-nous, où allons-nous, quel est le sens de tout cela ?…et de commencer à percevoir un sens au-delà du chaos apparent. 

Enfin les distinctions et opérateurs proposés nous permettent de déterminer l’étape suivante dans un cycle de développement, et ce, que nous nous occupions d’un individu, d’une entreprise ou d’une société au sens large. Voyons quelques-uns des concepts clés de Wilber : 

La Philosophia Perennis

Dans toutes les grandes traditions du monde, tant occidentales qu’orientales, il existe une structure profonde sous-jacente commune qui émerge par-delà les différences de surface, même si les cultures, mythologies, déités semblent très diverses au premier coup d’œil. 


Dans toutes les grandes traditions, le monde est conçu comme « grand vivant », sans solutions de continuité entre la matière inanimée, le monde du vivant, de l’âme et du divin. Il s’agit d’un monde ordonné et stable qui reflète les lois divines, auxquelles les hommes se soumettent. 

Tout ce qui est en haut est comme ce qui est en bas, ainsi dans le monde chrétien les 7 hiérarchies angéliques, les sept notes de la gamme musicale, les 7 ouvertures dans la tête, etc. sont toutes des manifestations d’un principe immanent qui relie l’ensemble de l’univers. Les niveaux de conscience sont des reflets d’ordre de manifestation de l’univers Contester une loi de l’univers comme le fit Galilée était vécu dans ce monde pré-moderne comme un blasphème autant qu’un acte de terrorisme social. 

La rupture de la modernité 

Avec l’apparition de la pensée moderne et sa démarche scientifique, la connaissance obtenue par observation provoqua une rupture de la grande chaîne des êtres. Les travaux de Copernic, Galilée, Kepler, Newton, Kelvin et Bacon sur la physiosphère, les systèmes planétaires et la genèse du cosmos divorcèrent du vivant quant à son devenir temporel. En effet, selon la 2ème loi de la thermodynamique, la flèche de temps de la matière (un système ne revient jamais en arrière) conduit vers une involution irrémédiable (entropie). La biosphère quant à elle manifeste également une flèche de temps mais avec un processus d’évolution mis en évidence par Darwin. 

Les mythes fondateurs du monde chrétien ne résistèrent pas longtemps à l’analyse scientifique dont les tenants les plus sectaires en profitèrent pour rejeter tout idée d’esprit transcendant. Le bébé était parti avec l’eau du bain ; la vérité serait dès à présent réductionniste ou ne serait pas.

L’unité du monde de la connaissance vola en éclat et laissa quatre domaines séparés : 
- Le monde du « Cela », royaume du naturalisme matérialiste objectif, de la science physique, 
- Le “Je” royaume de la perception subjective, du sens de l’esthétique, de la psychologie, 
- Le “Nous”, royaume des relations sociales, de l’éthique, de la sociologie, de la politique, 
- Le “Cela qui n’a pas de nom” royaume de la transcendance, de l’esprit, de la théologie. 

La connaissance du vivant oscillant de manière schizophrénique entre matérialisme réductionniste et élévationisme vitaliste.

 Le Défi post-moderne 

Wilber se fait l’avocat d’une nouvelle synthèse qui relie les distinctions apportées par la modernité et l’esprit scientifique, ce qu’il appelle la splendeur de la modernité, avec la sagesse millénaire des grandes traditions de la connaissance. Il ne s’agit que d’un moment dans l’histoire, un mouvement dialectique. 

Tout est en évolution : les 4 quadrants co-évolutifs 

Wilber met en évidence des principes d’évolution qui sont à l’œuvre dans tous les domaines d’existence et que partage le Cela, le Je, le Nous et le Cela qui n’a pas de nom. Ces quatre grands domaines co-évoluent avec des liens d’interdépendance mais non de similarité. 

Il faut en effet une certaine complexité de la structure biologique pour qu’apparaisse la conscience – il faut attendre l’apparition du néo-cortex pour qu’apparaisse la conscience auto-réflexive. Les développements technologiques déterminent également de nouvelles organisations de sociétés, ce qui à son tour influe sur la vision du monde et le sens de la communauté, etc. 

En fait il y a 4 grands domaines qui co-évoluent selon qu’on les classe suivant un axe individuel-collectif et un axe intérieur-extérieur. 


Ces quatre grands domaines possèdent des critères de validation différents - le vrai, le beau, le juste et le fonctionnel - et il est important de ne pas utiliser abusivement les critères de validation d’un domaine en l’appliquant indûment à un autre domaine. Ainsi, si je peux observer un cerveau en le découpant en tranches, en restant un observateur neutre extérieur et connaître ainsi sa dimension extérieure, je ne peux savoir ce que pense ce même cerveau qu’en rentrant en relation avec la personne, si je veux découvrir sa dimension intérieure. 

Profondeur et étendue : principe holarchique 

Les systèmes complexes sont hiérarchisés : par exemple des atomes font des molécules, celles-ci s’assemblent en cellules qui elles-mêmes s’assemblent en tissus, systèmes, etc… Ce développement se fait selon deux axes : Etendue et Profondeur

Plus d’individus du même type augmente l’étendue : plus de cellules pour pouvoir fabriquer un tissu. L’émergence d’un niveau (de complexité) supérieur – l’organe par rapport aux tissus – augmente la profondeur. 

Wilber met en évidence que le développement consiste en une augmentation de la profondeur. La conscience est une fonction de la profondeur croissante de la hiérarchie que Wilber appelle une holarchie

Dans un développement holarchique, chaque niveau émergeant transcende les niveaux existant jusqu’alors et présente de nouvelles caractéristiques qui ne peuvent se déduire des précédents niveaux. Le tout est plus que la somme des parties


En même temps, dans une holarchie fonctionnelle, chaque nouveau niveau inclut tous les précédents. Qu’il s’agisse du développement biologique, psychologique, social, politique ou spirituel, tous impliquent un mouvement de transcendance et d’inclusion croissant. 

Wilber met en évidence 20 caractéristiques fondamentales du développement que nous ne détaillerons pas ici. Citons uniquement un principe téléologique : le développement futur semblerait déjà pré-programmé, comme un potentiel non encore manifesté, non encore allumé. D’une certaine manière, un futur point Oméga tire le développement comme un attracteur. 

Confusion Pré / Trans 

Lorsque Wilber applique ses principes au développement de la psyché humaine, il met en évidence que toutes les approches et tous les auteurs font une distinction entre un stade pré-personnel (fusionnel, indifférencié) et un stade personnel (avec l’apparition de la conscience du moi). Ces stades sont découpés en plus ou moins de sous-étapes selon les auteurs. 

Certains auteurs parmi les plus récents en Occident et de très nombreux autres dans les grandes traditions orientales continuent le chemin de développement au-delà de l’ego mature où s’arrête classiquement la psychologie occidentale, et ce en cartographiant des stades de développement ultérieurs de type transpersonnel. 

Wilber met en évidence que nombre d’esprits occidentaux ont confondu les stades pré-personnel et transpersonnel. Freud, pour n’en citer qu’un, assimilait l’aspiration transcendante à une nostalgie régressive fusionnelle. En alignant systématiquement les constantes des enseignements traditionnels, Wilber cartographie le chemin au-delà de l’ego, et plaide pour une véritable approche scientifique du développement spirituel. 

Pour une science de l’esprit 

L’approche scientifique est classiquement fondée sur 4 critères :

1. Une injonction : pour constater un phénomène, vous devez construire une expérience d’un certain type

2. Une expérience directe qui permet de recueillir des données ; c’est la partie expérimentale

3. Un partage et une confrontation de mes résultats avec la communauté des chercheurs de ma discipline

4. Des critères qui permettent de déterminer la validité ou la fausseté d’une hypothèse

Wilber nous invite à appliquer ces critères à la vie spirituelle (à ne pas confondre avec le discours mythologique archaïques des églises.) Cela signifie que pour appréhender certaines réalités spirituelles – tel le samadhi - vous ne pouvez pas vous contenter d’observer de l’extérieur de manière intellectuelle dissociée. Vous devez développer une pratique spécifique : par exemple une technique de méditation. C’est l’injonction de la science de l’esprit. 


Puis, lorsque vous aurez développé une pratique régulière, il est important de comparer vos résultats expérimentaux avec la communauté de vos pairs – à savoir ceux qui pratiquent les mêmes techniques de méditation. Enfin, il peut être utile de recourir à l’enseignement et à l’expérience d’un expert pour faire le tri entre les expériences authentiques et celles qui nous illusionnent. C’est la fonction d’un maître dans une tradition authentique. 

A la lumière de ces distinctions, il est évident que la plupart des critiques « scientifiques » de la spiritualité sont entachées d’un vice méthodologique. Ceux qui concluent à l’inexistence du phénomène sans avoir développé une pratique rigoureuse font preuve du même obscurantisme que les inquisiteurs qui refusaient la rotation de la Terre autour du soleil sans se donner la peine de regarder dans un télescope. 

Développer une pratique multi-dimensionnelle 

Wilber nous invite à distinguer différentes dimensions de notre évolution : Physique, Émotionnelle, Mentale, Relationnelle, Psychique, Spirituelle, Etc…Ces dimensions n’étant par ailleurs aucunement rigidement gravées dans le bronze. Elles n’ont pour but que de déterminer de manière personnelle et individualisée le type de pratique pour chacun des niveaux de notre être. 

Ainsi, mon corps physique a probablement besoin d’exercice, d’oxygénation, d’une diète spécifique. Mon corps émotionnel peut éventuellement avoir besoin d’un travail thérapeutique régressif pour désensibiliser des traumatismes affectifs anciens. Mon mental peut utilement utiliser des stratégies de développement PNL, être stimulé par la lecture du présent article. Mon corps psychique a besoin de calme et d’attention aux signaux discrets de mon âme. Et mon développement spirituel passe par l’établissement d’une base régulière de méditation correspondant au niveau de mon développement actuel….. Et équilibrer en nous le Beau, le Juste et le Vrai.

Ressources 

De nombreuses références concernant l’œuvre de Ken Wilber ont été proposées dans la partie Ressources à la fin du précédent billet : L’approche intégrale de Ken Wilber

L’approche intégrale vu par Métaphorm

Dans le billet intitulé Les concepts de la théorie intégrale sont présentés les concepts majeurs de cette pensée avec, pour chacun d’entre eux, un lien sur des pages du blog Integral WorldFrank Visser les analyse de manière plus précise. 

Site Philosophie et Spiritualité. Deux articles passionnants sur Ken Wilber viennent de paraître : Les Trois Yeux de la Connaissance. Pré-personnel et Transpersonnel

le Site d'Alain Moenaert : Passage

Alain Moenaert est l’auteur de Les douze étapes de la guérison. Modélisation de guérisons exceptionnelles (Editions Le Souffle d'or). Cet ouvrage est composé de douze chapitres relatant les grandes étapes que l'on retrouve à chaque fois. Pour chacun d'entre eux, des exemples concrets ainsi que des pistes de solutions guidant pas à pas au travers de ce processus : 

1. Accepter le diagnostic; 2. Refuser le pronostic; 3. Recadrer la catastrophe en chance de ma vie; 4. Devenir la personne la plus importante de mon univers; 5. Prendre la responsabilité de la création du problème; 6. Construire la détermination; 7. Découvrir le message fonction du symptôme; 8. Nettoyer le passé des traumas et croyances limitantes; 9. Développer un Présent Continuellement satisfaisant; 10. Construire un futur sans tensions; 11. Se sentir relié, développer une pratique spirituelle; 12. Vivre sa vie 

Face à un diagnostic fatal, ces personnes ont réussi à retourner la situation et à guérir : il y a des leçons à en tirer ! Alain Moenaert vise à rendre aux « victimes d’un sort injuste » la capacité d’agir concrètement sur leur sort et de devenir auteur de la transformation qui conduit de la maladie à la santé.