mardi 24 novembre 2015

Minutes de Silence


Le Mal est ce qui reste, quand on a tout oublié, pour faire l'expérience de l'Irréductible.


Le courage consiste parfois à se taire...

A ne se laisser aller ni à la tentation des mots qui cherchent désespérément à contenir l’émotion, ni à celle des idées qui voudraient rendre intelligible une violence proprement inimaginable.

A ne pas mettre entre soi et l’expérience du gouffre, le voile d’une explication qui - jamais - n’arrivera à saisir la spécificité du Mal : son caractère irréductible.

A ne pas mêler sa voix au chœur de l'impatient et de l'impulsif, afin de faire face à l'incompréhensible c'est à dire ce que l'intellect ne peut appréhender.

A se taire enfin pour écouter en nous le chant de l'indicible, seul à même de ressourcer notre regard en l'approfondissant.

Parce qu'en se heurtant à ses limites, la pensée ne peut saisir l'impensable, elle doit être transcendée dans le lâcher prise. Le courage se transmue alors en acceptation de ce qui est : rester là, vivant, alerte, conscient, unifié et faire tout simplement l’expérience de l’immonde. 

Présence nue partageant la nudité de la perte et de la peur, de l’absence et de l’horreur. 

Témoigner par cette présence du souffle premier de la vie. 

Se contenter d’être là comme le rocher sculpté par le vent du doute et la vague de l'effroi.

Prendre refuge dans l’ineffable avec gratitude. 

Pactiser avec le silence qui en sait plus que nous. 

Considérer notre finitude comme la clé qui ouvre en soi les portes de l’infini. 

Développer ce septième sens qu’est le sens de la limite. 

Congédier les évidences et s’abandonner à chaque souffle pour devenir plus vivant.

S’abstraire du langage pour retourner à la source du verbe. Plonger dans la fragilité à la source de la vie. Conjuguer en soi la présence de l'Un et la puissance de l'Autre.

Faire l'expérience de l'abandon pour être en mesure d'accueillir l’abondance. 

Sentir l’haleine de la mort s’approcher de vous et ne pas la désirer comme on cherche l'oubli.

Ne pas faire aux barbares l'honneur de les haïr : ils n'attendent que cela pour nous enfermer dans leur piège régressif. Ascèse de la non-violence qui mobilise toute notre humanité pour ne pas donner une réponse inhumaine à des actes inhumains. 

"En opposant la haine à la haine, on ne fait que la répandre en surface comme en profondeur." Ainsi parlait Gandhi


Ne pas attendre de résultats. 

Ne rien attendre. Être seulement attentif.

Chercher l’inefficacité maximum pour se libérer de l'emprise technique comme du dogme de la Très Sainte Utilité. 

Ne rien faire du Tout pour que Tout conspire à réaliser votre Intention créatrice.

Ne pas se divertir pour oublier mais se convertir au chant stellaire qui enracine le terrien au Kosmos. 

Il ne s'agit pas de faire son deuil - quelle bêtise !... - mais que le deuil fasse advenir en nous plus que nous-même. 

Prendre la mesure de ce qui est et vivre à son rythme, celui d'une évolution qui transfigure l'origine en mémoire et la mémoire en vision.

Ne rien dire qui puisse attenter à la grâce de l’instant présent. 

Redonner au mystère toute sa place, celle du souverain : miroir infini de notre finitude. Remettre à la sienne l’égo usurpateur qui - au lieu de prendre conscience - se prend pour lui-même : miroir fini de notre infinitude. 

S’impliquer dans ce mystère et attirer à soi, comme un aimant, toutes les explications du monde qui chercheront à nous séduire par leur vérité illusoire avant de nous réduire à un savoir qui finit par déshonorer et profaner tout ce qu’il approche. 

N'être plus rien pour renaître au Tout : telle est l'expérience radicale.

Habiter la présence pour rendre grâce à la simplicité.

S'aimer tel que l'on est et récolter ce que l'on sème.

Ne pas croire tout ce que l’on pense ni penser tout ce que l'on croit. 

Retirer patiemment l’écorce acide de la douleur jusqu’à goûter cette douceur de l'absence qui est celle d'une présence intemporelle.

Cette transcendance inversée qu'est le Mal nous invite à une intensité qui doit être vécue pleinement pour révéler le secret vertical du lâcher prise. 

Dans la souffrance des larmes et le fracas des armes, être à l’écoute et accompagner les formes novatrices que la destruction permet de faire émerger.

Une matrice douloureuse est en train d'accoucher d'un souffle nouveau...


Il ne sera ni entendu ni compris celui qui refuse de parler le langage abstrait du désert, le seul qui soit écouté en ce bas monde où sévissent les savants, les puissants et les fous.

3 commentaires:

  1. Le verbe est clair, le ton fort, le style épuré à l'essentiel, l'aphorisme inspiré.
    Un beau billet que vous signez dont je présume l'Esprit et l'âme partie prenante de cette œuvre.
    Poursuivez sur cette veine méta-poétique si nécessaire dans ces temps confus.
    Merci.

    RépondreSupprimer
  2. J'aime vraiment beaucoup vos aphorismes...
    qui, comme le dit Konrad ci-dessus, sont toujours "inspirés"...

    RépondreSupprimer
  3. J'ai pris le temps avant de lire ce texte, afin de le lire avec attention, presence... et que dire... Merci, merci, merci, encore un texte magnifique Olivier, juste, precis, ouvert, vivant, un baume pour l'ame...

    RépondreSupprimer