jeudi 28 avril 2016

Où disperserons-nous les cendres du Vieux Monde ?


Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n'est pas en nous, mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit... Aimé Césaire 


Aux petits rentiers de l’agonie. Aux fonctionnaires du désastre. Aux gestionnaires du renoncement. Aux professeurs de désolation. Aux experts qui, à force de savoir tout sur rien, ne connaissent absolument rien du Tout. Aux technocrates qui prennent leur impuissance pour de la mesure et leur conformisme pour de la lucidité. Aux religieux qui veulent faire de la transcendance une marque déposée dont ils revendiquent l’exclusivité. Aux politiciens dont la vision dépasse rarement la perspective de leur prochaine élection. 

Aux réducteurs de têtes - nombreux dans la tribu des Psyvaros - qui enferment l’infini de l’esprit dans les limites abstraites de l’individu. Aux démagogues qui surfent sur la haine, le doigt pointé vers des bouc-émissaires soumis à la vindicte populaire. Aux conspirationnistes qui, inspirés par la connerie ambiante, imaginent des solutions simplistes et délirantes à des problèmes complexes nécessitant un saut créatif et conceptuel. Aux arriérés qui pensent aujourd’hui comme hier en qualifiant d’avant-garde ceux qui vivent au rythme créateur de l’évolution.


Aux sodomiseurs de dyptères qui qualifient d’illuminés les visionnaires et de visionnaires les désespérés. Aux cyniques qui, identifiés à leur égo, traitent de mégalos tous ceux qui cherchent à le transcender. Aux esthètes de nœud qui prennent la poésie pour une activité littéraire alors qu’elle est un état lyrique qui nous plonge au cœur de l’unité irréductible entre l’homme et le monde. Aux écrivains qui, avec vanité, traitent leurs lecteurs comme des clients et non comme des poètes. Aux cérébranleurs qui castrent l’imagination créatrice en réduisant un univers complexe et mystérieux à des idées claires et distinctes.

Aux normalisateurs qui réduisent la conscience à un mécanisme cérébral et la psyché à une mécanique dont les rouages chimiques peuvent être réparés à coup de molécules. Aux scientistes, prêtres de l’insignifiance, qui inventent un monde à leur mesure en réduisant le Réel multidimensionnel aux formes apparentes de la réalité. Aux familialistes qui ne reconnaissent comme seul miroir narcissique que la toute-puissance de leur progéniture 


A ceux qui, parmi les journalistes, nous font prendre pour de l’information la mise en scène du conformisme et de la résignation. Aux milices de la pensée payées pour que leurs maîtres ne soient pas dérangés par des opinions déviantes c’est-à-dire novatrices. A l’oligarchie des nains qui spéculent sur la misère humaine pour chercher à remplir indéfiniment leur vacuité infinie. Aux poubellicitaires, ces mages noires qui colonisent l’imaginaire en faisant d’un produit le support d’un affect et d’un affect le support d’une aliénation 

A ceux qui, parmi les enseignants, vampirisent la présence d'esprit en destituant la souveraineté de l’intuition créatrice au profit d’un formalisme abstrait qui se retourne contre la vie pour former des absents à eux-même et au monde. Aux apparatchiks de la culture qui attendent d'une avant-garde auto-proclamée qu’elle défèque sur scène, sur un tableau ou dans un livre pour aller nettoyer ses crottes avec autant de respect que de volupté 


Aux prédateurs qui, par leur inconscience quotidienne, détruisent leur milieu naturel et les espèces qui y vivent en violant les valeurs sacrées de la sensibilité et de la vie. Aux matérialistes qui, en se constituant prisonniers des apparences, se privent d'une cohérence enracinée dans la profondeur d'une transcendance. A tous ces paumés qui, ayant oubliés d’où ils viennent, ne savent plus où ils vont. 

Aux pseudo-révolutionnaires qui se font les alliés objectifs de la domination en utilisant le logiciel économique des dominants plutôt que d’actualiser le logiciel éthique de la convivialité. Aux déconomistes qui réduisent à un pouvoir d’achat la puissance créatrice de l'humanité. Aux marchands de bonheur qui profitent de la détresse humaine pour vendre l’illumination par mensualité. 


A ceux qui savent. 
A ceux qui croient savoir. 
A ceux qui croient que le savoir les protège d’eux-mêmes comme une armure. 

A tous ceux-là et aux autres, 
il faut faire entendre l’écho assourdissant d’une voix 
qui se propage comme un incendie 
annonçant l’insurrection des consciences. 

Avec le Verbe pour seule arme, 
une armée d’enfants prophètes se lève de la nuit 
où les Techniciens du Sommeil l’avait endormie… 

 ( Extrait de Une armée de prophètes in Le Journal Intégral - 22/09/13)

mardi 19 avril 2016

Les Pionniers sont l'Evolution


Nous ne voyons pas le monde tel qu’il est mais tel que nous sommes. Anaïs Nin 


Chacun être humain, quel qu’il soit, est l’héritier d’une très longue histoire évolutive de 13,7 milliards d’années, ponctuée par trois « Big Bangs » ou saut qualitatifs reconnus mais encore largement inexpliqués par la science : la naissance de l’univers physique, l’apparition de la vie et l’émergence de la conscience. En se manifestant à travers une multiplicité de formes culturelles et sociales, de plus en plus complexes et intégrées au cours du temps, la conscience individuelle et collective a suivi divers stades de développement identifiés et cartographiés aussi bien par les sciences humaines que par les grandes traditions spirituelles. 

Comme l’écrit Alain Gauthier : « Ces différentes perspectives – égocentriques, ethnocentriques, géocentriques, cosmocentriques – sont présentes ou potentielles en chacun d’entre nous, bien que l’une d’entre elle tende à prédominer à un stade de notre vie, selon notre niveau de maturité. Elles correspondent à ce qu’Albert Einstein a appelé des « cercles croissants de compassion » : moi, le groupe qui m’est familier, l’espèce humaine, tous les habitants du monde et l’ensemble de l’univers. » 

Cette idée de développement, au cœur du vivant, fonde tout vision intégrale. Elle reste cependant nébuleuse, impalpable et très abstraite tant que l’on n’a pas compris que la dynamique de l’évolution s’incarne concrètement et charnellement, de manière passionnée et parfois tragique, à travers la vie et l’œuvre de ces Visionnaires évoqués dans notre dernier billet. Car si l’humanité évolue c’est grâce à l’initiative et à l’inspiration de ces individus mutants qui tracent des voies originales parce qu’ils sont animés d’une vision qu’ils cherchent à exprimer et à concrétiser. Connectés de manière intime et créatrice à la dynamique de l’évolution, ces pionniers imaginent, avant les autres, les formes novatrices à travers lesquelles cette force qui les anime va se manifester. 

Inventer le Futur


Le pionnier est en effet animé par une puissance créatrice qui lui permet de se libérer des limites, des contraintes et de l’emprise d’un passé qui condamne les autres à la répétition. A la force de son désir et de sa vision, il donne la forme d’une destinée et d'une création. Il avance, avec son intuition pour principale boussole, pointé du doigt par tous ceux qui restent les otages impuissants d'une perspective devenue largement inadaptée. Ces derniers jugent utopiques et irréalistes toutes les innovations qui échappent à leur habitudes de vivre et de penser. Jusqu’au moment où, les faits donnant raison à la vision créatrice des pionniers, ceux-ci sont suivis et imités par ceux-là même qui les avaient désignés et dénigrés quelques temps auparavant. 

Jean-François Noubel est un de ces pionniers qui chemine sur les voies aventureuses du futur. Nous avons consacrés plusieurs billets à ses recherches sur l’intelligence collective et la création de monnaies libres, dont on trouvera les références ci-dessous dans la rubrique Ressources. Pour concrétiser sa vision, J.F Noubel a quitté le système monétaire actuel dans sa vie personnelle pour expérimenter une économie du don fondée sur d’autres formes d’échanges. Sur un site intitulé The Transitionner (aujourd'hui désactivé) consacré au changement de paradigme, à l’intelligence collective, à la création monétaire et à la transition inéluctable vers un nouveau monde, J.F Noubel a écrit il y a une dizaine d’années un texte intitulé Pionniers où il évoquait le rôle fondateur de ceux qui préfèrent ouvrir des voies novatrices plutôt que d’imiter et de répéter le passé dans le confort et le conformisme des certitudes dépassées.

Ce texte peut inspirer toutes celles et ceux qui, se sentant les vecteurs inspirés d’une dynamique créatrice, participent intimement et intensément à ce mouvement évolutif qui concerne simultanément et d’une manière globale le développement individuel, la mutation culturelle et la transformation sociale. 

Pionniers. Jean-François Noubel 


Les pionniers sont ceux qui vont explorer de nouveaux mondes. Pour ce faire ils emploient toujours un vaisseau qui les emmène en des lieux inconnus. Lieux dans lesquels ils vont apprendre à vivre, trouver de nouvelles richesses, et rapporter ces dernières à "l'ancien monde". 

 La dynamique qui s'y rapporte est universelle, elle transcende époques et cultures. Les pionniers sont l'évolution. Les pionniers d'aujourd'hui jouent un rôle tout aussi essentiel dans l'évolution de l'humanité que par le passé. Ils s'en vont explorer et peupler de nouveaux espaces de la conscience. 

Qu'il s'agisse de nouveaux continents, comme on les a vus jusqu'au XXème siècle, ou de l'Homme du IIIème millénaire, les dynamiques demeurent exactement les mêmes. Il y a 500 ans, il fallait bien connaître les technologies de la navigation, les armes, la construction, la menuiserie, la chasse, etc. 

Aujourd'hui il faut savoir maîtriser l'Internet et ses technologies en réseau, il faut comprendre les structures profondes de l'être humain, le corps, la systémique, l'écologie, l'économie, le langage, l'inconscient, les arts, etc. 

Les pionniers ont une expertise dans au moins un domaine clé, expertise qu'ils associent à celle des autres. Les pionniers savent évoluer en territoire inconnu, dans lequel toute erreur peut s'avérer coûteuse, en même temps qu'elle est porteuse de leçons essentielles. 

Les pionniers sont donc extrêmement apprenants et adaptables. Ils ont également tous cette qualité indispensable, celle de pouvoir garder leur structure de conscience en "milieu hostile", lorsqu'aucune matrice sociale à l'extérieur n'est là pour les y aider. Ils savent conserver leur intégrité et leur vision alors que tout, autour d'eux, est antinomique, voire hostile.


Enfin, devant toute chose, la première qualité des pionniers, c'est qu'ils se sentent faits pour cela. Tout le monde n'est pas pionnier. En fait, peu de personnes le sont, du fait de l'ensemble des qualités spécifiques demandées. Il n'y a aucun mal à cela, l'écosystème humain demande beaucoup d'autres profils humains pour exister. 

Pour découvrir de nouveaux mondes, les pionniers ont besoin d'un vaisseau. Il y a 500 ans, c'étaient des navires. Aujourd'hui, ce sont des organisations humaines qui permettront à nos pionniers modernes d'explorer et installer l'humanité de demain, d'apprendre comment on y vit, comment on y prend les décisions, comment le local, dans son infinie diversité, peut s'harmoniser et être en cohésion avec le global. 

Ces pionniers explorent comment il est possible de créer des organisations globales dirigées par la sagesse, et comment les habiter. L'individu y est autant au centre que l'humanité toute entière, sans que chacun existe au détriment de l'autre. Les pionniers d'aujourd'hui ont besoin de solides connaissances en intelligence collective, sur le plan théorique et pratique. 

Pas plus qu'un corps vivant ne saurait naître sans ses premières cellules souches, aucune organisation ne peut fondamentalement évoluer si elle n'a pas ses pionniers. 

Ressources 


Dans Le Journal Intégral : Les Monnaies Libres (22/9/11) - Les Monnaies Libres (2) Un paradigme post-capitaliste (27/9/11) - Les Monnaies Libres (3) Un paradigme post-capitaliste (fin) (30/9/11) - La Cigale et la Fourmi 2.0 (23/8/13)

Le Leadership évolutionnaire - Les Visionnaires - Le Grand Récit de l’Évolution

vendredi 1 avril 2016

Les Visionnaires


"Au-dessus de l'époque même, bien que coexistant avec elle, certains esprit font déjà partie de l'époque suivante, celle qui n'est pas encore mais devient." Roger-Gilbert Lecomte 


Les Visionnaires sont le cœur battant du développement humain. Qu’on les nomme poètes, artistes, sages, savants, créateurs, leaders, penseurs, leur sensibilité extralucide perçoit, à travers la maille aveuglante des évidences, le présent tel qu’il est et l’avenir tel qu’il se dessine. 

Le Visionnaire se libère des évidences en s’abandonnant à une inspiration qui transfigure les mots d’ordre en mots de passe. S'il est la voix d’une complexité indicible c'est que sa vision est tissée de mille liens invisibles. Car il n’est d’intelligence que collective et de sensibilité qu’organique : toute expression qui se croit originale a en fait pour origine le génie commun propre à une collectivité humaine, dont elle est une formulation singulière. 

Le Visionnaire vit à hauteur d’une inspiration qu’il puise dans cette conscience collective liée à une communauté d’âme et d’esprit. Sa vie, sa parole, ses textes sont l’expression d'un contexte à la fois humain et naturel, culturel et spirituel dont il est le traducteur singulier et l’interprète emblématique. 

Profondément impliqué dans le mouvement évolutif de l’époque, le Visionnaire est habité par une présence qui impressionne les voix du futur. Il ne se contente pas d’inventer des voies nouvelles : sa lucidité éclaire un présent hanté par un passé dont il exorcise les ombres. 


Aventurier, transgresseur d’orthodoxie, profanateur des habitudes, explorateurs de contrées inconnues, le Visionnaire incarne l'avenir, animé par la puissance créatrice de son intuition. Sa devise  est celle de Sénèque : "Ce n’est pas parce que c’est impossible que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas que c’est impossible". 

Beaucoup de ceux que le sociologue Talcott Parsons nomme les « Marginaux Centraux » ont été montrés du doigt par leur époque, parfois persécutés pour crime d'intensité contre le conformisme ambiant, avant d’être reconnus, souvent après leur mort, comme des figures incontournables. 

Leur chemin suit toujours les trois étapes à travers lesquelles passe toute vérité selon Schopenhauer : "D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle est considérée comme ayant toujours été une évidence". Nombre d'entre eux ont anticipé la crise évolutive que nous traversons ainsi que la mutation profonde, à la fois anthropologique et culturelle, dont elle est la manifestation.

Le visionnaire c’est Nelson Mandela déclarant lors de son investiture à la présidence de l’Afrique du Sud : "C’est notre lumière, pas notre obscurité qui nous effraie le plus. Nous nous demandons : qui suis-je pour être brillant, merveilleux, talentueux, fabuleux ? En fait, qui sommes-nous pour ne pas l'être ? Jouer petit ne sert pas le monde." 

C’est Charles de Gaulle, guidé par une certaine idée de la France, qui refuse le conformisme de la résignation pour tracer un autre destin par la force du courage et de la volonté. 

C'est Martin Luther King faisant pour la minorité noire un rêve qu'il paya de sa vie. 

C'est Gandhi brisant l'hypnose de la violence mimétique en démontrant la puissance créatrice de l'esprit face au pouvoir dominant : " Vous devez être le changement que vous désirez voir dans le monde". 

C’est le poète et résistant René Char pour qui "ce qui vient au monde pour ne rien troubler ne mérite ni égard ni patience". Il nous faut donc "agir en primitif et prévoir en stratège" dans "un monde à l’agonie qui s’obstine à parer son crépuscule des teintes de l’aube de l’âge d’or". 

C’est Antonin Artaud dont le cri se fait imprécation contre le fétichisme de l'abstraction et dont les avertissements sont d'une furieuse actualité : "La poésie que vous ne mettez pas dans vos vies vous reviendra sous la forme de crimes effroyables; et jamais on aura vu tant de crimes dont la bizarrerie gratuite ne s'explique que par notre impuissance à posséder la vie."

C’est Arthur Rimbaud, archétype du poète visionnaire : "Je dis qu'il faut être voyant, se faire voyant. Le poète se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ". 

C’est Georges Bernanos - écrivain catholique et inspiré - qui affirme : " On ne comprend absolument rien à la civilisation moderne si l'on n'admet pas tout d'abord qu'elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure".

C'est René Guénon, grand penseur de la Tradition, qui considère notre époque comme une exception : "La civilisation moderne apparaît dans l'histoire comme une véritable anomalie : de toutes celles que nous connaissons, elle est la seule qui se soit développée dans un sens purement matériel, la seule aussi qui ne s'appuie sur aucun principe d'ordre supérieur." 

C'est André Gide nous avertissant de l'inversion des valeurs née de cette anomalie : " Dans un monde où tout le monde triche, c'est l'homme vrai qui fait figure de charlatan."

C'est Jacqueline Kelen qui s'insurge : " Notre monde crève parce que nous manquons de prophètes, terme qui, je le rappelle, peut s’employer au féminin. Nous manquons de personnes qui rappellent la dimension verticale de l’humain." 

Albert Camus
C’est Albert Camus déclarant à la remise de son prix Nobel :  " Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse".

C’est Walter Benjamin qui nous avertit : "L'humanité est devenue assez étrangère à elle-même pour réussir à vivre sa propre destruction comme une jouissance esthétique de premier ordre". 

C’est Jean-François Brient qui, en exergue de son film La servitude volontaire, dit tout haut ce que beaucoup n’osent même pas penser : "Mon optimisme est basé sur la certitude que cette civilisation va s’effondrer. Mon pessimisme sur tout ce qu’elle fait pour nous entraîner dans sa chute".

C’est Michel Henry, inventeur d'une phénoménologie de la vie, qui dénonce l’emprise de la technique : "En tant qu’elle met hors-jeu la vie, ses prescriptions et ses régulations, elle n’est pas seulement la barbarie sous sa forme extrême et la plus inhumaine qu’il ait été donné à l’homme de connaître, elle est la folie. Ce n’est que peu à peu que nous prendrons la mesure de ce qu’implique dans notre monde, c’est-à-dire dans la vie des hommes, la mise hors jeu de la vie elle-même."

C’est Nietzsche, prophète de l’élan vital, qui invente une éthique pour temps de crise : " Ce qui ne tue pas rend plus fort" avec Hölderlin qui lui fait écho : "Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve". 

C'est le sociologue Max Weber expliquant le désenchantement du monde comme la conséquence du "passage d'une économie du salut au salut par l'économie". 

C’est Karl Marx qui analyse avec une féroce lucidité l’idéologie bourgeoise fondée sur le fétichisme de la marchandise : " Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce"

Raoul Vaneigem
C’est le situationniste Raoul Vaneigem considérant que, dans un monde qui se détruit, la création est la seule façon de ne pas se détruire avec lui : "Nous sommes dans le monde et en nous-mêmes au croisement de deux civilisations. L’une achève de se ruiner en stérilisant l’univers sous son ombre glacée, l’autre découvre aux premières lueurs d’une vie qui renaît l’homme nouveau, sensible, vivant et créateur, frêle rameau d’une évolution où l’homme économique n’est plus désormais qu’une branche morte… Seule la puissance imaginative, privilégiée par un absolu parti pris de la vie, réussira à proscrire à jamais le parti de la mort, dont l'arrogance fascine les résignés". 

C’est Guy Debord, son alter-ego situationniste, dévoilant les illusions de la société du spectacle : " L'économie transforme le monde, mais le transforme seulement en monde de l'économie."

C’est Kenneth Boulding qui se moque de l'économisme dominant en évoquant le caractère totalement dément d’une société qui fait de la croissance économique sa référence ultime : "Celui qui croit que la croissance peut être infinie dans un monde fini est soit un fou, soit un économiste".

C'est le romancier Michel Houellebeq qui décrit avec minutie l'abîme existentiel et le gouffre moral de l'Homo Œconomicus, cet homme sans foi ni loi, réduit au calcul et à la satisfaction de ses intérêts égoïstes. 

C’est Henry Thoreau, ce pionnier de l’abondance frugale proclamant dans sa cabane de Walden : "On est riche de tout ce dont on peut se passer".

C’est Krisnamurti estimant que ce n’est pas un signe de bonne santé que d'être bien adapté à une société profondément malade. 

C’est Francis Blanche dont le rire jubilatoire nous indique qu’"il vaut mieux penser le changement que changer le pansement".

C’est Michel Mafessoli, arpenteur subtil d’une post-modernité née de la synergie entre la technique et l’archaïque. Celui qui sait mettre en mots et en idées l’air du temps observe que ce sont les outsiders qui triomphent toujours sur la longue durée : "l’anomique d’aujourd’hui devient le canonique de demain".

C’est Wilhelm Reich, chassé par les freudiens, traqué par les nazis puis emprisonné par l’administration américaine, redécouvrant en occident les voies d’une énergétique qui fonde, en orient, des cultures millénaires. 

Edgar Morin
C’est Edgard Morin, penseur de la complexité, qui explique comment viennent les grandes solutions dans l'histoire de l'humanité : par la jonction d'un courant profond et inconscient qui traverse des milliers d'individus, et des idées hyper conscientes qui jaillissent de quelques esprits. 

C'est Arnaud Desjardins affirmant le caractère inéluctable d'une évolution culturelle : "Le salut ne peut venir que d'un bouleversement culturel radical, totalement imprévu pour l'instant, mais qui commence à germer dans les mentalités d'innombrables hommes et femmes, emportés par le courant général dans une direction où ils ne veulent plus aller.

C’est l’anthropologue Margaret Mead affirmant le rôle primordial des avant-gardes et des minorités créatives dans l’évolution humaine : "Ne doutez jamais qu'un petit groupe d'individus conscients et engagés puisse changer le monde. C'est même de cette façon que cela s'est toujours produit".

C’est Roger Gilbert-Lecomte, un des poètes de la revue Le Grand Jeu, affirmant : "Je ne reconnaîtrai jamais le droit d'écrire ou de peindre qu'à des voyants. C'est-à-dire à des hommes parfaitement conscients et désespérés qui ont reçu le mot d'ordre "Révélation-Révolution", des hommes qui n'acceptent pas, dressés contre tout, et qui, lorsqu'ils cherchent l'issue, savent pertinemment qu'ils ne la trouveront pas dans les limites de l'humain".

C'est le poète Jean Cocteau donnant au créateur le statut de pionnier et de précurseur : "Lorsque une œuvre semble en avance sur son époque, c'est simplement que son époque est en retard sur elle." 

Ce sont les Surréalistes et leurs fameux "papillons" : " Vous qui ne voyez pas, pensez à ceux qui voient."

C'est le peintre russe Kandinsky inventant un art abstrait surgi de ses pinceaux d'or pour nous apprendre à "voir l'invisible."

C’est Albert Einstein théorisant le saut de conscience qualitatif que doit effectuer l’humanité : "Aucun problème ne peut être résolu sans changer le niveau de conscience qui l'a engendré… Il devient indispensable que l’humanité formule un nouveau mode de pensée si elle veut survivre et atteindre un plan plus élevé".

C'est son confrère, le physicien Max Planck, qui reconnaît (avec humour) dans la puissance des habitudes, l'inertie des mentalités et le conformisme des institutions les plus fortes des résistance à la dynamique de l'évolution culturelle : "La vérité ne triomphe jamais mais ses adversaires finissent par mourir". 

C'est Goethe qui, pour face à cette inertie, nous exhorte à mobiliser la puissance créatrice de l'intention et de l'engagement : " Quelque soit la chose que vous pouvez faire ou que vous rêver de faire, faîtes-le. L'audace a du génie, de la puissance et de la magie."

C'est Hegel qui lui fait écho : " On ne saurait rien attendre de trop grand de la force et du pouvoir de l'esprit."

C’est le philosophe Henri Bergson dont la pensée évolutionnaire préfigure l’alliance synthétique entre la vigueur créatrice de l’intuition et la rigueur conceptuelle de l’analyse.

C’est le physicien et philosophe Marc Halévy qui renoue le dialogue interrompu entre physique et métaphysique en évoquant une nouvelle cosmologie de l’émergence issue du paradigme de la complexité pour lequel "tout est lié" : "L'univers lui-même doit être vu comme un vaste organisme vivant où tout est dans tout, où tout est interdépendant de tout, où tout est cause et effet de tout, où tout évolue avec tout".

Sri Aurobindo
C’est Sri Aurobindo décrivant les principes d’une anthropologie évolutionnaire : "Quand nous avons dépassé les savoirs, alors nous avons la Connaissance. La raison fut une aide; la raison est l'entrave. Quand nous avons dépassé les jouissances, alors nous avons la Béatitude. Le désir fut une aide; le désir est l'entrave. Quand nous avons dépassé l'individualisation, alors nous sommes des Personnes réelles. L'ego fut une aide; l'ego est l'entrave. Quand nous dépasserons l'humanité, alors nous serons l'Homme. L'animal fut une aide; l'animal est l'entrave"

C’est son disciple Satprem, revenant de l’enfer des camps, qui voit dans l’expérience vécue du dénuement absolu le paradigme d’une crise évolutive qu’il décrit ainsi : "On n’est pas dans une crise morale, on n’est pas dans une crise politique, financière, religieuse, on est dans une crise évolutive. On est en train de mourir à l’humanité pour naître à autre chose". 

C’est le philosophe américain Ken Wilber synthétisant une centaine de modèles issus aussi bien des sciences humaines de l’occident que des connaissances traditionnelles de l’orient pour cartographier l’évolution de la conscience à travers des stades de complexité et d’intégration croissantes. " La souffrance disparaît, écrit-il, lorsque l'on réalise que les parties ne sont qu'illusions et que nous sommes depuis toujours un tout".

C'est Fabrice Midal qui, face à l'empire et à l'emprise de l'utilitarisme, ose affirmer : :" Je crois que la méditation est aujourd'hui la dernière grande chance révolutionnaire pour notre temps."

Les Visionnaires ce sont, partout et toujours, ceux dont l’élan d’âme, l’acuité intellectuelle et l’inspiration créatrice nous libèrent de nos limitations en nous révélant à notre propre créativité. Ce sont tous ceux qui par leur art, leur exemple ou leur génie, nous font rêver en nous connectant aux sources vibrantes de notre propre vision. Nous leur donnons la parole, en retour, ils nous rendent plus humains, c'est-à-dire créateurs de notre destinée. 

Car, enfin, le Visionnaire c’est vous ! Si vous osez... 

Quand votre regard intérieur, s’éveillant sur un paysage de source, vous incite à déserter l’armée des ombres pour retrouver le souffle créateur - vivifiant, décoiffant, renversant - de la vie/esprit.

Ressources

Nombre de citations dans ce texte font référence à divers billets publiés dans Le Journal Intégral. Le jeu récréatif consiste à retrouver dans Le Journal Intégral les textes dont sont tirées ces citations.

Dans le Journal Intégral, une série de trois billets intitulée Experts et Visionnaires : La Docte ignorance des experts (1) Intégrer la complexité (2) La fin d'un monde (3)