jeudi 12 mai 2016

Eveil à une Révolution Totale (1)


L’appel d’aujourd’hui est un appel à dépasser les cloisonnements, à nous éveiller à une révolution totale. Vimala Thakar 


En se manifestant à travers un évènement, la dynamique de l’évolution se cristallise en une forme qui devient ainsi, pour tous ceux qui savent l’interpréter, un signe des temps chargé de sens. Ainsi en est-il du mouvement Nuit Debout qui, depuis le 30 Mars, d’abord sur la place de la République à Paris puis dans de nombreuses villes de France jusqu'en Europe, apparaît comme le laboratoire d’une conscience collective portée par la jeunesse qui cherche à inventer et à imaginer de nouvelles formes d'organisation sociale en refusant de jouer le rôle des gens bons de service pris dans le sandwich de l’état d’urgence entre fondamentalismes marchand et religieux. 

Pour nourrir cette intelligence collective nous proposons au débat la réflexion de Vimala Thakar sur l’éveil à une révolution totale : « Lorsque les ténèbres recouvrent l’esprit de l’homme il est urgent pour ceux qui se sentent concernés de s’éveiller, de s’engager sur la voie d’une révolution… L’appel d’aujourd’hui est un appel à dépasser les cloisonnements, à nous éveiller à une révolution totale. Cet appel n’est pas en faveur des vieilles recettes révolutionnaires ; elles ont échoué, alors pourquoi les ressortir à nouveau, même parées d’une nouveauté factice ? Le défi d’aujourd’hui est de créer une révolution vitale et complètement nouvelle qui embrasse la vie toute entière. » 

Si la révolution prônée par Vimala Thakar est totale c’est qu’elle est à la fois intérieure et extérieure : elle ne concerne pas seulement l’organisation socio-politique mais naît de l’interdépendance entre le développement psycho-spirituel de l’individu, la mutation culturelle de la conscience collective et la transformation des structures sociales : « Nous devons nous rendre compte que l’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent subtilement en une totalité, et que nous ne pouvons faire face à l’un sans faire face à l’autre. Structures et systèmes conditionnent notre conscience intime, tandis que les conditionnements de notre conscience donnent vie aux structures et aux systèmes… A notre époque, être un chercheur spirituel dénué de conscience sociale est un luxe que nous ne pouvons guère nous permettre, et se dévouer à une cause sociale sans une compréhension scientifique des mécanismes du mental est pure folie. » 

Politique, culture et spiritualité 

Vimala Thakar
Les réflexions de Vimala Thakar sur cette révolution totale sont d’une actualité brûlante à l’heure où la conscience collective en évolution est en quête de nouvelles formes d'organisation sociale dans lesquelles elle puisse se reconnaître. Cette quête, telle qu'elle s'exprime notamment à travers Nuit Debout, fait apparaître les limites d’un activisme qui vise à changer les structures politiques sans de préoccuper du développement intérieur des individus qui y participent. Pour transcender ces limites, il faut participer de l'intérieur à la dynamique évolutionnaire qui concerne l'être humain dans sa totalité tout en se libérant du fétichisme de l'abstraction qui enferme l'individu moderne dans des séparations illusoires le réduisant ainsi à un simple Homo œconomicus.

Vimala Thakar qui fut tout d’abord une activiste politique a expérimenté – comme Sri Aurobindo – les impasses d’une action sociale qui l’ont conduit à une profonde remise en cause de ses certitudes. La rencontre de Krishnamurti a fait basculer son désir de révolution sociale en une exigence préalable de transformation personnelle. Le champ de sa parole et de son action s’est alors déplacé du plan politique à la recherche d’une libération intérieure pouvant servir de levier à une authentique transformation sociale. C’est ainsi qu’a commencé pour Vimala Thakar un long périple à travers le monde pour partager avec qui voulait l'entendre la voie d'un éveil intérieur. D'origine indienne, Vimala Thakar est un auteur connu dans les milieux anglophones pour ses ouvrages de spiritualité qui sont souvent la transcription des nombreuses conférences et échanges donnés tout au long de trente années de voyage dans le monde entier. Paru dans la traduction française du magazine américain EnlignthenNext, le texte ci-dessous est une traduction du livre de Vimala Thakar intitulé Spirituality and social Action : an holistic approach (Berkeley, 1984). 

La réflexion de Vimala Thakar vise à renouer les fils que la modernité a coupé entre politique, culture et spiritualité c’est-à-dire entre développement intérieur (subjectivité), évolution des codes culturels (intersubjectivité) et transformation sociale (systèmes objectifs). Une telle approche intégrale, et elle seule, est à même d’opérer le saut qualitatif nécessaire pour aborder le nouveau stade du développement humain correspondant à l’entrée dans l’ère de l’information. Il est évident qu’un tel discours va à l’encontre de nos conditionnements occidentaux où l’emprise que l’économie exerce sur le politique prend sa source dans le déni des formes supérieures de la conscience et de l'esprit communautaire explorées entre autres par l’esthétique, l’éthique et la spiritualité. 

La révolution à venir


A l'heure où, en manque de sens et d'absolu, une partie de la jeunesse se perd soit dans des addictions consuméristes, soit dans des dérives intégristes jusqu'à sombrer parfois dans des délires terroristes, nous nous trouvons dans un "État d'urgence spirituel" ainsi analysé par le philosophe Abdenour Bidar : " C'est bien une impasse de civilisation à laquelle nous aboutissons aujourd'hui, après deux siècles qui ont "surfé" sur la vague des progrès technoscientifiques et sociopolitiques impulsés par l'Occident. Aujourd'hui tout cela est hélas essoufflé, dévitalisé, et la prise de conscience se propage qu'il faut "ajouter un étage à la fusée" pour redynamiser nos progrès déjà acquis. Ce que j'appelle l'étage spirituel : un sens de la vie partageable par tous qui indique à la fois un projet de civilisation et pour chacun un trajet d'accomplissement personnel."

Une telle prise de conscience est effective dans l'émergence d'un mouvement citoyen mondial dont Patrick Viveret, penseur de convivialisme et créateur des Dialogues en humanité, est un des animateurs : « En ce moment, on est dans une phase très importante de renouveau des questions spirituelles, des enjeux de sens… Le problème est que la modernité, considérant que ces questions disparaîtraient un jour d’elles-mêmes, a laissé à la religion le monopole des questions spirituelles… Après une période où les questions spirituelles étaient renvoyées dans la sphère privée, je trouve positif qu’elles redeviennent des questions collectives… Donc le mouvement citoyen mondial en émergence rouvre aussi les questions spirituelles. En même temps, un enjeu passionnant est de trouver les façons nouvelles de créer un dialogue entre modernité et tradition, en gardant le meilleur de chacun. » 

Cet état d’urgence spirituel dans lequel nous nous trouvons doit donc nous conduire à intégrer le meilleur de la modernité – individuation, démocratie et rationalité – et le meilleur des traditions – compassion, esprit communautaire et spiritualité – dans une nouvelle synthèse. Dans un article intitulé Le Boudhisme et la révolution à venir paru en 1969, le poète et activiste Gary Snyder évoquait déjà cette révolution totale née de l'intégration de l'éveil spirituel et de la transformation sociale : " La révolution sociale a été la miséricorde de l'Occident; l'éveil personnel dans le soi fondamental, la vacuité, la miséricorde de l'Orient. Nous avons besoin des deux. Elles sont toutes les deux contenues dans les trois points traditionnels du chemin bouddhique : la sagesse (prajnâ), la méditation (dhyâna) et la moralité (sîla). La sagesse est la connaissance intuitive de l'esprit de bienveillance et de clarté qui gît sous les anxiétés et les agressions qu'opèrent l'ego. La méditation, c'est aller au fond de l'esprit pour voir tout cela pour soi-même - encore et encore, jusqu'à ce que cela devienne l'esprit où vous demeurez. La moralité, c'est ramener dans sa manière de vivre, par l'exemplarité personnelle et l'action responsable, et finalement jusque dans la véritable communauté (le sangha) de "tous les êtres" ".

Dans un billet sur la méditation intitulée Une Révolution silencieuse, nous évoquions la démarche du philosophe Fabrice Midal dont la pratique méditative renvoie à un engagement politique : " Mon engagement dans la méditation, je le pense comme un engagement politique. Je crois que la méditation est aujourd'hui la dernière chance révolutionnaire pour notre temps. Parce qu'il s'agit en méditant de cesser l'attitude de tout vouloir contrôler et tout dominer. C'est le problème majeur de monde." Cette révolution à venir évoquée aussi bien par Gary Snyder que par Vimala Thakar - et bien d'autres - est seule à même de transcender les impasses d’une pensée fragmentée et instrumentale, à l'origine de la crise évolutive que nous vivons, pour considérer l’être humain dans toutes ses dimensions, à la fois intérieures et extérieures, individuelles et collectives. Il s’agit de compléter, d'intégrer et dépasser cette convergence des luttes évoquée par les acteurs de la Nuit Debout par une lutte pour la convergence de la conscience, de la culture et de la société dans une même dynamique évolutionnaire. C’est ainsi que l’on sortira de la nuit debout pour entrer dans l’aube d’une ère nouvelle en se souvenant que, comme le disait Khalil Gibran : « Nul ne peut atteindre l’aube sans passer par le chemin de la nuit. » 

S’éveiller à une Révolution Totale. Vimala Thakar 


En un temps où la question de la survie de l’espèce humaine est devenue une préoccupation majeure, entretenir le statu quo revient à coopérer avec l’absurde, voire à contribuer au chaos. Lorsque les ténèbres recouvrent l’esprit de l’homme il est urgent pour ceux qui se sentent concernés de s’éveiller, de s’engager sur la voie d’une révolution. 

L’habileté de l’esprit humain nous a menés droit vers une crise complexe, globale et terrifiante à laquelle nous sommes maintenant confrontés. Les solutions courantes, fondées sur une perspective limitée de ce qu’est l’être humain, échouent l’une après l’autre, et se révèlent tragiquement inadaptées. Pourtant nous mobilisons d’énormes ressources au profit de solutions inadéquates, pariant sur le fait que si nous les développons sur une échelle assez grande, ces solutions caduques pourront répondre aux nouveaux défis de façon satisfaisante. 

Avons-nous le courage de regarder nos échecs en face et de les reléguer dans le passé ? Avons-nous la vitalité nécessaire pour aller au-delà d’une perspective étroite et conditionnée, afin de nous ouvrir à la totalité, à la plénitude ? L’appel d’aujourd’hui est un appel à dépasser les cloisonnements, à nous éveiller à une révolution totale. Cet appel n’est pas en faveur des vieilles recettes révolutionnaires ; elles ont échoué, alors pourquoi les ressortir à nouveau, même parées d’une nouveauté factice ? Le défi d’aujourd’hui est de créer une révolution vitale et complètement nouvelle qui embrasse la vie toute entière. 

Nous n’avons jamais osé nous ouvrir à la plénitude de cette vie dans toute sa splendeur sacrée ; nous nous sommes contentés d’en perpétuer des fragments, d’isoler des zones dans lesquelles nous nous sentons en sécurité d’un point de vue intellectuel et à l’aise sous l’angle émotionnel. Nous aurions même pu préserver nos petits espaces privés et rassurants si nous n’avions pas, par la même occasion, causé ce terrible gâchis en tentant à toute force de fragmenter l’intégrité du cosmos en morceaux minuscules. 

Nous avons créé un affreux chaos et tentons de démêler une situation très complexe en combinant les remèdes les plus superficiels sans aucun souci de cohérence. Aujourd’hui, nos existences marquées par les blessures de nos échecs, et nos esprits alourdis par la peur de l’avenir, nous ne pouvons plus poursuivre le jeu dangereux du cloisonnement. Nous ne pouvons plus écarter l’évidence du lien universel qui nous rattache les uns aux autres, égaux dans l’unité. 

La science et la technologie nous ont rapprochés dans des relations intimes avec tous les autres. Nous sommes une seule et même famille humaine, une famille qui n’a pas encore appris à vivre en paix, à vivre libérée de la violence et de l’asservissement. C’est au début du siècle dernier que Bertrand Russell écrivait : « L’homme sait voler dans les airs comme un oiseau, il sait nager dans l’eau comme un poisson, mais il ne sait pas vivre parmi ses frères. » 

Pénétrer les Racines du Conflit 


Bien que notre survie même soit en question, nous avons tendance à n’envisager cette crise que sous un jour superficiel, sur un plan émotif et sentimental. Nous avons cherché de façon subtile à rejeter notre profonde responsabilité dans la situation de la famille humaine. Nous nous percevons, nous-mêmes ou le petit groupe auquel nous nous identifions, comme des gens sincères, aimant la paix, tandis que nous rejetons sur le monde extérieur, sur les autres, sur les méchants assoiffés de pouvoir, la responsabilité des guerres et de la violence. Mais comment pouvons-nous continuer à penser ainsi, alors que nous appartenons à des sociétés qui sont préparées à la guerre ? 

Cependant, c’est bien ce que nous faisons. Chaque jour, la télévision, la radio nous apprennent l’existence de nouvelles guerres, de massacres dans tel ou tel pays, et nous ressentons l’absurdité qu’il y a dans le fait même de se lancer dans une guerre ; nous nous demandons pourquoi politiciens et hommes d’État n’ont pas assez de bon sens pour mettre un terme à tout ce gâchis. Telle est peut-être la réaction de tout citoyen sensé. Mais qui déclare la guerre ? Où sont les racines de l’agression ? Ne les trouve-t-on que dans l’esprit d’une poignée d’individus gouvernant leurs pays respectifs ? Ou bien trouve-t-on ces racines dans les systèmes - économiques, politiques, administratifs, industriels - que nous avons créés et avons fait perdurer depuis des siècles ? 

Si nous ne nous perdons pas dans le romantisme et la sentimentalité, si nous ne nous contentons pas de réactions émotives pour exprimer à quel point les guerres sont affreuses, mais si nous allons plus profond, ne découvrirons-nous pas le noyau de la guerre au cœur des structures que nous avons acceptées ? Cette découverte montrera qu’il existe des structures et des systèmes qui sont inévitablement porteurs des germes de l’agression, de l’exploitation et de la guerre. Nous avons accueilli l’agression comme mode de vie. Nous créons et nous nous retranchons derrière des structures qui aboutissent au conflit. Il est impossible de conserver les structures, et d’éviter les guerres. Vous et moi, individuellement, devons réaliser notre degré de responsabilité, comprendre comment nous coopérons avec ces systèmes et, de ce fait, participons à la violence et à la guerre. Il nous faut alors réfléchir à la question de savoir si nous pouvons cesser de collaborer avec le système, si nous pouvons cesser de participer à la guerre et explorer une manière toute différente de vivre pour nous-mêmes. 

Nous devons plonger aux racines du problème, au cœur de la psyché humaine, et reconnaître que l’action sociale collective trouve sa genèse dans l’action menée par l’individu. On ne peut pas séparer l’individu de la société. Nous sommes chacun porteur de la société lorsque nous cautionnons les valeurs défendues par elle, lorsque nous avalisons les priorités définies en notre nom par les gouvernements, les États, les partis politiques. Nous sommes le reflet de la collectivité, reproduisant le schéma créé pour nous, et nous sommes satisfaits parce qu’on nous donne la sécurité physique et économique, le confort, les loisirs et le divertissement. On nous a appris à être obsédés par l’idée de sécurité ; l’appréhension du lendemain nous hante bien plus que la conscience de la responsabilité d’aujourd’hui. 

Au-Delà de la Fragmentation

C’est seulement si nous avons le désir profond de regarder ces faits désagréables en face que nous pourrons avancer. Mais si nous nous laissons aller à l’apitoiement sur nous-mêmes, à la dépression, une telle attitude peut nous conduire au cynisme vis-à-vis des autres et du système. De plus, libérer une énergie si négative n’aidera en aucun cas à résoudre les problèmes. Nous devons nous en tenir aux faits tels qu’ils sont. Que cela nous plaise ou non, nous sommes les acteurs responsables de tout ce qui se passe dans le monde. Si nous permettons à la violence de résider dans notre cœur, rien ne nous distinguera d’une personne qui veut la guerre; si, psychologiquement, nous donnons libre champ à la violence, nous devenons participants. 

Si nous avons réellement le désir d’en finir avec la guerre, nous allons devoir explorer en profondeur la psyché humaine, à l’endroit où la violence, l’ambition et la jalousie sont puissamment ancrées ; sinon, nous ne pourrons pas sortir de ce chaos. Un échec dans ce domaine équivaudrait à nous condamner à répéter éternellement les lamentables erreurs du passé.

Nous devons nous rendre compte que l’intérieur et l’extérieur s’interpénètrent subtilement en une totalité, et que nous ne pouvons faire face à l’un sans faire face à l’autre. Structures et systèmes conditionnent notre conscience intime, tandis que les conditionnements de notre conscience donnent vie aux structures et aux systèmes. Nous ne pouvons isoler une seule facette de la relation, lui donner un aspect brillant, et ignorer le reste. La puissance des conditionnements sociaux est si fortement ancrée qu’elle ne permet pas qu’on l’ignore. 

On trouve traditionnellement deux approches distinctes ; l’une prend pour perspective le domaine social, économique et politique et affirme : « Vous voyez bien qu’à moins de résoudre les problèmes économiques et politiques, il n’y aura jamais ni bonheur, ni paix, ni terme à la souffrance. Il y va de la responsabilité de chacun de s’engager à résoudre ces problèmes selon une idéologie ou une autre. Il n’est pas important de se tourner vers la vie intérieure et ses déséquilibres, ses impuretés, cela peut attendre parce qu’il s’agit d’une activité égotiste, centrée sur soi. La vraie responsabilité est vis-à-vis de la société, de l’espèce humaine : laissez donc de côté toutes ces questions de méditation, de silence, de transformation intérieure à visée révolutionnaire, tous ces raisonnements sophistiqués. Tournez-vous d’abord vers ce qui est important. » L’autre approche affirme : « On ne peut pas résoudre les problèmes politiques et économiques si on ne transforme pas radicalement l’individu. Concentrez votre attention sur votre mutation psychologique, sur une révolution intérieure radicale. Quant aux problèmes économiques ou sociaux, ils peuvent attendre. » 

Classiquement, les gens suivent l’une ou l’autre de ces approches: soit les groupements religieux axés sur le développement intérieur et la révolution intérieure, soit les groupements humanitaires axés sur l’action sociale. Traditionnellement, nous avons créé des limites et l’exploration au-delà de ces territoires bien connus n’a été que superficielle ; les activistes sociaux ont délimité leur terrain d’action : la vie extérieure (le socio-économique, les structures politiques), et les groupes religieux ont délimité le leur – le monde intérieur des dimensions plus vastes de la conscience, les expériences transcendantales et la méditation. 

Un nouveau défi


Les deux groupes ont fait preuve de mépris l’un vis-à-vis de l’autre au fil de l’histoire. Les activistes considèrent les chercheurs spirituels comme des gens qui s’apitoient sur leur sort, tandis que les ‘spirituels’ accusent les activistes de se perdre dans la course à l’action, niant l’essence de la vie. Les maîtres spirituels traditionnels eux-mêmes ont divisé la vie entre ce qui appartient au monde extérieur et ce qui appartient à la spiritualité, insistant sur le fait que le monde n’est qu’illusion. « Ce monde est maya, il n’est qu’apparence » disent-ils. « Ainsi, toutes vos actions doivent-elles être reliées à la vérité suprême, non à la maya ». Ce qui implique qu’une personne dite religieuse peut rester assise en méditation dix heures par jour et n’être en rien concernée par la tyrannie, l’exploitation et la cruauté qui l’entourent. Elle n’a qu’à dire : « Je ne suis pas responsable, seul Dieu est responsable. Dieu a créé le monde. Il ou Elle n’a qu’à s’en occuper. » 

Il y a bien eu quelques mélanges superficiels - on a vu des groupes religieux entreprendre des actions de service social et des activistes rejoindre des organisations religieuses - mais aucune intégration réelle qui soit profonde et innovante, de l’action sociale et du spirituel n’a encore eu lieu de façon significative. L’histoire du développement humain a été fragmentaire, et la majorité d’entre nous s’est accommodée de ce morcellement. La société l’a ratifié. Chaque parcelle de la société fonctionne selon ses propres échelles de valeurs. 

Chez beaucoup d’activistes, la colère, la haine, la violence, l’amertume et le cynisme sont des valeurs admises même si l’efficacité de telles motivations pour créer un monde de paix a été sérieusement mis en question. Et on a vu des générations de chercheurs spirituels rester complètement indifférents aux besoins des plus pauvres, parce que la recherche d’états de conscience plus élevés leur semblaient beaucoup plus importante que la misère des populations affamées. 

Un nouveau défi nous attend à l’aube du vingt et unième siècle : aller au-delà de la fragmentation, au-delà des systèmes de valeurs incompatibles - même s’ils ont été élaborés par des gens sérieux ; grandir, être prêt à dépasser notre approche auto-satisfaite, nous ouvrir à la vie complètement, accueillir une complète révolution. A notre époque, être un chercheur spirituel dénué de conscience sociale est un luxe que nous ne pouvons guère nous permettre, et se dévouer à une cause sociale sans une compréhension scientifique des mécanismes du mental est pure folie. 

Aucune de ces approches fragmentaires n’a jamais été couronnée de succès. Nul doute qu’il faudra au chercheur spirituel faire un effort pour développer sa conscience sociale, ou à l’activiste pour se persuader de la crise morale que traverse la psyché humaine, et de l’importance de la vigilance quant à la vie intérieure. Le défi qui nous attend est de plonger encore plus profond, en tant qu’êtres humains, d’être prêts à abandonner nos partis pris et nos préférences, à étendre notre compréhension à l’échelle la plus globale, intégrant ainsi la totalité de la vie ; devenir conscients, enfin, de cette plénitude dont nous sommes une manifestation. 

(Suite et fin du texte dans le prochain billet...

Ressources

S’éveiller à une révolution totale. Vimala Thakar. EnlightenNext France. Cet article est une traduction d’extraits du livre de Spirituality and Social Action : A Holistic Approach (V. Thakar, Berkeley, 1984). 


Vimala Thakar Ce site a pour but de faire connaître Vimala Thakar, son enseignement, sa bibliographie. Traduits par « les amis de Vimala», ces textes sont mis gracieusement à la disposition des lecteurs sous forme de fichiers pdf téléchargeables pour permettre aux chercheurs francophones d’avoir accès à l’enseignement de Vimala Thakar. 

Biographie de Vimala Thakar par Alain Delaye

La révolution à venir  Gary Snyder. Site Zen Occidental

2 commentaires:

  1. Parfaitement juste - nous y sommes déjà, à ce labeur du soleil

    http://www.audiocite.net/livres-audio-gratuits-planete-actuelle/sandro-candor-lart-du-boycott-de-longue-duree.html

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  2. Très beau texte de Sandro Candor dit avec une grande justesse par Vincent Planchon. Une autre manière d’évoquer la Révolution Totale, inspirée par l’esprit du temps, que je vous recommande… Prenez 14 minutes de votre temps pour aller à la rencontre de cette flamme qui vous anime et parfois vous brûle... Merci pour cette rencontre.

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