jeudi 30 mars 2017

Incitations (7) Servitude et Libération


Ce n’est pas l’économie qui est en crise, c’est l’économie qui est la crise ; ce n’est pas le travail qui manque, c’est le travail qui est en trop. Le Comité Invisible


Dans ce billet, comme nous le faisons régulièrement dans la série intitulée "Incitations", nous proposerons, sous forme d'aphorismes et de fragments écrits au fil des jours, des éléments de réflexion et d’intuition qui font écho aux thèmes développés par ailleurs, de manière plus systématique, dans Le Journal Intégral. De par leurs concisions, aphorismes et fragments synthétisent la pensée et formalisent l’intuition en éveillant chez le lecteur une résonance intérieure qui mobilise sa conscience et fertilise son imaginaire. 

Nous aborderons dans ce billet les thèmes de la servitude en général et de l’économie en particulier comme extension du domaine de la servitude à travers le travail aliéné. Cette approche participe d'une "vision intégrale" qui associe libération spirituelle, mutation culturelle et transformation sociale. C'est dans cet esprit que nous proposerons quelques citations d’auteurs qui ont été des pionniers sur cette voie novatrice.

Les lecteurs nouveaux ou intermittents pourront approfondir ces réflexions susceptibles de heurter la doxa et les préjugés dominants - notamment en ce qui concerne l'économie et travail - en se référant aux liens proposés ci-dessous dans la rubrique Ressources. L'exploration de ces liens permet de comprendre le contexte dans lesquelles se développe un mouvement évolutionnaire, porteur d'une nouvelle "vision du monde", qui intègre de manière dynamique les dimensions de la conscience (subjectivité), de la culture (intersubjectivité) et de la société ( structures objectives de l'organisation collective). 


La pratique de ce que les bouddhistes nomment la "pleine conscience" est en plein essor. Sans doute pour compenser la pratique de la "pleine inconscience" promue par la société du spectacle qui tend à remplir le vide existentiel par une consommation compulsive. 

La bêtise est l’art de transformer ses habitudes en certitudes. 

La bêtise est toujours sûre et certaine. C’est d’ailleurs à cela qu’on la reconnaît. Pensée close sur elle-même, fermée à l’altérité, la bêtise se protège du doute par le barbelé des certitudes. Et ce, alors même qu’une pensée véritable, animée par un élan créateur, se décentre des certitudes et se libère des évidences pour découvrir et inventer de nouveaux chemins. 

Parce que, selon Nietzsche, la philosophie sert à nuire la bêtise, cette dernière ridiculisera toujours les efforts de réflexion qui libèrent de l’ignorance et dévalorisera les élans spirituels qui transcendent les pulsions primaires.

La bêtise n'est pas une erreur, ni un tissu d'erreurs. On connaît des pensées imbéciles, des discours imbéciles qui sont faits tout entiers de vérités; mais ces vérités sont basses, sont celles d'une âme basse, lourde et de plomb. La bêtise et, plus profondément, ce dont elle est le symptôme: une manière basse de penser. Gilles Deleuze 

La plus belle réussite des dominants est sans doute d’avoir fait croire aux exploités à cette bêtise qu’est la dignité du travail. Sincèrement, quelle dignité y a t’-il à se vendre ? « L’esclavage c’est la dignité » tel est le slogan orwellien diffusé par la propagande officielle. Un slogan très proche de celui que l’on trouvait sur le portail d’Auschwitz : "Arbeit macht frei"  c’est-à-dire "Le travail rend libre ". Non, désolé, le travail ne rend pas libre. Il détruit l’intensité, la profondeur et la qualité de la vie concrète en la réduisant à une survie économique indexée sur l’échange marchand. 

S'il existe une manifestation de la bêtise contemporaine, c'est bien cette confusion entre l'activité humaine qui, de tout temps, permet de subvenir aux différents besoins humains - des plus matériels aux plus spirituels - et le travail aliéné, ce mécanisme fondamental de la grande machine capitaliste qui produit du quantitatif, l'argent, avec du qualitatif : la vie humaine.

Dans les sociétés capitalistes qui l'ont inventé, le travail ne vise pas à l’usage personnel et collectif. Il transforme la force vitale, qualitative et créatrice de l'être humain en une marchandise comme les autres qui s’achète et se vend sur le "marché du travail" comme il existait autrefois un marché aux esclaves. 

La bourgeoisie a joué dans l'histoire un rôle éminemment révolutionnaire. Elle a noyé les frissons sacrés de l'extase religieuse, de l'enthousiasme chevaleresque, de la sentimentalité petite-bourgeoise dans les eaux glacées du calcul égoïste. Elle a fait de la dignité personnelle une simple valeur d'échange; elle a substitué aux nombreuses libertés, si chèrement conquises, l'unique et impitoyable liberté du commerce. En un mot, à la place de l'exploitation que masquaient les illusions religieuses et politiques, elle a mis une exploitation ouverte, éhontée, directe, brutale. Karl Marx.

Si le capitalisme valorise le travail sur le plan éthique, c’est bien parce que son exploitation est au cœur de l’accumulation du capital. Cette valorisation éthique du travail n’est qu’une transposition dans le domaine culturel d'une valorisation économique qui provient de son exploitation. Remettre en cause et en question cette "éthique de l'aliénation" c’est déconstruire la façon dont l'individu intériorise les contraintes et l'imaginaire du capitalisme.

Marx n'était pas marxiste si on conçoit le marxisme, selon la célèbre formule de Michel Henry, comme "la somme de tous les contre-sens qui ont été faits sur Marx". Loin de célébrer l'idolâtrie du travail, Marx écrivait ceci à propos des travailleurs : 

« Sur leur bannière, il leur faut effacer cette devise conservatrice :" Un salaire équitable pour une journée de travail équitable", et inscrire le mot d’ordre révolutionnaire : "Abolition du salariat !" » Karl Marx


Dans son fameux livre Le droit à la paresse, Paul Lafargue, gendre de Marx, analyse ainsi cette "étrange folie" qui s'empare de la classe ouvrière quand la servitude volontaire se transforme en passion moribonde pour le travail : " Une étrange folie possède la classe ouvrière des nations où règne la civilisation capitaliste... Cette folie c'est l'amour du travail, la passion moribonde du travail poussée jusqu'à l'épuisement des forces vitale de l'individu et de sa progéniture ".

Pour mieux comprendre cette folie évoquée par Lafargue, sans doute faut-il lire Le discours de la servitude volontaire écrit par Étienne de La Boétie au seizième siècle : "Il est vrai de dire qu'au commencement c'est bien malgré soi et par force que l'on sert; mais ensuite on s'y fait et ceux qui viennent après, n'ayant jamais connu la liberté, ne sachant même pas ce que c'est, servent sans regard et font volontairement ce que leurs pères n'avaient fait que par contrainte."

Ceux qui n'ont jamais connu la liberté ignorent la profondeur de leur servitude. Qu'ils soient ou non salariés, la plupart des esclaves ont des rêves d'esclaves. Leur quête n'est pas celle d'une liberté qu'ils méconnaissent et qui leur fait peur. Ce qu'ils désirent c'est seulement des chaînes moins lourdes à porter. Malheur à celui qui viendra leur parler de libération !...

Dans le langage orwellien de la domination, l'étrange expression "gagner sa vie" signifie en fait, pour la plupart de nos contemporains, perdre son temps. Plutôt que de gagner une vie qui nous est donnée, il faut la développer en vivant intensément dans un milieu d'évolution à la fois naturel, social et culturel.

Travailler c'est intérioriser la logique du capital : collaborer avec un occupant qui vampirise notre énergie en se nourrissant du temps perdu à "gagner sa vie". Cette vampirisation de la vie par le profit est véhiculée par un  imaginaire de "mort-vivant" dont la principale ambition est de "créer sa boîte" c'est à dire, en fin de compte, son cercueil.

Si l'économie colonise notre imaginaire par le travail c'est pour mieux étendre le domaine de la servitude à tous les aspects de la vie. S’émanciper de cette emprise, c’est déconstruire la notion de travail en établissant sa généalogie qui est celle du capitalisme comme "fait social total" c’est à dire à la fois comme mode de subjectivation, représentation du monde et dés-organisation sociale. 

Un état totalitaire vraiment efficient serait celui dans lequel le tout-puissant comité exécutif des chefs politiques et de leur armée de directeurs aurait la haute main sur une population d’esclaves qu’il serait inutile de contraindre, parce qu’ils auraient l’amour de leur servitude. La leur faire aimer — telle est la tâche assignée dans les États totalitaires d’aujourd’hui aux ministères de la Propagande, aux rédacteurs en chefs des journaux et aux maîtres d’école. Huxley. Le Meilleur des mondes 

C'est bien parce que les frontières mentales doivent être surveillées par des chiens de garde que 80 % des médias français appartiennent à neuf milliardaires ! Qu'il est à la fois délectable et détestable le spectacle de ces journalistes qui associent en eux l'hypocrisie du courtisan, l'arrogance du faux-savant à la posture transgressive du dissident. "Encore un siècle de journalisme, écrivait Nietzsche, et tous les mots pueront". Nous y sommes et l'air du temps est bien pollué mentalement !...

Plus l’échange marchand étend son empire à toutes les dimensions de la vie et plus la société du spectacle approfondit son emprise. Véhiculé par la publicité et les médias, la colonisation des consciences par l’imaginaire marchand est un crime contre l’esprit de l’humanité.

Internet a transformé le monde en une immense salle de rédaction où chacun se fait le chroniqueur appliqué, précis et méticuleux de sa propre aliénation.

Aujourd’hui, le buzz est devenue partie prenante du business. En obéissant aux lois de la valorisation qui sont celles du marché, les médias de masse sont à l’origine de ce cercle vicieux qui transforme l’audience en notoriété, la notoriété en image, l’image en valeur marchande et la valeur marchande en audience.

Le plus grand succès de notre civilisation moderne est d'avoir su mettre au service de ses dirigeants une incomparable puissance d'illusion. Gianfranco Censor


Le texte, dans sa frugalité essentielle, peut devenir un îlot de résistance à l’océan de bêtise audio-visuelle qui noie l’imaginaire sous un flot d’insignifiance. La décroissance doit être aussi celle de la bêtise !... Trois mots posés sur du papier suffisent à créer un univers pourvu qu'ils soient les vecteurs d'une intuition créatrice. 

La prostitution est le soleil noir de l’imaginaire marchand qui réduit la saveur qualitative de la vie à une valeur d’échange quantitative. Le capital est ce maquereau qui fait de chacun d’entre nous des putains condamnées à se vendre sur le grand marché de la valorisation monétaire. Et comme le disait Flaubert à propos d'un banquier, beaucoup sont prêts à payer - et cher - pour se vendre.

Le principe selon lequel "tout se vaut" avait certes toujours été l'antienne morbide du nihilisme, avant de devenir l'hymne mondial de l'économie… L'interprétation marchande du monde, qui n'a d'autre contenu que l'affirmation de la substituabilité quantitative de toutes choses, c'est-à-dire la négation de toute différence qualitative et de toute détermination réelle, se révèle comme la négation du monde. Tiqqun 

Comme toute forme de servitude volontaire, le travail protège d'une peur fondamentale. Cette peur n'est rien d'autre que celle de la vie dans toute son intensité : corporelle, émotionnelle, créatrice et spirituelle Faire l'expérience de cette intensité c’est se libérer des passions tristes évoquées par Spinoza, à l’origine de la servitude volontaire.

La Boétie, Spinoza, Nietzsche, Marx, Lafargue, Gramsci, Huxley, Orwell, Bernanos, Debord, Deleuze : autant de penseurs et d'écrivains visionnaires qui auront analysé, chacun à leur manière, la servitude volontaire comme une magie grise transformant la peur de vivre en habitude, l'habitude en aliénation et l'aliénation en addiction.

Chers amis socialiste, il s’agit moins de légaliser cette drogue douce qu’est le cannabis que de se désintoxiquer de cette drogue dure qu’est le travail, en partageant au sein de communautés conviviales l'expérience d'une intensité vitale et créatrice. Si elle permet de libérer du temps pour vivre une telle expérience qualitative - et dans ce cas seulement - l'instauration d'un revenu universel participe de cette désintoxication progressive.

La critique radicale du travail doit s’inscrire dans la perspective intégrale d’un saut évolutif qui concerne à la fois la conscience, la culture et la société. Un tel saut qualitatif  permet de passer d’une société capitaliste composée de monades solitaires en compétition à des communautés conviviales où l’individu participe à la dynamique créatrice d’une intelligence collective en évolution.

Toute spiritualité authentique tend à libérer l'esprit humain de ses identifications et de ses conditionnements limitatifs comme de ses prétentions mentales à l'omniscience. C'est dans cette perspective libératrice qu'elle peut opérer une critique radicale du travail comme mécanisme de déshumanisation.

Si, pour les hommes, l'instauration du travail est allée de pair avec une vaste expropriation des conditions de leur propre vie, alors la négation de la société du travail ne peut reposer que sur la réappropriation par les hommes de leur lien social à un niveau historique plus élevé. Groupe Krisis 


L'expérience spirituelle est celle d'une intensité vitale, créatrice et transcendante qui libère la présence d'esprit de la peur et des passions tristes à l'origine d'une servitude volontaire justifiant le travail c'est à dire l'aliénation et l'exploitation humaine.

Le principe même de la servitude volontaire c'est l'asservissement de l'esprit par l'égo, comme l'égo lui-même est asservie par ses peurs comme par ses fantasmes de toute puissance infantile. La spiritualité c'est la maîtrise, la transmutation et le dépassement de l'égo, au service d'une dimension transcendante. Parce-qu’il nous fait grandir en humanité, l’esprit de service, au cœur de toute spiritualité, nous libère du goût morbide et inhumain pour la servitude. 

Le chemin de l'éveil remonte toujours à sa source qu'est l'émerveillement. Celui de la servitude descend toujours : du manque jusqu'à la souffrance. Se libérer de la servitude c'est transformer ce manque en désir et retrouver dans ce désir la part d'émerveillement qui le transmue et le transcende.

Économisme et technolâtrie sont deux manifestations jumelles du même fétichisme de l’abstraction. Il a fallu quelques siècles pour instaurer l’économie en discours dominant. En cette fin du cycle de la modernité, il faudra quelques décennies pour lui faire perdre son hégémonie au profit d’une approche qualitative et évolutionnaire de l’être humain. 

De même que c'est son échec qui a, par le passé, jeté les bases de l'extension à l'infini du monde de l'économie, de même l'accomplissement contemporain de cette extension universelle porte l'annonce de son effondrement prochain. Tiqqun 

La liberté est indivisible et intégrative. Celui qui chemine sur la voie d’une libération spirituelle ne peut accepter passivement cette aliénation socio-économique qui réduit la plénitude de la vie à l’indignité d’une survie livrée aux lois prédatrices du marché. 

La spiritualité est ce souffle inspiré qui arrache la politique à la diversité des intérêts particuliers pour se hisser jusqu’à la vision globale de l’intérêt général. Quand la politique retrouve sa vocation originelle qui est de construire une vision collective, l’engagement politique devient spirituel et l’engagement spirituel devient politique.

On ne comprend rien à la modernité capitaliste si on ne perçoit pas qu'elle correspond à une triple subordination :  subordination de la qualité à la quantité sur le plan existentiel; de l'intuition créatrice à la raison abstraite sur le plan cognitif; de la vie concrète - immergée dans un milieu - à l'abstraction d'une survie économique, sur le plan collectif. 

Conséquence d'une métanoïa individuelle et collective, le renversement de ces liens de subordination permettra l'avènement de communautés post-capitalistes. Cette métanoïa est conversion de la conscience personnelle à une inspiration créatrice et conversion de la conscience collective à une vision commune dans laquelle elle reconnaît la dynamique de son évolution.  

Ce sont les forces spirituelles qui en finiront avec la tyrannie de l’Argent parce qu’elles en délivreront les consciences, elles redresseront les consciences en face de ces maîtres comme en face de tous les autres. Alors sera vraiment constitué le front de la liberté. Georges Bernanos 


Ces polémistes catholiques du siècle dernier - Bernanos, Péguy, Blois - témoignent, à travers un style éruptif, de l’effondrement des valeurs traditionnelles subverties par l’univers marchand. Leur indignation est proportionnelle au sens de la dignité, de la verticalité et de la grandeur qui les animent. Les petites âmes ont des colères d’étincelle qui leur ressemblent. Les grandes âmes ont des colères de feu qui embrasent et éclairent le monde.

Il ne suffit pas d’aimer ce qui élève et transcende. Encore faut-il haïr d’une même intensité ce qui abaisse et avilit. Selon Zola : "La haine est sainte. Elle est l'indignation des cœurs forts et puissants, le dédain militant de ceux que fâchent la médiocrité et la sottise."

La colère résulte de la compression d'une vitalité créatrice qui se libère de manière explosive et destructrice si elle n'est pas canalisée avec précision par une intention et un idéal supérieurs. Canaliser cette vitalité créatrice c'est en faire une puissance insurrectionnelle qui met en mouvement l’énergie spirituelle prise en otage par l'inertie.

Une spiritualité évoluée ne nie pas la colère comme elle ne s'identifie pas avec elle. En la canalisant et en la transmuant, elle utilise cette puissance énergétique comme un levier de transformation très efficace. Chevaucher le tigre dit la tradition tantrique. 

Je hais les indifférents. Je crois comme Friedrich Hebbel que "vivre veut dire être partisan". On ne peut être seulement homme, étranger à la cité. Qui vit vraiment ne peut pas ne pas être citoyen, et partisan. L'indifférence est aboulie, parasitisme, lâcheté; elle n'est pas vie. C'est pourquoi je hais les indifférents. L'indifférence est le poids mort de l'histoire. C'est le boulet que doit traîner le novateur, c'est la matière inerte en laquelle il n'est pas rare que se noient les plus beaux enthousiasmes, c'est le marais qui entoure la vieille ville et qui la défend mieux que les remparts les plus épais, mieux que les poitrines de ses guerriers, en engloutissant les assaillants dans ses sables mouvants, en les décimant et en les décourageant, et en les faisant parfois renoncer à leur entreprise héroïque. L'indifférence agit vigoureusement dans l'histoire. Elle agit passivement, mais elle agit. Elle se fait fatalité; elle est ce quelque chose que l'on n'attendait point; ce quelque chose qui bouleverse les programmes, renverse les plans les mieux établis; la matière brute qui se rebelle devant l'intelligence et l'étrangle...  Mais, si je hais les indifférents, c'est aussi parce que leurs éternels pleurnicheries d'éternels innocents me sont insupportables. Je demande compte à chacun d'eux sur la façon dont il a accompli la tâche que la vie lui a assignée et lui assigne quotidiennement, sur ce qu'il a fait et, surtout, ce qu'il n'a pas fait... Je vis, je suis partisan. C'est pourquoi je hais qui n'est pas partisan, je hais les indifférents. Antonio Gramsci.

Ressources

Pour approfondir les réflexions et développer les intuitions proposées dans ce billet. 

Les billets de la série Incitations : Incitations (1) Le Souffle de l’Inspiration (2) Tout est son contraire (3) Éros et Ego (4) Les Droits de l’Âme (5) Décadence et Métamorphose (6) (voir le libellé Incitations)

Devoir de Vacance : un résumé des sept billets de la série du Journal Intégral intitulée L’Esprit de Vacance concernant notamment la critique du travail et la sortie de l’économie avec les liens correspondant : L’esprit de Vacance (1) L’Otium du peuple (2) Changer d’ère (3) L’Art de ne rien faire (4) Se libérer de l’horreur économique (5) La cigale et la fourmi 2.0 (6). Dans la rubrique Ressources de ce billet, on trouvera de nombreux liens sur ces thèmes.

Éthique de l’existence post-capitaliste   Trois Billets sur l'ouvrage de Christian Arnsperger

Les billets du Journal Intégral dans le libellé Sortir de l'économie

Critique de la Valeur-dissociation Site dédiée à la théorie critique du capitalisme et à la "sortie de l'économie". 

Textes contre le Travail  Site Critique de la Valeur-dissociation

Critique de la valeur  Une série de vidéos sur You tube

Libérons-nous du travail En partant du printemps 2016. Le manifeste du Comité Érotique Révolutionnaire. Éditions Divergences (Avril 2017) 

Manifeste contre le Travail  Groupe Krisis 

Tiqqun sur Wikipédia - L’insurrection qui vient - Qu’est-ce que la métaphysique critique ?

La Métanoïa in Le Journal Intégral 

Je hais les indifférents  Antonio Gramsci

Qui est Antonio Gramsci ?  Émission de France Culture

jeudi 9 mars 2017

Incitations (6) Décadence et Métamorphose


Nous vivons dans l’oubli de nos métamorphoses. Paul Eluard 


Dans ce billet, comme nous le faisons régulièrement dans la série intitulée "Incitations", nous proposerons, sous forme d'aphorismes et de fragments, des éléments de réflexion et d’intuition qui font écho aux thèmes développés par ailleurs, de manière plus systématique, dans Le Journal Intégral. De par leur concision, l’aphorisme et le fragment synthétisent la pensée et formalisent l’intuition en éveillant chez le lecteur une résonance intérieure qui mobilise son imaginaire et fertilise sa conscience.

Philosophe médiatique - quel oxymore ! - Michel Onfray vient de faire paraître son dernier livre - Décadence - dans lequel il annonce la fin de la civilisation occidentale. Cette parution est le prétexte et l'occasion pour nous d'aborder librement quelques thèmes qui nous sont chers : le saut évolutif de l'humanité, le déclinisme ambiant, la dynamique créatrice de la vie/esprit, la relation dialectique entre effondrement et refondation, le fétichisme de l'abstraction, la philosophie de l'histoire, le réenchantement du monde, l'intuition visionnaire, l'insurrection spirituelle etc....

Michel Onfray est un rebelle officiel - autre oxymore ! - fêté et promu par la société du spectacle parce qu'il offre un prêt à penser apte à canaliser et à récupérer les élans insurrectionnels d'un public en manque de repères existentiels. Dans son dernier livre - Décadence - il surfe sur le déclinisme ambiant en prenant pour la fin de la civilisation occidentale ce qui n'est en fait que sa propre impuissance à voir un nouveau monde en train de s'inventer et d'émerger à travers des milliers d'initiatives, de projets et d'idées. 

Forme symptomatique du nihilisme contemporain, le déclinisme est cette idéologie de la résignation qui passe totalement à côté de la dialectique évolutive unissant, de manière organique, effondrement et refondation, décadence et émergence, décomposition et recomposition. Selon Satprem : " Nous avons parfois l'impression, dans l'histoire, que les périodes d'épreuve et de destruction précèdent la naissance d'un monde nouveau, mais c'est peut-être une erreur, peut-être est-ce parce que la semence nouvelle est déjà née que les forces de subversion (ou de déblayage) vont s'acharner."

Alors que les évolutionnaires considèrent le temps dans sa continuité évolutive, conservateurs et progressistes ont en commun un point de vue discontinu qui scinde l’histoire entre passé et futur. Les conservateurs donnent la primauté au passé et à sa transmission sous forme de tradition alors que les progressistes cherchent à s’émanciper de celle-ci en faisant du passé table rase selon la célèbre formule de l'Internationale. Les évolutionnaires, quant à eux, vivent dans un présent qui est l’expression ponctuelle d’une dynamique évolutive s’enracinant dans le passé pour se projeter dans le futur. 

En fait, pour un regard évolutionnaire, décadence et renaissance sont deux expressions complémentaires et contradictoires d'une même dynamique créatrice qui se manifeste à travers le mouvement imperceptible et continu de la vie et de ses métamorphoses. Mais aveuglés par les apparences et fascinés par les formes, nous avons perdu l'intuition du mouvement créateur qui les a produit et nous vivons, comme le dit si justement le poète Paul Eluard, dans "l'oubli de nos métamorphoses".

Une philosophie de l’histoire considère celle-ci comme un continuum évolutif entre ces divers types de sociétés humaines que l’on nomme civilisations. La décomposition d’une civilisation annonce et préfigure des recompositions qui se manifestent au cours de l'histoire à travers l’émergence de nouvelles formes sociales et culturelles.

C'est parce que la décadence d'une civilisation est aussi la messagère de ses métamorphoses que le bandeau de présentation du Journal Intégral est ainsi rédigé : " Chroniques de la fin d'un monde, avec ses diverses crises, le Journal Intégral observe l'avènement d'un nouvel "Esprit du temps" qui inspire penseurs, créateurs et communautés en faisant émerger des formes innovantes de réflexion et de sensibilité".

Au fil du temps, la dynamique évolutionnaire s’est manifestée à travers diverses formes de civilisation. Les civilisations archaïques naissent d’une fusion - magique – entre une subjectivité et sa communauté d’appartenance, entre cette communauté et son milieu, naturel et invisible, perçu comme une totalité indivisible à la fois cosmique, statique et close sur elle-même. Les civilisations traditionnelles ont remplacé cette fusion archaïque par une domination hiérarchique qui institue la soumission de la subjectivité au groupe et du groupe à une transcendance. En réaction à cette domination hiérarchique, la civilisation moderne est fondée sur l’émergence de l’individu, l’usage de la rationalité abstraite et la croyance au progrès. En réaction au fétichisme de l’abstraction propre à la modernité, la civilisation cosmoderne – celle qui advient – est fondée sur la participation créatrice de l’individu à une totalité complexe et évolutive. 

Au fond, il n'y a qu'un seul objet d'études : les formes et les métamorphoses de l'esprit. Tous les autres objets reviennent à celui-là; toutes les autres études ramènent à cette étude. H.F Amiel


Une culture authentique n’est rien d’autre que la mémoire vivante des métamorphoses de l'esprit. Celui qui a perdu cette mémoire, aveuglé par les apparences, ne peut développer qu'une vision partielle, superficielle et discontinue du développement humain comme de l'histoire universelle. Bien incapable qu'il est de saisir la solidarité organique unissant, dans un même mouvement dialectique, la fin d'un monde et l'avènement d'une nouvelle  civilisation.

Évoluer c’est mettre à jour : dévoiler en actualisant. Ce dévoilement est celui d’une émergence évolutive vers un niveau de plus grande complexité.

Nombre de civilisation passent par ces moments de crise aiguë où le feu créateur de l’insurrection détruit les formes mortifères et périmées de l’institution. Aujourd’hui, l’insurrection spirituelle contre le fétichisme de l’abstraction passe par l’expérience vécue d’une relation sensible et concrète, intuitive et poétique, à un milieu d’évolution qui est à la fois naturel, social et symbolique.

"Changer la vie" disaient les progressistes avec enthousiasme. Quelle ineptie ! Il ne s’agit pas de changer la vie mais de participer, de manière créatrice, aux métamorphoses à travers lesquelles se manifeste la dynamique du vivant. Ce n'est pas l'homme qui change la vie, c'est la vie qui le change !...

Le saut évolutif que nous sommes amenés à vivre est  une de ces métamorphoses qui remet en question l'hégémonie de l'égo sur nos vies individuelles et collective. Tous ceux qui s’identifient à leur égo considèrent le dépassement de celui-ci comme une forme de décadence annonçant la fin du monde auquel ils s'identifient. 

L’esprit est intention créatrice, la conscience est présence attentive et l’égo, intérêt prédateur. Quand elle est alignée, la présence attentive de la conscience accueille l'intention créatrice et canalise l'intérêt prédateur.

L'intérêt égoïste a toujours tendance à traduire l'intention créatrice dans son imaginaire prédateur pour mieux la trahir.

L’égo est cet ogre jamais rassasié qui se nourrit de notre innocence enfantine pour alimenter la toute-puissance de son narcissisme infantile. Observez Donald Trump, cette illustration archétypale de l'égo !

Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître, et dans ce clair obscur surgissent les monstres (A.Gramsci)  Regardez l'actualité : nous y sommes.

Fondé sur une radicalité existentielle, la verticalité d’une transcendance donne le vertige à ceux qui se sont étalés et éparpillés sur l’horizon sans fin ni perspective de l’oubli. 

Il y a plus tragique que perdre la raison, c’est perdre la Vision, cette intuition profonde qui permet de participer à la dynamique de l’évolution créatrice. Cette Vision canalise et guide la raison pour la déployer sur la voie de l’évolution en lui évitant de se dévoyer dans les impasses d’un formalisme abstrait et d’un rationalisme inhumain. 


Les anges sont, en fait, des énergies déployées vers l'esprit et les démons des énergies dévoyées par l'entropie. La chute de l'ange pourrait représenter la perte de la Vision et Lucifer la lumière illusoire d'une raison désenchantée. Quant à Satan, ce pourrait être une figuration de l'inertie et de l'entropie qui résistent à l'élan évolutif, intégratif et transcendant de la vie/esprit.

Conscience de séparation, l’égo est ce bandeau noir sur l’œil de celui qui, ayant perdu la vision, ne connaît de la raison que ses modalités utilitaires et instrumentales. Le fou étant, selon Chesterton, celui qui a tout perdu sauf la raison. 

Ce que l’égo nomme réalité n’est rien d’autre qu’un fantasme utilitaire réduisant la profondeur mystérieuse et multidimensionnelle du Réel à la platitude unidimensionnelle et mécanique d’une abstraction. 

Devenir soi-même c’est dépasser ce que l’on a été pour se donner complètement à ce que l'on est, et transcender ce que l’on est pour s'abandonner totalement à cette force évolutive qui nous anime et à cet élan supérieur qui nous appelle. Évoluer c'est ainsi devenir son propre apostat : en accédant à une vision plus complète et plus complexe, on dépasse ses anciennes identifications et les croyances qui les accompagnaient.

Ne pas confondre croyance et connaissance. La croyance est ce qui reste quand on a perdu connaissance. La connaissance procède de l'expérience vécue comme la croyance relève d'une espérance sublimée. 

Pour vivre à la hauteur d’une inspiration verticale qui nous guide au-delà de nous-mêmes, il nous faut être enraciné dans la profondeur vitale d'un mémoire radicale qui est celle de nos métamorphoses. 

Épiphanie ou Fétichisme ? Telle est la question majeure qui se pose à l’imaginaire contemporain en réactivant la différence entre ces deux modes de figuration que sont l’icône et l’idole. Fondée sur le fétichisme de l’abstraction, notre société technolâtre divinise la raison abstraite. Selon ce grand penseur de la technique que fut Jacques Ellul : " Ce n'est pas la technique qui nous asservit mais le sacré transféré à celle-ci". On peut généraliser cette réflexion en disant que ce n’est pas la raison abstraite  qui nous asservit mais le sacré conféré à  celle-ci. D'où le fétichisme de l'abstraction qui  impose ainsi son hégémonie à travers une pensée technocratique fondée sur le déni de la sensibilité et de la vie. Se libérer de cette idolâtrie c’est percevoir, de manière poétique et symbolique, le monde phénoménal comme épiphanie de l’Esprit, tout comme l’icône renvoie à une présence qui la transcende. 

Si notre relation au monde est désenchantée c’est que nous avons perdu le sens de cette totalité harmonique qui relie dans un même continuum - symbolique, magique et poétique - l’intériorité de la conscience, individuelle et collective, à l’extériorité des phénomènes à travers lesquels elle se manifeste.

Puisque la notion d'épiphanie est au cœur d'une "épistémologie du réenchantement", il nous faut à tout prix réapprendre le sens de ce mot que la modernité abstraite nous a fait oublier. Le substantif féminin Épiphanie est un emprunt, par l'intermédiaire du latin chrétien Epiphania, au grec Ἐπιφάνεια (Epipháneia) qui signifie « manifestation » ou « apparition » du verbe φαίνω (phaínō), « se manifester, apparaître, être évident ». Il est le neutre substantivé de l'adjectif epiphanios, de epiphanês « illustre, éclatant », de épi- « sur » et phainein « briller ». L'utilisation du terme est antérieure au christianisme. (Wikipédia) 

Réenchanter le monde c'est le percevoir comme épiphanie de l'Esprit, c'est à dire apparition sensible d'un mystère infini. Une telle perception nécessite de dépasser le dualisme abstrait entre l'intériorité de la conscience et l'extériorité des apparences phénoménales en considérant celles-ci comme des manifestations formelles et transitoires d'une dynamique évolutionnaire propre à la vie/esprit.

Le poète authentique utilise le langage comme un support de voyance qui épiphanise la présence d’esprit à travers un oracle inspiré. C'est ainsi qu'il remet au centre de l’expérience humaine un mystère que le mental cherche toujours à remplacer par son obsession instrumentale. 


Pour Rimbaud, le poète est un Voyant. Le langage est cette pudeur à travers laquelle le sens se voile pour ne se dévoiler qu’à ceux qui ont su développer la Vision, seule à même d'en percevoir l’essence. La Poésie n'est rien d'autre que ce dévoilement, à la fois érotique et métaphysique, du langage.

C’est parce qu’elle est technolâtre que notre époque est mystérophobe. Parce qu’elle craint plus que tout le mystère, elle réduit celui-ci à un problème à résoudre à travers la mécanique d'une logique abstraite. Cette mystérophobie étouffe toute poésie, toute imagination, toute fantaisie et tout merveilleux en réduisant la profondeur et la complexité multidimensionnelles du Réel à la réalité uniforme d’une mécanique inhumaine. 

On ne comprend rien à notre civilisation mécanique si l’on ne voit pas que le mental est toujours hanté par une obsession instrumentale qui détruit la présence d’esprit pour la réduire à une représentation abstraite. Quand la présence d’esprit s’évanouit, elle est remplacée par cette forme sublimée d’absence qu’est l’abstraction intellectuelle. 

Le diable dans son étymologie grecque dia/bolos est "celui qui désunit" en s'opposant à la dimension symbolique qui unifie (sun/ballein : mettre ensemble). C’est le principe "diabolique" de séparation qui préside au fétichisme de l’abstraction et à son expression sociale qu’est la société du spectacle. C’est le principe d’intégration symbolique qui préside à l’inspiration poétique et à son expression sociale qu’est la communauté conviviale.

Fragmenter le monde pour l’énumérer et le quantifier, tel est l’imaginaire comptable de la modernité. La pensée technocratique détruit la qualité sensible, poétique et épiphanique, de toute forme en la réduisant abstraitement à l'uniformité d'une mesure quantitative. C’est ainsi que l’homme s’est transformé en boutiquier, transformant son milieu d’évolution en un environnement utilitaire à gérer comme un stock de ressources disponibles.

Fondée sur le primat de l’abstraction, la philosophie des Lumières fut aussi celle de l’illusion. A trop vouloir élucider, on finit par s’illusionner. Pour résister aux fantasmes d'une transparence totalitaire, il nous faut entretenir, de manière individuelle et collective, cette part d’ombre qui est celle d’un Mystère souverain, maître de nos métamorphoses.

Si nous ne savons pas garder en nous une place pour le Mystère, celui-ci revient de l'extérieur, tel le retour du refoulé, sous la forme d'une folle démesure entraînant chaos et confusion.

Si le secret est au cœur de la voie initiatique, c'est qu'il est épiphanie du Mystère.

Le progrès est ce conte abstrait de la techno-science qui, d’un même élan, a enchanté la modernité et désenchanté le monde avant d'entreprendre sa destruction. Si, à l’ère apocalyptique de la post-modernité, nous voulons le reconstruire, il nous faut raconter une autre histoire : celle du compte à rebours. 


A l'émergence de la Cosmodernité correspond la figure anthropologique du visionnaire qui suit des chemins de traverse non répertoriés par les cartographies officielles de la séparation. Ce faisant, il inaugure une pensée transversale qui intègre ce qui était séparé et unifie ce qui était segmenté. Se libérer de la pensée unique c’est développer l’intuition de l’Unité et la perception d'une continuité qui transcende les séparations abstraites.

La plupart du temps, la puissance des images, des formes et des idées occultent la vision dont elles procèdent. Pour se libérer de ce fétichisme, il faut retourner aux sources génératrice de la présence d'Esprit à travers la méditation, la contemplation et la création, la célébration de la vie, de l'amour et de la poésie.

Dans toute société humaine il existe une avant-garde créatrice et visionnaire, parfois prophétique, qui a développé la préscience d'une civilisation future et qui, dans les marges du Système, s'exerce à l'incarner.

Penser c’est traduire la force visionnaire d’une intuition créatrice dans la forme conceptuelle d’une explication rationnelle qui permet d’appliquer cette force dans le monde phénoménal. 

L'exposition et la visibilité d'une pensée par le Système est toujours fonction du profit qu'il peut en tirer pour se développer et perdurer. Toute création – artistique, scientifique intellectuelle ou spirituelle – qui ne serait ni moquée, ni combattue, ni ostracisée par les tenants du Système ne serait pas une création mais une nouvelle expression de celui-ci. On peut considérer, la plupart du temps, qu’une création est authentique dès lors qu’elle est jugée illégitime, scandaleuse et délirante par les gardiens du Système. Ces trois qualificatifs annoncent bien souvent l'émergence d'une nouveauté subversive, invisible et incompréhensible pour celui-ci.

C'est parce que la création est une épreuve initiatique qu'elle permet à l'homme de s'éprouver en faisant ses preuves d'acteur et d'agent de la dynamique évolutive. 

Tout œuvre visionnaire est subversive. Le champ médiatique la considère comme un crime contre l'inanité parce qu'elle contrevient à la règle non écrite des "4A" gouvernant celui-ci : "Avilissement (spirituel), Abêtissement (intellectuel), Abrutissement (émotionnel) et Asservissement (économique)". 

Si le Système dominant fait la promotion de l'idéologie décliniste c'est que celle-ci permet de justifier toutes les formes de résignation et d'impuissance en dévalorisant les manifestations de  résistance, de créativité et de transcendance inspirées par l'insurrection des consciences. Si le monde est foutu, à quoi bon agir et réagir ?


La pensée décliniste promue par les médias ressemble fort à celle de ces vieillards plus ou moins séniles qui regrettent le bon vieux temps en critiquant les mœurs nouvelles et l'insolence de la jeunesse sans en percevoir la vitalité créatrice. "Après moi le déluge, maugréent-ils dans leur barbe, c'était mieux avant. Quelle décadence ! " Il est des intellectuels qui, trouvant dans cette petite musique des échos à leur mélancolie, proclament la fin du monde sur le tombeau de leur jeunesse rebelle.

Le déclinisme relève d'un manque d'imagination parce que, selon Fredric Jameson : "il est plus facile d'imaginer la fin du monde que celle du capitalisme". Pour imaginer une communauté conviviale et post-capitaliste, il faut dépasser les limites de l'égo prédateur en participant de manière intime et intuitive à la dynamique créatrice et évolutive de la vie/esprit.

Si la propriété c'est le vol au profit de l'égo, la prophétie c'est l'envol au-delà de l'égo. Le saut évolutif entre les sociétés capitalistes et les communautés conviviales consiste à transcender le droit à la propriété fondé sur le primat de l'égo par le "droit à la prophétie" fondé sur la souveraineté mystérieuse de l'Esprit. Métamorphose de la conscience, la métanoïa est cette conversion de l'esprit humain au Mystère qui la fonde.

Utopie me direz-vous ? Ce qui est utopique c'est de croire que le désordre établi peut durer toujours sans être remis en question par une nouvelle vision du monde à l'origine d'une insurrection spirituelle contre l'entropie des institutions. L'histoire de l'évolution a toujours ainsi procédé. N'oublions pas que, selon Hegel : "L'histoire universelle est le progrès dans la conscience de la liberté."

Rien de plus facile que la prophétie : il suffit de se taire pour écouter son génie et le traduire en un langage formel. Mais les hommes, ivres d’abstractions, ne savent plus se taire pour être à l’écoute du silence. Au cœur du silence : un mystère transcendant qu’aucun mot ne saurait troubler. 

Ressources 

Les billets inscrits sous le libellé Incitations : Incitations (1) Le Souffle de l’Inspiration (2) Tout est son Contraire (3) Éros et Ego (4) Les Droits de l’Âme (5)

Effondrement et Refondation : une série de six billets.  Effondrement et Refondation (1) Réagir à l'effondrement (2) Les Transitionneurs (3) Les convivialistes (4) Les Créatifs Culturels (5) Catastrophe ou Métamorphose ? (6) La Cosmodernité (7)

Une pensée post-philosophique  Où il est notamment question de Michel Onfray et de sa contre-histoire de la philosophie

La Voie de l'Intuition (2) La Métanoïa  Où il est question de la conversion de l'esprit et de ses métamorphoses