dimanche 25 avril 2010

Ecologie et Société (2) L'homéotélie sociale



Ce billet s’inscrit dans la continuité du précédent où nous faisions référence à un texte d’Alain Galtié intitulé La confusion culturelle ou l’ennemi intérieur dans lequel il décrit l’écologie comme une culture du Vivant fondée sur la sensibilité homéotélique entre la partie et le tout. Le lien homéotélique qui unit l’être humain à son milieu biotique est celui -là même qui l’unit à la collectivité à laquelle il participe.

En déconstruisant les pièges et les illusions du réductionnisme dominant, l’individu retrouve cet instinct vital qui le lie intimement à la communauté du vivant, à la fois naturelle et humaine. En tissant ensemble intérêt individuel et collectif, cette sensibilité homéotélique est à l’origine de l’élan libertaire et convivial qui anime tout mouvement social

Une authentique pensée écologique ne peut donc faire l’impasse du politique. Les solidarités sociales sont l'expression d'une solidarité naturelle qui fonde la communauté biotique. En retrouvant le sens de cette solidarité naturelle, l’individu homéotélique tend à agir, de manière spontanée et organique, dans le sens du bien commun. Tel est le cas des peuples vernaculaires dont la culture traditionnelle était imprégnée d’une connaissance immémoriale : celle de l’économie du vivant.


Une écologie libertaire

Le processus d’une individuation authentique passe donc par la reconnaissance et le développement de ce lien homéotélique. Plus on prend conscience de ce lien, plus on l’incarne à travers ses pensées, ses émotions et ses comportements et plus s'exprime l’essence créatrice d’une individualité singulière profondément intégrée à la communauté du Vivant. Cette conception de l’individuation par participation et intégration du milieu conduit à une définition de « l’égoïsme » fort différente de celles des penseurs libéraux
Ceux-ci estimaient en effet que l’individu était principalement déterminé par son égoïsme et que celui-ci était réductible à la somme des pulsions prédatrices générées par son instinct de conservation. Le comportement de cet individu libéral est donc fondé sur la gestion rationnelle de ses intérêts égoïstes. Telle est la fiction néo-libérale : la gestion rationnelle des pulsions prédatrices qui fondent l'intérêt égoïste.

Dans le cadre d’une écologie qui s’inscrit dans la tradition libertaire, Galtié a une toute autre définition de l’égoïsme : « Ce que me souffle mon égoïsme est la quintessence de l'expérience de l'évolution depuis les premiers frémissements de la vie (et, peut-être, même avant) et c'est un message très différent de celui de sa caricature : "l'égoïsme" version judéo-chrétienne et néo-darwiniste, puisqu'il est tissé par la connaissance ineffable de l'homéotélie. »
Révolution copernicienne due à un changement de perspective : l’égoïsme en tant que produit immémorial de l’évolution devient le moteur d’une politique émancipatrice. Si la pensée libertaire a fait de l'individualité un principe fondateur c'est que cette dernière est animée par un instinct vital - archaïque et homéotélique - qui la lie organiquement à la communauté du vivant.


Epistémologie rationnelle et relationnelle
La reconnexion avec cet instinct pousse l'individu à vouloir se libérer des contraintes du pouvoir technocratique – qu’il soit politique, administratif ou économique – pour envisager des sociétés à la fois autonomes et organiques, fondées sur la coopération en leur sein et la fédération entre elles. Les contraintes de la biopolitique, telle que Foucault l'a conceptualisé, avaient pour rôle de contrôler et de contenir un vitalité instinctive susceptible de subvertir la domination abstraite des institutions modernes et ce, d'une manière d’autant plus violente que cette vitalité est réprimée. La pulsion libertaire n'est rien d'autre que la réappropriation par l’individu d'une vitalité instinctive au service de la communauté du Vivant.
C'est en ce sens qu'une culture écologiste et libertaire s'oppose à une idéologie technocratique et capitaliste selon laquelle l'individu est réduit à ses comportements, ses comportements au calcul rationnel de ses intérêts et ses intérêts à la somme de ses pulsions prédatrices. A travers l'écologie et le capitalisme, deux visions de l'individu et deux types d'épistémologie se confrontent : d'un côté, une vision organique et sensible qui fonde une épistémologie relationnelle et de l'autre, une vision mécaniste et réductionniste qui fonde une épistémologie rationnelle.
L'écologie est une culture instinctive, celle d'une vie fondée sur la relation, l'association et la participation. Le capitalisme une culture distinctive, celle d'un utilitarisme fondé sur la domination, l'abstraction et l'instrumentalisation. La mission que se donne la pensée intégrale est la création d'une épistémologie "intégrationnelle" qui dépasse ses deux formes, l'une traditionnelle et l'autre moderne, en les intégrant dans une niveau supérieur de complexité.
D'où la nécessité d'un travail de réflexion qui permet de bien différencier ces deux modalités épistémologiques avant de les intégrer dans une modalité plus complexe et plus complète. On voit bien là que la politique est toujours sous-tendue par une épistémologie. Faire l'économie de cette réflexion épistémologique c'est à coup sûr reproduire les stratégies de domination à travers des discours d'émancipation.

Les militants existentiels

La reconnexion homéotélique de l’individu à la communauté du Vivant nécessite un travail de libération personnelle vis-à-vis de l’emprise technocratique. Ce thème est très précisément illustré par le film de James Cameron : Avatar. Dans deux de nos prédénts billets sur la diversité cognitive intitulé Le Chaman et le savant (1) et (2), nous avions tenté de montrer à quel point ce film illustrait à travers sa dramaturgie cette tension entre l’intuition vitale, qui est celle de la sensibilité homéotélique, et la rationalité instrumentale qui est celle de l’emprise technocratique. Docteur en sociologie et militant anti-capitaliste, Phillipe Corcuff a écrit un article intitulé « Avatar » contre Cohn-Bendit : l'écologie doit être anticapitaliste que l’on peut lire sur le site Rue 89.

Il y dit ceci : « Cameron met en quelque sorte en images et en son une forme extrême de la contradiction capital/nature. La trame narrative de la science-fiction, reconfigurée avec de nouveaux effets spéciaux numériques, projetée en 3D, donne une vérité éthique et politique proprement cinématographique à une composition fictionnelle... L'anticapitalisme d'« Avatar » est indissociablement collectif et individuel. Se désintoxiquer de l'imaginaire capitaliste passe aussi par une transformation de soi. Jake Sully, ancien marine immobilisé dans un fauteuil roulant devenant « pilote » mental d'un avatar (corps hybride d'ADN humain et de Na'vi), va connaître une véritable conversion : d'infiltré chez les Na'vi à protecteur de leur mode de vie, de soldat impérialiste à eco-warrior. Sully a quelque parenté avec la figure des « militants existentiels » anticapitalistes, caractérisée « par un travail spirituel et politique de chacun de nous sur lui-même, soutenu par des communautés de vie », promue récemment par le philosophe de l'économie Christian Arnsperger dans son stimulant ouvrage « Ethique de l'existence post-capitaliste » (éd. du Cerf, 2009). »

Cette nécessité d’allier travail sur soi et action politique est un des nombreux points de convergence entre l’écologie libertaire défendue par Galtié sur son site Ecologie Planétaire, la vision d’une Politique intégrale développée par nos amis suisses ou celle d’une société post-capitaliste telle que l’envisage Christian Arnsperger, notamment sur son site Transitions. Fondée sur la corrélation entre évolution personnelle et transformation sociale, une nouvelle forme de réflexion politique se fait jour en définissant un nouveau régime, intégral, de la citoyenneté.

Le citoyen intégral
Le citoyen intégral n'est pas réductible à un individu abstrait et rationnel qui cherche à gérer de manière instrumentale et comptable une société réduite au rapport mécanique de domination/soumission entre individus ou classes sociales soumis à la seule loi de leurs intérêts particuliers.
C'est un être vivant, sensible et intelligent qui participe solidairement, subjectivement, et symboliquement à la société politique. Une participation vitale, mentale et comportementale qui le connecte, via le lien homéotélique, à ces divers niveaux d'intégration que sont les communautés locales, nationales et internationales.
Le citoyen intégral a conscience de la profonde corrélation qui existe entre la sphère de sa vie personnelle et celle de la vie publique : son évolution intérieure est la condition nécessaire à la créativité de la société dont il est membre. Le citoyen intégral est un militant existentiel : sa créativité personnelle implique des médiations culturelles et des dynamiques intersubjectives qui vont s'exprimer à travers la forme novatrice d'une organisation sociale leur correspondant.
(A suivre...)

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