vendredi 14 novembre 2014

Abécédaire de la Méditation (1)


Méditer c'est, en toute simplicité, s'impliquer dans le Tout.


Il n'est pas une semaine où la presse, la radio, la télévision ou Internet ne nous vantent les mérites supposés de la méditation et de la pleine conscience dans le domaine du stress, de la santé, de l'éducation, du management, du bien-être, de la psychothérapie, de la créativité ou du développement personnel. Aux États-Unis, elle est enseignée dans les écoles, les entreprises, à l'armée et même dans les prisons. Cette ferveur se retrouve en Europe avec plus ou moins d’intensité selon la culture de chaque pays et le rapport que celle-ci entretient avec la spiritualité. En France, le grand succès rencontré par les ouvrages de Matthieu Ricard, Christophe André, Fabrice Midal ou Jon Kabat-Zinn sont le signe de cet engouement pour une approche qui permet de dépasser et de remettre en question le formalisme abstrait et mortifère dont souffre la mentalité hexagonale.

Un tel phénomène est d’autant plus étonnant que la méditation a longtemps été perçue en Occident, telle une drogue, comme une fuite hors des contraintes de la réalité. Ce changement radical de perception est à l'origine d'un profond paradoxe. A travers un lent et long apprentissage du lâcher prise, la pratique de la méditation et de la pleine conscience conduit à vivre pleinement l’instant présent en libérant la conscience de l’hégémonie du mental et de son utilitarisme intrinsèque. Et ce alors même que nos sociétés réduisent le plus souvent la méditation à un outil et à une technique, c’est-à-dire à un moyen au service d’un but pratique, dans une perspective strictement utilitaire.

Ce paradoxe ne peut être résolu que par un autre paradoxe : la méditation ne sert à rien et c'est pour cela qu'elle est utile. En dévoilant les illusions de l’égo et les limites du mental, cette pratique radicale nous libère de l'utilitarisme dominant nos sociétés et de l'intellectualisme aliénant nos subjectivités. Si la méditation ne sert à rien c'est qu'elle met la conscience au service de la totalité dont elle procède et auquel elle participe intuitivement. Car méditer c'est, en toute simplicité, s'impliquer dans le Tout à travers une attitude de lâcher prise qui, en transcendant le mental, ouvre sur  la présence d'Esprit.

Une pensée autre

Toute révolution commence par une pensée dans l'esprit d'un individu.

Dans le domaine de la méditation - comme dans celui de l’amour - moins on en dit, plus on suggère et plus on approche de l’ineffable légèreté de l’être. La méditation ne fuit pas la réflexion, elle la transcende pour l’inspirer en donnant naissance à une nouvelle forme de pensée. Débarrassée de l’utilitarisme dominant, cette pensée inspirée embrasse poétiquement le monde dans son intégrité

Comme l’écrit Fabrice Midal : « En Inde et dans tous les pays d’Asie, la méditation a toujours reposé sur une pensée subtile du monde et à l’engagement de l’être humain en son sein. Nous avons, nous aussi besoin, à partir de la méditation, de pouvoir penser plus avant notre monde – et donc aussi bien l’économie, la politique, la poésie que les relations internationales. La méditation doit nous permettre de donner naissance à une pensée autre ». (La méditation. Que sais-je ?)

Retrouvant le rôle central de l’intériorité, cette nouvelle forme de pensée associe l’intuition à la raison au sein d’une vision intégrale. Méditer ce n'est donc pas tenir le monde à distance mais s'engager dans la profondeur d'une vision qui le transforme. Comme toutes les voies d'évolution et de libération, la méditation ne se laisse enfermer dans aucune définition. En ce domaine toute explication du mental est une tentation à laquelle il faut résister pour s'impliquer dans son dépassement. Aussi nous contenterons-nous de proposer des indices, issus de notre pratique, comme autant de petits cailloux sur le chemin. Nous le ferons ici à travers un abécédaire de la méditation regroupant autour d'un thème une série de fragments et d'aphorismes qui, par leur concision même, vont à la méditation comme un gant. 

Amour

Penser c'est prendre conscience. Méditer c'est la rendre à l'Esprit en lâchant prise. La méditation est littéralement un "rendez-vous".

La plénitude du Réel ne se donne qu'à celui qui se met en situation de l'accueillir dans l'ouverture et la vacuité.

Le présent est un don. Pour le recevoir, il faut oser s'abandonner à l'intensité du vivant.

Enracinée dans l'expérience intime du don et de l'abandon, la méditation est dépassement du moi dans la rencontre du Soi.

Quand il devient sacré, l'acte sexuel est méditation en mouvement. Faire l'amour revient alors à méditer activement à travers une forme de hiérosexualité où le corps et l'âme fusionnent dans la présence d'Esprit.

La méditation est cet acte intérieur où l'abandon devient l'épiphanie de l'absolu. L'horizon du mental s'ouvre à la verticalité de l'Esprit comme la femme à la virilité de son amant.

Comme l'étreinte amoureuse, la pleine conscience est conversion du regard : dans le premier cas, ce ne sont pas les amants qui font l'amour mais l'Amour qui fait des amants une seule entité, dans le second ce n'est pas la conscience qui fait le vide, mais la plénitude qui fait de la conscience une intensité.

Dans la méditation je est un autre qui, dans le silence immobile, devient une épiphanie de la Totalité.

Art


La méditation c’est l’art de ne rien faire avec intensité.

La méditation est un art de vivre dont l’œuvre est l'éveil de la conscience à la totalité dont elle procède.  

Méditer c’est passer notre ego sous silence pour accueillir ce long poème qu’est la vie. C’est ainsi que le méditant développe une sensibilité à fleur de poésie. 

La méditation conjugue un art de vivre fondé sur la simplicité de l’immanence et un art de vibrer fondé sur l’intensité de la transcendance.

En retrouvant dans chaque respiration le souffle même de l’univers, le méditant perçoit une profonde harmonie dans la diversité infinie des manifestations de la vie. 

Et si la méditation était avant tout une voie poétique pour devenir plus humain ? Nicolas d'Inca

Face à l'activisme compulsif de nos sociétés modernes, il ne suffit pas de méditer dans la vie. Il faut faire de sa vie une méditation continue en développant cette conscience symbolique qui relie à chaque instant, d'une manière attentive, la face invisible de l'intention créatrice à la face visible des phénomènes à travers lesquels elle se manifeste

Méditer c’est entendre, derrière le mur de l’égo, l’écho d’une harmonie à interpréter dans le silence. Réenchanter le monde, c’est lui rendre son irréductible part de mystère en suivant la voix du Milieu.

Décroissance

La méditation est ce vide-grenier où l'on se débarrasse de l'insignifiance comme la simplicité volontaire se débarrasse du superflu pour se recentrer sur l'essentiel.

Attentif au mouvement de la conscience, la méditation s'en affranchit pour accueillir la plénitude du vivant. C'est ainsi qu'elle nous libère de l'avidité de l'égo qui ne connaît aucune limite dans sa volonté d'emprise et domination, d'expansion et d'accumulation.

Dans la méditation, la décroissance de la pensée abstraite est synchrone avec l'intensification de la présence : moins de moi et plus de Soi. Parce qu'il refuse la réduction des relations humaines au champ des intérêts économiques, le projet politique de la décroissance est synchrone avec l'intensification des relations humaines : moins de biens et plus de liens.

Simplicité volontaire sur le plan personnel et projet de décroissance sur le plan collectif sont deux formes économiques de méditation.

L'économie n'est que la manifestation extérieure de dynamiques personnelles et interpersonnelles fondées sur l'identification à l'égo. Mieux vaudrait parler de "l'égonomie", cette loi de l'égo qui est celle d'une conscience de séparation imposant une vision du monde fondée sur la peur et l'avidité, l'abstraction et la domination. Transcender l'égo c'est sortir de l'économie pour entrer tout simplement dans le bien commun.

Enfance

Méditer est à la fois l’enfance de l’art et le vieil art de l’enfance.

Il ne faut pas craindre d'enseigner la méditation dans les lycées, non pour faire des illuminés mais pour retrouver notre moitié perdue. Arthur Koestler

La méditation dépasse la gravité infantile du mental pour découvrir en souriant l’innocence enfantine du premier regard.

Dans la méditation, le mental s'ouvre à l'Esprit qui le transcende comme les bras de l'enfant marchant joyeusement vers ses parents.

Méditer ce n’est pas être concentré mais attentionné, observant les pensées, les émotions et les sensations avec la compassion d’une mère pour ses enfants turbulents.

L’apprentissage de la méditation ressemble étrangement à celui de la bicyclette. Quand l’enfant a développé le sens de l’équilibre, les parents enlèvent les deux roulettes, parallèles à la roue arrière, qui permettaient de stabiliser le vélo. Devenu adulte, il peut suivre le chemin de la méditation en retirant progressivement les béquilles d’une pensée dualiste pour évoluer sans perdre l’équilibre vers une conscience unifiée.

Parce qu'elle relève de l'esprit d'enfance, la méditation doit être enseignée aux jeunes et pratiquée par eux comme le plus court chemin de soi à soi-même.

Quelle erreur de vouloir refonder l'éducation sans prendre appui sur les fondations de l'esprit explorées depuis des millénaires par toutes les grandes traditions !

Évolution

Sur les chemins de l’ineffable, la méditation est une conversation silencieuse avec l’essentiel.

A travers la méditation, l'individu moderne dépasse les impasses narcissiques de l'individualisme pour participer au flux évolutif de l'individuation. 

Aimer, Créer et Méditer. Tels sont les principes complémentaires d’une vie évolutionnaire. 

La conscience humaine évolue en dépassant les limites conceptuelles de la réflexion par une vision inspirée et en transfigurant cette inspiration personnelle en une présence impersonnelle.

Mettre des mots sur des idées, c’est parler. Formuler ses intuition à travers des concepts, c’est penser. Ressourcer ses intuitions à la présence d'esprit, c’est méditer.

L'intime complicité entre le méditant et la vie fait de celui-ci un agent du courant évolutif et un résistant à toutes les formes de domination qui voudraient lui faire obstacle.

Libération 

Méditer c’est se déhabituer pour habiter pleinement la présence. 

La méditation est cette contention intérieure qui permet à l’intention créatrice de se libérer de cette détention qu’est la pensée. 

De même que la langue en poésie n'est pas instrumentalisée mais rendue à sa liberté, de même l'esprit en méditation n'est pas utilisé mais rendu à son déploiement. Nicolas d'Inca

La méditation est une médication soignant cette blessure de l’ego d’où s’écoule le sens de la vie. 

En libérant le flux de la présence de la fixité des représentations, la méditation se joue des identités qui nous mettent en résidence surveillée.

La réflexion authentique conduit à la suspension provisoire du jugement pour permettre à l'imagination de se déployer, comme la méditation conduit à la suspension provisoire de la pensée pour accueillir l'ineffable. Dans le temps suspendu de la méditation, la conscience se libère de l’identification obsessionnelle au jeu mouvant des formes. 


L’expérience de la méditation nous délivre du terrorisme intellectuel qui prend l’intuition en otage pour maintenir l’emprise de l’abstraction.

La méditation n’est ni une fin ni un moyen mais l’expérience sensible de la finitude à travers l’ouverture sur l’infini. 

La méditation véhicule l’essentiel sur le chemin chaotique de l’existence. 

Certains méditent comme on dépose de l'argent sur un compte en banque. Ces rentiers de la pleine conscience prennent la posture, dans le silence et l'immobilité, attendant patiemment le versement de leur intérêts en paiement de leurs efforts. Ils se trompent : la grâce ne se révèle et ne s'incarne que dans la gratuité.

Quand elle se transforme en routine, la pratique de la méditation peut devenir un obstacle à l'esprit de la méditation. Il faut alors, selon l'expression du bouddhisme Zen, "Tuer le Bouddha" c'est à dire remettre en question l'hypnose formelle pour réinvestir la pratique d'un élan vital et inspiré.

Philosophie

Philosophe en méditation de Rembrandt (1632)
Tout le malheur des hommes vient d'une seule chose, qui est de ne pas savoir demeurer en repos dans une chambre. Blaise Pascal

Méditer c'est déjà philosopher en s'abandonnant à la présence qui fonde le sens et défait les préjugés. Philosopher c'est déjà méditer en prenant ses distances avec le conformisme dominant.

Croire que l'on peut être philosophe sans pratiquer la méditation revient à croire que l'on peut être musicien sans la pratique d'un instrument. En relativisant la pensée représentative, la présence d'esprit permet d'observer celle-ci et d'en saisir tous les mouvements pour en comprendre les limites.

Penser c'est identifier. Méditer c'est transcender l'identité pour la dissoudre dans le flux souverain de la présence. 

Le philosophe est ami de la sagesse. Le sage est ami de l'indicible. 

La méditation remet la raison à sa place : celle d'une intendante dévouée au service de l'intention créatrice.

La méditation est cette opération alchimique qui transmue le plomb de la représentation abstraite en or de la présence d'esprit.

L'abstraction met le monde à distance en l'expliquant pour le dominer. La méditation nous met en sa présence pour y participer en s'y impliquant.

Il faut impérativement distinguer la connaissance par représentation de la connaissance par participation. En somme connaître par le "dehors" et connaître par le "dedans". Différence entre philosophie et science d'une part, mystique et résonance, d'autre part. Ces deux voies de connaissance ne sont pas antinomiques et contradictoires mais, au contraire, complémentaires et dialectiques. Marc Halévy

Présence 

Méditer c'est faire simple. Le chemin de l'éveil commence par la veille et se poursuit dans l'émerveillement.

Méditer c'est prendre son temps et vivre avec lui. Prendre son temps en retournant à la source de l'instant pour le donner à l'éternité. Vivre avec son temps en participant de l'intérieur à son mouvement évolutif. 

La posture de la méditation est une danse immobile.

Pour que la méditation nous parle, il faut faire silence. 

Les pratiques de méditation les plus avancées à travers les âges et les continents se réduisent à une seule technique : abandonner l’idée même de technique en vivant la plénitude de l’instant présent. 

La méditation est cette quête de l'intra-ordinaire d'où jaillit la mémoire de l'éternité.


La méditation c'est la rencontre de l'éternité dans le moment présent. Vimala Thakar

La méditation est cet art de veiller et de s'émerveiller en s'ouvrant à la vibrante intensité d'une présence vivante.

En conjuguant le silence et l’immobilité, la méditation est cette science humaine de l’exactitude intérieure qui invite à la présence concrète comme le mental invite à la représentation abstraite. 

« Connectez-vous pour installer les mises à jour importantes ». Ce message que l’on peut lire sur les écrans d’ordinateurs convient parfaitement à la pratique de la méditation qui consiste à se connecter au flux évolutif de la vie/esprit.

En observant le contenu de la conscience, la méditation s’en émancipe. Le vide ainsi crée permet de plonger dans l'inconnu : l’attention se met alors à l’écoute de l’inattendu.

Ressources 

Site de Fabrice Midal.

La Méditation. Que sais-je. Frédéric Midal 

Pratique de la méditation. Méditations Guidées. Livre, CD, DVD. Frédéric Midal

Méditations sur l’amour bienveillant. 12 Méditations Guidées. 3 CD. Fabrice Midal

L’École occidentale de méditation fondée et dirigée par Fabrice Midal

Psychologie et Méditation. Blog de Nicolas d'Inca


Émission Onde de Méditation. Méditations guidées sur Radio Évolutionnaire 

Festival de la méditation. Seconde édition à Paris du 23 au 25 Janvier 2015 à Paris

2 commentaires:

  1. Bonjour Olivier... C'est excellent, comme toujours, ca fait beaucoup de bien a lire et a partager... Je connais des amis qui ont une vie inspiree, profonde, meditative dans le sens, dans l'essence que tu developpes, mais qui jamais n'utiliseraient ce mot... au contraire, je sens beaucoup de defiance et a juste titre... Comme disait Saint Exupery, 'les mots se tirent la langue' et en utilisant le mot meditation, on peut parler de choses tres differentes... un etat d'etre integrant le Moi et le Soi dans une presence a l'instant une conscience du present de la vie offerte... ou une activite parmi d'autres, un hobby, un moyen de rendre supportable l'inacceptable, de se divertir...
    D'apres le titre, j'imagine avec enthousiasme que d'autres mots viendrons enrichir cet abecedaire... les premiers qui me viennent a l'esprit sont humilite, silence, et reconnaissance (avec tous les jeux de mots que ce dernier mot integre...:))
    A mon tour de partager un petit poeme pour dire merci :)
    marko

    Merci

    Besoin de dire merci,
    De l'écrire aussi,
    De le lire certainement.
    Merci d'être ici,
    D'aimer et être aimé,
    Merci de m'aider à faire face
    A l'absurde et à l'horreur de nos mondes.
    Merci pour la beauté,
    Qui transpire de la Nature, des créatures,
    Et même de Nous, bipèdes immatures.
    Merci pour le charme de l'expérience...
    Qu'étais-je avant de naître,
    Renaître disent certains ?
    Nos questions affinent le dessin,
    Nos images de l'essence.
    Merci pour ces rires et ces sourires,
    Même pour ces mots parfois durs,
    Manifestant l'amour et sa démesure.

    Besoin de dire merci
    Pour ces moments où l'on se comprend,
    De l'un au multiple.
    Merci pour ces mots, ces silences,
    En lesquels vibre la sagesse de l'espèce.
    En Soi, vivre des univers voisins, liés.
    Au-delà, en-deçà, vivre son altérité,
    Cheminement, quête de Vérité.
    Merci pour l'unique de chacun,
    Chaque âme a son refrain.
    Ne reste qu'à vivre et créer ses couplets
    Pour échapper à la marche technicienne.
    Merci de battre en Nous
    Et d'éclairer nos rendez-vous solitaires.
    Merci de nous proposer l'expérience
    Et de même nous offrir le droit à l'ignorance.
    Merci.

    ML (2014)

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  2. Salut Marko,

    Ravi de voir que ces mots résonnent en toi avec intensité parce que tu y retrouves un paysage de source où peut se déployer ce que tu nommes la « sagesse de l’espèce ». J’espère que d’autres lecteurs partageront ces fragments avec leurs cercles affinitaires en participant à cette « conspiration » qui unit dans une inspiration commune ceux qui sont animés par le même mouvement évolutif.

    Comme le dit Sri Aurobindo : « Il se pourrait bien que l’étouffement de l’individu soit l’étouffement du dieu dans l’homme. »

    Dans le prochain billet, je continuerai effectivement cet abécédaire en présentant la méditation comme ce qu’elle est aussi c’est-à-dire une véritable « révolution silencieuse »… Merci

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